Assises internationales du roman: Les romanciers parlent aux lecteurs

Publié le 01 juin 2008 par Mgallot

A Lyon se sont tenues cette semaine les assises. Pas de grand procès criminel, non, mais une réunion géante de romanciers venus du monde entier pour débattre et s'expliquer, les assises internationales du roman, seconde édition. "Assises", je ne sais pas si vous l'avez remarqué comme moi, mais le mot est à la mode:assises du journalisme, assises du numérique, on s'assoit beaucoup en ce moment.

J'ai assisté à deux soirées des assises du roman. La 1ère, jeudi soir, réunissait autour du thème du "roman puzzle" les Français Geneviève Brisac et Eric Rheinardt, l'Argentin Rodrigo Fresan et l'Irlandais Joseph O'Connor (grand frère de Sinhead, la chanteuse). La 2ème dimanche réunissait autour du thème du "roman de formation" la Finlandaise Monika Fagerholm, l'Américain Jonathan Lethem, l'Espagnol José Carlos Llop et Alain Fleischer.

Les écrivains ne m'intéressent jamais autant que quand ils évoquent leur expérience de l'écriture, sans chercher à tout prix à théoriser, ce qui n'est pas exactement leur métier (bien que certains écrivains puissent être d'excellents théoriciens, sans doute, et inversement? mais lesquels, finalement?) Quand les écrivains peuvent dire qu'ils ne savent pas, qu'ils hésitent, qu'ils doutent, quand ils peuvent être sincères et parler de leur pratique, et finalement d'eux-mêmes en tant qu'écrivains, je les trouve bien plus convaincants que quand ils se substituent à des universitaires pour nous refaire l'Histoire de la littérature ou se lancer dans une réflexion sur la notion de genre.

Ce sont peut-être là les limites de manifestations comme les assises du roman, un travers sans doute difficile à éviter pour un rendez-vous qui se veut de haut niveau et est coorganisée par Le Monde des livres. Souvent les assises placent le romancier dans la peau d'un théoricien, ce que certains auteurs ne manquent pas de relever, se soustrayant ainsi à une demande impossible (ce fut le cas cette année par exemple de David Peace, invité pour parler de la "zone d'inconfort", dans un débat retransmis à la radio, et l'an dernier de Giuseppe Culicchia qui s'excusa en disant qu'il avait "fait comptable" et ne pouvait être aussi brillant que la journaliste spécialisée qui relevait une incohérence dans ce qu'il avait dit).

Les réponses à des questions telles que "quelle est la différence entre le roman de formation allemand et le roman de formation français? Pourquoi le roman-puzzle est-il la forme privilégiée par certains écrivains contemporains? Est-ce effet de mode ou cela correspond-il à une nécessité? Une forme trop compliquée ne risque-t-elle pas d'égarer le lecteur? L'attrape-coeurs de Salinger est-il un roman de formation?" relèvent-elles de l'écrivain? C'est demander à un artiste d'être aussi l'analyste de sa propre oeuvre ou de celle des autres, comme si pour écrire il ne fallait pas, justement, se départir de ce point de vue qui est jugement, par essence, et se positionner autrement. C'est les condamner à répéter ce que l'on a déjà entendu en la matière, pour peu qu'on ait fait quelques études littéraires et/ou lu des écrits théoriques sur le sujet.

Est-ce pour entendre cela que l'on vient aux assises du roman? Je ne peux rien dire des autres personnes du public, mais en ce qui me concerne, la réponse est non.

Heureusement, à certains moments, les écrivains refont surface. Et je sors de ma torpeur, les neurones réactivés. C'est Eric Rheinardt expliquant comment il a composé son roman Cendrillon en faisant un montage à la manière d'un cinéaste. C'est Jonathan Lethem racontant qu'il est père depuis une semaine, et s'interrogeant sur la manière dont cette expérience nouvelle pourrait transformer son écriture. C'est Alain Fleischer décrivant comment son livre autobiographique L'Amant en culotte courte a été excavé de sa mémoire alors qu'il n'en affleurait qu'une résurgence, comment, imitant l'archéologue, il a creusé pour extraire 600 pages auxquelles il aurait pu en ajouter encore 200!

Pour peu qu'on leur laisse de l'AIR (acrostiche pour Assises Internationales du Roman, visible sur l'affiche), pour peu que les animateurs du débat ne cherchent pas à travers eux à se glorifier de la pertinence de leur lecture, les écrivains sont tout disposés à parler de leur art en artisans, en hommes sans toques et sans étiquette.

Et là, enfin, ça vit, ça bouge, ça étonne aussi souvent...et rien que pour ces 5 minutes-là, je ne regrette pas d'être venue!