Voyage de classes. Des étudiants de Seine-Saint-Denis enquêtent dans les beaux quartiers. Compte-rendu

Publié le 27 avril 2015 par Antropologia

 Nicolas Jounin, Paris, La découverte, 2014.

Dans ce livre au titre éloquent, l’auteur,  sociologue ayant  enseigné à  l’université  Paris 8 Saint-Denis,  relate une  expérience  intéressante conduite avec une  centaine  d’étudiants : les initier à l’enquête  sociologique en  enquêtant. Son  ouvrage  répond alors  à  une triple ambition ou  offre trois lectures différentes,  il est en quelque sorte un manuel  méthodologique, un livre  sur la  réception  d’étudiants de banlieue par la haute bourgeoisie, et, en  miroir,  sur le  regard que  portent ces derniers sur  un monde pourtant proche (géographiquement) qui leur  est  étranger. On pourrait ajouter sa dimension politique, évidente quoique implicite tout  au long du livre, déjà par le  seul choix du terrain d’enquête, plus  nette dans la conclusion  avec un plaidoyer pour l’université.

Avant d’examiner ces trois aspects, notons que  la lecture de l’ouvrage est aisée et agréable et la description  de nombreuses situations concrètes tient bien le lecteur qui  pourrait autrement être  lassé par les considérations d’ordre méthodologique ou quelques commentaires un  peu doctes ou péremptoires.  Ce livre  s’adresse donc à  un large  public  à qui  il  donne à  voir l’enquête  en  train de  se faire et c’est une  de ses qualités.

Dans le cadre de  ce  cours, il   s’agit  de faire découvrir   aux  étudiants  les différentes techniques d’enquête  en les éprouvant. Ainsi vont-ils successivement observer, compter, utiliser  un questionnaire, réaliser des entretiens… au  fil  des  chapitres.  Si  cela  se justifie d’un  point de vue pédagogique, l’absence  de dimension critique – l’auteur  semble convaincu de la complémentarité de celles-ci  –  pose question à un chercheur. La partie la plus faible de l’expérience me semble d’ailleurs être celle  sur la « mesure » et non pour des seules raisons liées à l’expérimentation (jours et heures par exemple). Remarquer par ce biais qu’il y a plus de femmes que d’hommes dans les parcs, et moins dans les cafés, par exemple, ne distingue en rien semble-t-il d’autres quartiers et  n’apporte aucune information. Quant à passer son après-midi à dénombrer les caméras de surveillance, qu’en dire… ? On peut seulement espérer  que l’expérimentation engendrera chez les étudiants cette dimension critique, notamment sur la pertinence et l’importance des statistiques que défend pourtant leur professeur.

Après avoir expérimenté, les étudiants devaient produire un écrit et une discussion collective s’ensuivait. L’auteur cite quelques extraits, relate quelques discussions mais  le lecteur qui s’intéresse à cet aspect-là sera un peu frustré de ne pas en savoir davantage. D’autant  plus que, ce faisant, l’auteur en vient à utiliser des sources de seconde main – les textes des étudiants – qu’il synthétise ; on peut alors regretter qu’il n’y ait pas co-rédaction.

La frustration évoquée tient sans doute à la triple ambition du livre qui au final devient un hybride qui reste  un peu à la surface des choses : même si les informations demeurent intéressantes, elles n’en sont pas moins toujours partielles : on en apprend un peu sur le monde des riches (mais beaucoup moins qu’en lisant Pinçon et Pinçon-Charlot), un peu sur le regard des étudiants, un peu sur l’enquête. Mais était-ce évitable puisqu’il s’agissait de rendre compte d’une expérimentation réalisée avec des étudiants ?

Colette Milhé