Par arrêt rendu ce 8 avril 2015, la Cour de cassation a adopté une solution particulièrement exigeante pour les propriétaires de terrains à la surface desquels sont exploités une installation classée. Le propriétaire ne peut exiger une remise en état du site de la part de son locataire dernier exploitant alors qu'il a manifesté son intention de poursuivre l'exploitation. Un arrêt qui impose certaines précautions au propriétaire.
Les faitsDans cette affaire, M. X a exploité pendant plusieurs années une station-service sur un terrain dont il était propriétaire.
Puis, il a donné ce fonds en location-gérance à la société E. pour une durée de dix-huit ans. Au terme de cette période, cette société a écrit à M. X qu'elle n'avait pas l'intention de reconduire le contrat de location-gérance. Elle a également "effectué des investigations qui ont révélé la présence d'une pollution d'hydrocarbures".
M. X. a alors assigné cette société E. pour qu'elle remette en état le site en application des dispositions du code de l'environnement et en paiement d'une indemnité d'occupation jusqu'à la fin des travaux.
La responsabilité de principe du dernier exploitantL'arrêt rendu ce 8 avril 2015 précise tout d'abord qu'il appartient bien au dernier exploitant classée de procéder à la remise en état de son site, après la mise à l'arrêt de son installation classée, conformément à l'article L.512-17 du code de l'environnement :
"Mais attendu qu'ayant exactement retenu qu'en application de l'article L. 512-17 du code de l'environnement, la remise en état du site lorsque l'installation est mise à l'arrêt définitif incombe au dernier exploitant (...)
Le propriétaire ne peut exiger une remise en état en cas de "manifestation d'intention" de poursuite d'exploitationDans ce cas d'espèce, le dernier exploitant est la société E., locataire (location gérance) de M.X propriétaire du site. En principe, le propriétaire peut donc exiger une remise en état de la part de son locataire dernier exploitant. Le présent arrêt souligne une exception. Ainsi, le propriétaire ne peut exiger cette remise en état lorsqu'il a "manifesté son intention" de poursuivre son exploitation.
La Cour de cassation relève que la Cour d'appel, dont l'arrêt est critiqué devant elle :
a "souverainement relevé, sans dénaturer le procès-verbal de constat, que les consorts X..., qui avaient manifesté leur intention de reprendre l'exploitation par eux-mêmes ou par l'intermédiaire d'un repreneur et sollicitaient la remise du site en état d'un usage conforme à la dernière exploitation de station service, n'établissaient pas que la fin de la location-gérance par la société Esso impliquait une cessation définitive d'activité, la cour d'appel, qui n'a pas modifié l'objet du litige ni méconnu le principe de la contradiction, a pu en déduire que la demande des consorts X...de la condamnation de la société Esso à la dépollution du site devait être rejetée ;" (nous soulignons)
Rejet de la demande d'indemnisation pour "perte de chance d'exploiter"Au cas présent, le propriétaire avait présenté une demande de condamnation de son locataire pour perte de chance d'exploiter la station service sous une autre enseigne.
La demande est rejetée car le propriétaire ne rapporte pas la preuve que la continuation de l'exploitation était devenue impossible :
"Mais attendu qu'ayant retenu que les consorts X...ne rapportaient pas la preuve que la continuation de l'exploitation du fonds de station-service était devenue impossible en raison de la pollution du sol et qu'ils n'établissaient pas la responsabilité de la société Esso dans la renonciation de la société BP à toute installation de son enseigne, la cour d'appel a pu en déduire que leur demande de dommages-intérêts devait être rejetée ;"
Cet arrêt appelle les observations suivantes.En premier lieu, le propriétaire doit être vigilant dans le choix du fondement juridique de la demande de dépollution qu'il adresse à son locataire dernier exploitant.
Dans cette affaire, à la lecture de cet arrêt, la demande de remise en était présentée par le propriétaire était précisément fondée sur l'article L.512-17 du code de l'environnement. La solution adoptée par le Juge aurait sans doute été différente si le propriétaire avait choisi un autre fondement pour sa demande de dépollution. Au cas présent, la Cour de cassation n'a pu que constater que la remise en état est liée à une cessation d'activité, laquelle ne pouvait être organisée dés l'instant où le propriétaire souhaitait poursuivre l'exploitation.
