Comment se situer? Respecter le déni quand il se manifeste? Sans doute la meilleure manière d’être consiste-t-elle à être présent à ce que l’autre vit et à l’écouter. Le laisser parler de ce qui se passe en lui.
L'annonce du cancer est toujours un choc. Pour le malade, pour ses proches. Car le mot même véhicule une menace. On sait qu’une partie des cancers se guérissent, mais il y a tous ceux qui mènent inéluctablement vers la mort.
Cette menace, comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête d’un être qu’on aime, déclenche toute une cascade d’émotions, qui ont été répertoriées depuis longtemps. Tout le monde, ou presque, a entendu parler des étapes par lesquelles passent la personne atteinte d’une maladie grave et ses proches : la sidération, le déni, la colère ou la révolte, le marchandage, la dépression, et enfin la résignation ou parfois l’acceptation.
C’est la psychiatre américaine, aujourd’hui décédée, Elisabeth Kübler-Ross, qui les avait observées quand
elle était au chevet de ses patients cancéreux. Connaître le processus par lequel passe notre proche malade aide à l’accompagner. Respecter le déni quand il se manifeste, car il est une manière de se défendre d’une réalité trop difficile à accepter. Combien de personnes n’arrivent pas à croire à ce qui leur arrive ! Il y a dans le déni une force qui aide à vivre pendant un temps. On croit que ce n’est pas si grave, et que l’on va s’en sortir. Pour les proches, qui connaissent le dossier et auquel le médecin a parlé franchement, c’est assez difficile de faire face à ce mode de défense. Comment se situer? Ne va-t-on pas entrer dans une comédie du mensonge en faisant comme si ce n’était pas grave? Est-on en droit de confronter l’autre à une réalité qu’il ne veut pas voir?
RESPECTER CE QUI NOUS PARAÎT ILLUSOIRE
Sans doute la meilleure manière d’être consiste-t-elle à être présent à ce que l’autre vit et à l’écouter. Le laisser parler de ce qui se passe en lui. S’il est animé par un faux espoir, se dire qu'il a besoin de cela pour avancer. Respecter,
mais ne pas alimenter ce qui nous paraît illusoire. Je me souviens d’une patiente en phase terminale d’un cancer qui ne cessait de parler du jour où elle irait mieux et des rêves qu’elle faisait pour son rétablissement. J’avais conseillé aux proches de lui dire qu’ils étaient heureux de la voir ainsi pleine d’énergie et si vivante. Ce n’est pas mentir que de soutenir la pulsion de vie de celui qui, pourtant, est aux portes de la mort. Et puis, un soir, elle s’est mise à pleurer. Son mari était près d’elle. Elle lui a dit qu’elle était foutue. Il ne l’a pas contredite. Il l’a prise dans ses bras, et lui a dit qu’il l’aimait. C’était bien. C’était suffisant. Le fait de manifester son amour et sa présence l’a infiniment mieux rassurée que s’il lui avait dit : « Qu’est-ce que tu racontes? »
Il arrive que la personne gravement malade demande combien de temps il lui reste à vivre. Personne ne peut répondre à une telle question, car le mystère des corps est entier. Mais on peut dire : « Ton état est grave, mais le temps qui te reste à vivre t’appartient. Qu’est-ce qui est important pour toi pour le temps qu’il te reste? »
Parfois, la personne peut demander qu’on mette fin à sa vie. C’est une demande qu’il faut écouter. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille accéder à la demande, car celle-ci masque la plupart du temps une souffrance insuffisamment soulagée, ou bien une question existentielle: est-ce que ma maladie ou mon agonie ne sont pas trop lourdes à porter pour vous, qui m’accompagnez? Tant de personnes gravement malades ont le souci de ne pas peser trop lourd sur leurs proches. Aider dans ce cas, c'est savoir dire à l’autre tout ce que cet accompagnement nous apporte, sur le plan affectif, sur le plan personnel.
LA PRÉSENCE EST TOUT CE QUE NOUS POUVONS DONNER
Accompagner un être cher qui va bientôt partir et nous manquer est une expérience irremplaçable. Tant de mots que l’on n’a pas su dire qui viennent aux lèvres! Tant de gestes spontanés d’affection! Tout cela donne du sens à ce temps qui précède la mort, et dont on pense à tort qu’il est inutile et pénible.
Et puis, il faut savoir dire au revoir. Je me suis souvent demandée pourquoi tant de personnes en agonie restaient suspendues entre la vie et la mort, dans un coma léger. Elles semblaient attendre quelque chose : un mot, un geste, une visite qui les libèrent et leur permettent de mourir. C’est pourquoi il ne faut pas avoir peur de parler à celui qui semble dormir et ne pas être là. Car nous ne savons pas vraiment ce qui se passe dans les tréfonds de l’être qui dort.
J'ai vécu trop d’expériences qui m’ont prouvé que le caractère affectif des mots et des gestes était reçu, pour ne pas encourager tout proche à laisser parler son cœur et faire ce qu’il sent devoir faire en son âme et conscience.
Je me souviens même d’avoir poussé une femme qui avait envie de monter dans le lit où sa sœur était en train de mourir, à suivre son intuition. Elle s’est allongée dans le dos de sa sœur et l’a entourée de ses bras. La femme qui était en train de mourir et semblait manifestement angoissée s’est immédiatement apaisée. La présence physique, corporelle, tactile, est un outil merveilleux. On sait qu elle constitue comme une deuxième peau qui entoure l’être angoissé d’une coque protectrice. La présence est tout ce que nous pouvons donner. C'est à la fois peu et beaucoup.
source : la belle revue "Reflets n°15"
Marie de Hennezel est psychologue, psychothérapeute et écrivaine. Elle a travaillé pendant dix ans dans la première unité de soins palliatifs de France, créée en 1987 à l’Hôpital international de la Cité Universitaire de Paris. Elle relate de l’expérience acquise dans ce service, dans son ouvrage La mort intime, éd. R. Laffont, préfacé par François Mitterand, quelques mois avant sa mort. Marie de Hennezel anime des séminaires de formation à l’accompagnement des mourants.