"Ce jour-là ne fut le jour de rien. justement. Pourtant il n'était pas pire que les autres. Pas de changement notable. Pas d'événement. Aucune surprise naissante. aucun début. Aucune fin. Aucun rebondissement. rien de flagrant, si ce n'était sa concordance tiède avec hier et demain. Lui, ne s'est pas levé transformé en cafard. Personne ne venait de mourir. il n'a pas décidé de changer quelque chose. ni de faire comme avant. Ni de regarder autrement. ni de regarder autre chose. il s'est levé avec le jour. il a suivi l'ascension graduée de la lumière. il a couru derrière. il a fait ce qu'il avait à faire. conservé ce qui pouvait être conservé. Protégé les siens. Fait les courses; ravalé ses insultes. Mis un pied devant l'autre. il a été un homme. un peu pénible. un peu bon. il ne fut ni honteux ni fier. Fatigué. comme chaque soir. A l'abri comme chaque soir. Plutôt content que les choses se passent normalement.
De là où il était, il pouvait veiller sur son monde. Sa place sur la terrasse. Sa chaise grise en plastique. Son cendrier. Le ciel. La porte. il savait que dedans, le temps avait ralenti avec l'arrivée du soir. Noé dormait à présent. Le calme était revenu. il entendait le bruit de l'eau des pâtes en train de bouillir dans la cuisine. De là où il était, la bataille insignifiante du jour était terminée. il avait droit au repos. Ses yeux allaient se perdre dans le vide qui se cache derrière la lumière. et c'était plutôt agréable de couler sur la surface, de s'enfoncer dans le coton du rien. De disparaître. Sans l'effort de comprendre ou de modifier quoi que ce soit. Ses yeux babillaient d'un reflet à l'autre et finissaient par rebondir dans le ciel gorgé d'eau. il avait plu toute la journée. De ces vives pluies d'avril qui rincent l'horizon. Dans la lumière du soir, le soleil avait recommencé à briller- ce qui donnait à ce crépuscule de faux airs d'aurore.
Au-dessus de sa tête, à perte de vue, l'immense bleu immense. Parsemé ici et là de ces beaux petits nuages dodus d'après l'orage. tous replets et joufflus. Bien gonflés d'eau et de lumière. Son regard, qui ne regardait rien précisément, s'attardait sur leurs formes, leurs densités, les nuances de leurs couleurs. Quelque chose le dérangeait, le réveillait soudain sans qu'il puisse le formuler. il se redressa sur sa chaise, plantant ses yeux dans les formes blanches avec virulence et énergie, mais le résultat fut le même. rien. Ce rien si confortable jusqu'à présent, cette absence générale d'acuité, de perception, de définition, dans laquelle il avait laissé légitimement aller sa fatigue et qui s'accordait si naturellement avec ce soleil finissant sur les choses et les hommes, ce vide molletonné ne pouvait pas s'appliquer ici. il redoubla d'efforts, plantant ses yeux dans les cumulus et les nimbus, énumérant toutes sortes de mots qui pourraient relancer la bête, la machine, l'imagination, passant d'un nuage à l'autre, presque frénétiquement. il fronça les sourcils. S'inquiéta. Peut-être même qu'une légère peur commença à l'envahir. Rien n'y fit. il ne parvenait plus à distinguer la moindre forme, le plus petit visage, dans les nuages.
Un cornichon de la taille d'un immeuble...Une femme à six pattes...Les traces de pieds d'un ogre...Un crocodile qui se mouche...Et un tracteur en train de fondre comme du beurre...Une citrouille avec des cornes...Un cow-boy qui rugit et se transforme en zèbre...Une patate avec une moustache...Une paire de seins...Le visage de Merlin l'enchanteur...Ils sont tous les deux couchés dans l'herbe. La semaine a fini par finir. Noé a posé sa tête sur le ventre de son père. Le soleil leur mordille la peau. il a essayé plusieurs fois d'enchanter la stratosphère depuis qu'il a eu cette étrange révélation. Sans succès. et tout d'un coup, ce matin, il a peur que Noé ait perdu cela aussi. Qu'il soit contaminé par ce virus de vide. il l'a entraîné dans le jardin, et après avoir suffisamment couru derrière le ballon, ils se sont retrouvés là, couchés dans l'herbe, à regarder le ciel. Alors il lui a demandé avec une appréhension contenue ce qu'il voyait se dessiner dans les nuages. Et Noé n'en finissait plus. Renard...Dragon...Chevalier...Château...indien...Navire...Montagnes russes...Sous-marin...Baobab...Hippocampe...Sorcière...Elephant...Rat géant...Pirate pouilleux...Vaisseau spatial...une carotte avec des lunettes de soleil.
.../..."
Thomas Vinau- extrait de: "La part des nuages" Alma Editeur-
"Me zo un den yaouank, ha na non ket galant
A oar skrivañ ha lenn, gounit aour hag archant
Ha me zisklêrio deoch ken vo fin dam (v)repoz
An hini choaz e vestrez, ne gousk na deiz na noz.
Boñjour deoch plach yaouank, setu me deut dho ti
Vit goulenn diganeoch, ya, bremañ dimeziñ
Daoust ha chwi lârfe din ha me ch ay da studiañ
Vit ur bloavezh pe zaou, pe an tri dan hirañ
Oa ket ar bloaz echuet, nag ha choazh an hanter
Pa meus resevet deus he dorn ul lizher
Ya, da lavaret din da zont dar gêr hep kontinañs
Kar ma zud am dimez, met me non ket kontant
Boñjour deoch plach yaouank, setu me deut dar gêr
Dre em eus resevet deus ho torn ul lizher
Ya da lavaret deoch hastet den em brepariñ
Kar me zo deut dar gêr evit hoch eurejiñ
Dre un all, den yaouank, keuz meus dhoch anzavet
Trement eo an amzer oan vit ho soulajiñ
Ha setu petra zo, na grit evet meus graet
Choazet ur vestrez-all, kar me zo dimezet
Me a choarvez ganin vel gant ur pelikan
Zo digort he chalon vit an holl war ar bed-mañ
Zo digort he chalon vit an holl lapoused
Kar me a gar an holl, ha gant den non karet. "