En deuxième lieu, cet arrêt est tout de même très rigoureux pour le propriétaire. En effet, ce dernier n'avait que "manifesté son intention" de poursuivre l'exploitation de la station service. En d'autres termes, aucune procédure de changement d'exploitant ne semble avoir été formellement engagée auprès de l'autorité administrative compétente.
Au surplus, la preuve de cette "manifestation d'intention" du propriétaire poursuivre l'exploitation procédait d'un procès verbal qui n'a pas été lu de la même manière par toutes les parties. La Cour de cassation n'a cependant pas remis en cause l'interprétation retenue par la Cour d'appel, souveraine dans son appréciation de cet élément.
Il apparaît donc qu'une simple "manifestation d'intention" révélée par un document non directement rédigé par le propriétaire et dont l'interprétation est contestée par ce dernier, suffit à démontrer que le locataire dernier exploitant n'est pas tenu d'une obligation de remise en état.
Les propriétaires doivent donc faire très attention à ne pas exprimer une "intention" de poursuivre l'exploitation tant que leur décision n'est pas clairement et définitivement arrêtée. Car cette manifestation d'intention peut leur être opposée par le locataire pour démontrer qu'une procédure de cessation d'activité n'est pas exigible.
En troisième lieu, si le propriétaire entend demander une indemnisation pour "perte de chance d'exploiter", il doit rapporter la preuve de l'impossibilité physique de pouvoir continuer l'activité.En d'autres termes, l'absence de remise en état ne constitue pas une preuve suffisante, a fortiori lorsque celle-ci n'était pas exigible de la part du propriétaire.
En quatrième lieu, il convient d'avoir présent à l'esprit que le présent litige oppose des personnes privées. En d'autres termes, si le propriétaire ne peut ici exiger une remise en état au titre de l'article L.512-17 du code de l'environnement, rien ne dit que l'administration n'entendra pas adresser une telle injonction au locataire pris en sa qualité de dernier exploitant.
Une chose est certaine, l'administration doit toujours être dûment informée et associée aux relations entre propriétaires et locataires lorsque le litige éventuel peut avoir pour cause l'application des dispositions de la police de l'environnement.
___________________________________________
Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 8 avril 2015
N° de pourvoi: 14-14385
Non publié au bulletin Rejet
M. Terrier (président), président
SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 juin 2013), que M. X...a exploité de 1979 à 1991 une station-service sur un terrain dont il était propriétaire ; que par acte notarié du 27 septembre 1991, il a donné ce fonds en location-gérance à la société Esso Saf (Esso) pour une durée de dix-huit ans expirant le 30 septembre 2009 ; que le 10 octobre 2007 puis le 1er décembre 2008, la société Esso a fait savoir à M. X...qu'elle n'avait pas l'intention de reconduire le contrat de location-gérance ; que la société Esso a effectué des investigations qui ont révélé la présence d'une pollution d'hydrocarbures située au droit d'une zone de distribution de carburants entre 0, 3 et 6 mètres de profondeur à proximité des eaux souterraines sans les affecter mais n'excluant pas une migration future des polluants vers ces eaux présentant un risque de pollution des captations d'eaux voisines ; que la société Esso a cessé son activité à la fin du contrat de location-gérance sans en demander le renouvellement ; que M. X...l'a assignée pour qu'elle remette en état le site en application des dispositions du code de l'environnement et en paiement d'une indemnité d'occupation jusqu'à la fin des travaux ; que M. X...est décédé en cours de procédure laissant pour lui succéder sa veuve et ses héritiers (les consorts X...) ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les consorts X...font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de condamnation de la société Esso à procéder à la dépollution du site et au paiement d'une indemnité d'occupation, alors, selon le moyen :
1°/ que la dépollution d'un site sur lequel est exploitée une installation classée incombe au dernier exploitant ; qu'il en va ainsi même si le propriétaire bailleur du dernier exploitant, a dans un premier temps manifesté son " intention " de reprendre l'exploitation, dès lors qu'il est établi que cette intention n'a jamais été concrétisée et que le site n'est plus exploité ; qu'en refusant de condamner la société Esso à procéder à la remise en état du site, après avoir constaté, qu'il était établi qu'après la cessation de son activité par la société Esso, ni M. et Mme X...ni les consorts X...ne se sont déclarés comme exploitant, et que la déclaration d'exploitation est devenue caduque en raison du défaut d'exploitation de la station-service pendant deux ans, ce dont il résulte que la société Esso était bien le dernier exploitant du site et partant qu'elle était tenue de procéder à sa remise en état, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et partant a violé l'article L. 512-17 du code de l'environnement ;
