Quels effets ont les règles budgétaires ? Pourquoi nos
gouvernements ont-ils tendance à faire des déficits ? Comment y remédier ?
Revue de livre par Rémi Velez.
En septembre 2012, le débat public français était centré sur
la ratification du Pacte budgétaire européen et sa fameuse « règle
d’or » posant le principe de l’équilibre des budgets publics. Elle est
accusée par certains de plonger la France dans une terrible cure d’austérité.
D’autres y voient au contraire une garantie de sérieux budgétaire. Deux ans et
demi après l’intégration du Pacte budgétaire dans le droit français avec la loi
organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances
publiques, les citoyens peuvent constater que la règle d’or budgétaire a bien
peu affecté nos politiques publiques. Dès lors, quels effets ont les règles
budgétaires ? Pourquoi nos gouvernements ont-ils tendance à faire des déficits
? Comment y remédier ? L’ouvrage Les règles budgétaires. Un frein à
l’endettement de Bernard Schwengler, docteur en science politique et
professeur en sciences économiques et sociales en classes préparatoires aux
grandes écoles, répond à tout cela.
Les arguments
théoriques en faveur des règles budgétaires
L’auteur offre une présentation dense et exhaustive d’une
littérature technique à la fois théorique et pratique. L’analyse développée est
tout à fait compréhensible pour les néophytes en économie publique.
L’introduction souligne le rôle de la crise des dettes souveraines sur la
question de la discipline budgétaire. Celle-ci est devenue une obligation pour
la zone euro car les taux d’intérêt dépendent de la confiance des investisseurs
dans la solvabilité de l’emprunteur. Ainsi, la mise en œuvre de règles
budgétaires réduit le coût de l’emprunt. Mais la mécanique politique fonctionne
souvent sur un endettement non maîtrisé parce que supposé illimité. Cette inclination,
ou biais, pour le déficit public ne peut être encadré que par des lois limitant
le recours à l’emprunt : des règles budgétaires. Cependant, d’après
l’auteur, toute règle budgétaire n’est pas nécessairement bonne pour les
finances publiques. À chaque pays, avec ses institutions particulières et son
environnement politique singulier, correspond un type de règles budgétaires
adaptées et donc réellement efficaces. La grande diversité des systèmes
politiques implique de penser et d’élaborer une pluralité de règles. Si le
pacte de Stabilité et de Croissance (parfois appelé faussement « critères
de Maastricht ») a échoué depuis 1997 à limiter l’endettement public,
c’est notamment parce qu’il s’applique à tous les pays de la zone euro sans les
distinguer.
Les caractéristiques
des règles budgétaires, de contrainte ou d’engagement, et leurs efficacités
Le nombre de pays aux règles limitant les déficits et le
niveau de la dette a augmenté de 5 en 1990 à 87 en 2013. Les États-Unis sont
les précurseurs : dès 1985 l’État fédéral a adopté une règle-contrainte à
son budget par l’adoption du Gramm-Rudman-Hollings Act. Elle impose des
plafonds annuels pour le déficit budgétaire. En cas de non-respect par
le Congrès des plafonds annuels de déficit budgétaire, le président
des États-Unis doit procéder à des coupes automatiques et proportionnelles
dans la plupart des finances publiques. Au contraire, les règles d’engagement,
comme notre loi de programmation des pouvoirs publics, sont insérées dans le
processus de décision politique et ne s’appliquent pas contre les choix
politiques des gouvernements. Si elles ne sont pas inscrites dans la
constitution, les règles d’engagements ne sont que des promesses. Leur support
juridique est de même valeur que la loi budgétaire. Dans le cas où elles
entrent toutes les deux en contradiction, le législateur tranche (souvent en
faveur du déficit public). Dès lors, seule la menace de sanction financière
peut inciter les parlementaires à voter des budgets à l’équilibre. Sans cela,
ces derniers sont victimes d’un biais pour le déficit : recourir aux
déficits publics leur est toujours politiquement favorable, notamment parce
qu’il est peu probable qu’ils aient à voter eux-mêmes les impôts
supplémentaires ou les coupes budgétaires exceptionnelles corrigeant dix ou
vingt plus tard leurs excès. La Cour de justice de l’Union européenne ne s’est
ainsi pas trompée lorsqu’elle a instauré des sanctions quasi automatiques pour
les déficits excessifs et des amendes pouvant aller jusqu’à 0.1% du PIB fautif.
Hélas, ces sanctions ne sont appliquées qu’aux petits pays et la France,
impunie, ne fait preuve d’aucune rigueur budgétaire.
L’impact des règles
sur la politique budgétaire française
Pour Bernard Schwengler, un mécanisme de sanction est
efficace s’il est indépendant et légitime. Ce ne semble pas être le cas dans
l’Union européenne : l’autorité de Bruxelles est parfois remise en cause
par la France qui a obtenu des dérogations de la part de la Commission
Européenne pour la réduction du déficit français. Les règles de l’Union
européenne sont fortes en théorie car elles ne sont pas suspendues à une
majorité politique et parce qu’elles sanctionnent tous les dépassements. Mais
en pratique elles se sont révélées faibles : les sanctions sont trop
légères et pas appliquées. La bonne maîtrise des finances publiques dépend
alors principalement d’une préférence politique pour la discipline budgétaire.
Ce n’est pas le cas en France où la règle budgétaire française, établie dès
juillet 2008 avec la réforme constitutionnelle, est très peu contraignante. Sa
mise en œuvre ne repose pas sur un dispositif coercitif d’un pouvoir juridique.
La loi de programmation des finances ne se situe en effet pas à un niveau
juridique plus élevé que la loi de finance. L’ancrage quasi constitutionnel de
la loi (loi organique) se limite à des dispositions de principe :
l’équilibre des comptes est posé comme objectif mais aucune échéance n’est
fixée. C’est une règle d’engagement sur les soldes structurels. L’État n’a
aucune correction budgétaire à effectuer si le dérapage des finances publiques
s’explique par la mauvaise conjoncture économique. Dès lors, il suffit de
surestimer la croissance du PIB pour valider la loi de programmation des
finances publiques comme l’ont fait nos parlementaires en estimant la
croissance française à 2% du PIB pour 2014. Les déficits importants finalement
constatés ont été mis sur le compte de la mauvaise situation économique de
l’Europe et les finances publiques ont été validées.
Bernard Schwengler, Les règles budgétaires. Un frein à l’endettement ?,
Belgique, De Boeck, 2014, 23.50€