2°/ qu'il résulte des déclarations de M. Y... mentionnée dans le procès-verbal de constat du 30 septembre 2009 selon lesquelles " il n'y aura pas de reprise d'activité par M. X..." la manifestation claire et précise de l'intention de ce dernier de ne pas reprendre l'exploitation de la station-service ; qu'en énonçant que cette déclaration ne traduirait pas cette intention et que ni M. X...ni les consorts X...n'auraient jamais manifesté leur intention de ne pas reprendre l'exploitation, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce procès-verbal et violé l'article 1134 du code civil ;
3°/ qu'en fondant sa décision sur la circonstance que les consorts X...n'auraient jamais manifesté leur intention claire de ne pas reprendre l'exploitation pour eux-mêmes ou par l'intermédiaire d'un repreneur, quand la société Esso admettait au contraire expressément que M. X..." a pris la décision de ne pas reprendre l'exploitation à compter du 1er octobre 2009, de licencier le personnel de la station et de laisser une station désaffectée depuis deux années consécutives " et qu'il a ainsi " mis à l'arrêt définitif les installations considérées ", la cour d'appel a dénaturé le cadre du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
4°/ que la société Esso admettait expressément que M. X..." a pris la décision de ne pas reprendre l'exploitation à compter du 1er octobre 2009, de licencier le personnel de la station et de laisser une station désaffectée depuis deux années consécutives " et qu'il a ainsi " mis à l'arrêt définitif les installations considérées ", ce dont elle déduisait que la charge de la dépollution du site devait peser sur M. X..., en énonçant que " M. X...père est donc le seul débiteur de l'obligation de remise en état environnemental du site d'implantation de la station service ; " ; qu'en décidant au contraire, que c'est parce qu'ils n'auraient jamais manifesté leur intention claire de ne pas reprendre l'exploitation pour eux-mêmes ou par l'intermédiaire d'un repreneur, que les consorts X...devraient supporter la dépollution du site, sans rouvrir les débats pour permettre aux consorts X...de s'expliquer sur ce moyen nouveau puisque contraire à celui soutenu par la société Esso, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant exactement retenu qu'en application de l'article L. 512-17 du code de l'environnement, la remise en état du site lorsque l'installation est mise à l'arrêt définitif incombe au dernier exploitant et souverainement relevé, sans dénaturer le procès-verbal de constat, que les consorts X..., qui avaient manifesté leur intention de reprendre l'exploitation par eux-mêmes ou par l'intermédiaire d'un repreneur et sollicitaient la remise du site en état d'un usage conforme à la dernière exploitation de station service, n'établissaient pas que la fin de la location-gérance par la société Esso impliquait une cessation définitive d'activité, la cour d'appel, qui n'a pas modifié l'objet du litige ni méconnu le principe de la contradiction, a pu en déduire que la demande des consorts X...de la condamnation de la société Esso à la dépollution du site devait être rejetée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que les consorts X...font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de condamnation de la société Esso à des dommages-intérêts pour la perte de chance d'exploiter la station service sous l'enseigne BP, alors, selon le moyen, qu'en excluant la preuve de la responsabilité de la société Esso à l'origine du refus de la société BP de reprendre l'exploitation de la station service, tout en constatant que c'est en raison de la pollution du site laquelle est consécutive à l'exploitation de la station-service par la société Esso, que la société BP qui n'entendait pas prendre en charge les frais de dépollution, avait refusé de reprendre l'activité, la cour d'appel a refusé de tirer les conséquences de ses propres constatations au regard des articles 1728, 1731 et 1147 du code civil qu'elle a violés ;
Mais attendu qu'ayant retenu que les consorts X...ne rapportaient pas la preuve que la continuation de l'exploitation du fonds de station-service était devenue impossible en raison de la pollution du sol et qu'ils n'établissaient pas la responsabilité de la société Esso dans la renonciation de la société BP à toute installation de son enseigne, la cour d'appel a pu en déduire que leur demande de dommages-intérêts devait être rejetée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts X...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille quinze.