Lorsque le Crédit Agricole Centre Ouest lance une offre « 100% digitale » à destination des agriculteurs, notre curiosité est naturellement éveillée. Hélas, bien que l'idée d'origine semble effectivement pouvoir répondre à un besoin avéré et clairement identifié, son exécution laisse fortement à désirer et « e-@ppro » déçoit profondément.
Le point de départ de la réflexion engagée par la caisse régionale était pourtant plein de bon sens. Comme beaucoup d'autres entrepreneurs, les responsables d'exploitation agricole sont souvent confrontés à des difficultés de trésorerie – particulièrement sensibles lorsque la vente des récoltes intervient longtemps après les investissements nécessaires pour les obtenir – auxquelles la banque est naturellement en position de répondre par des mécanismes d'avance relativement classiques.
Bienvenue, également, la prise de conscience que les horaires d'ouverture des agences ne sont pas adaptés aux exigences et aux contraintes du métier de ces clients (mais à qui conviennent-ils donc, finalement ?) et qu'il faut donc leur faciliter l'accès à distance aux services, en profitant de leur adoption croissante des outils numériques. Incidemment, la banque n'hésite pas non plus à confirmer qu'elle veut dégager ses conseillers des tâches administratives (notamment de saisie de formulaires) de sorte qu'ils puissent se consacrer à des activités à plus forte valeur ajoutée.
Face à ces défis, la réponse apportée par le Crédit Agricole paraît encore parfaitement ajustée. L'agriculteur convient, avec son banquier, d'une enveloppe annuelle – comprise entre 50 et 100 000 euros – pour ses besoins d'approvisionnement (en engrais, semences, alimentation du bétail…). Par la suite, dès qu'il a une facture à régler, il peut débloquer la somme correspondante afin d'honorer ses échéances. Le remboursement de ces avances intervient plus tard, à l'issue de la vente de la production.
Partant de ce cahier des charges, on imagine alors, idéalement, une application mobile (très) simple, permettant de capturer la photo d'une facture à financer et de la joindre à la demande d'avance, avec une réponse (et un dépôt des fonds) dans les minutes qui suivent. Euh… non. En fait, l'agriculteur doit numériser la facture, l'envoyer par messagerie électronique et, évidemment, attendre « quelques » heures que, vraisemblablement, une personne prenne soin de vérifier son dossier et le traite.
J'ai peut-être une vision déformée (de citadin) de la réalité de la population rurale, toujours est-il que je ne vois définitivement pas en quoi l'exigence de scanner un document et de l'envoyer par mail lui serait plus accessible que la solution que je propose. À la limite, je veux bien passer sur le délai de réponse, dont la réduction demanderait une évolution majeure des habitudes (manuelles) de la banque. Mais que diable ! Une offre un tant soit peu « digitale » (et ce n'est pas moi qui ai choisi ce terme pour en parler) pourrait faire un peu plus d'efforts en faveur de l'expérience client.
Plus largement, je soupçonne qu'il existe une certaine forme de discrimination dans les banques, qui consiste à assumer que les provinciaux sont réfractaires aux technologies et, au contraire, attachés aux traditions. Certes, il est probable que des technophobes et des personnes modestes restent à l'écart de la révolution numérique et il est même possible qu'ils soient plus nombreux hors des grandes métropoles. Cependant, à l'inverse, la majorité – équipée comme le reste de la population – serait sans doute encore plus intéressée à disposer de toute la banque au bout des doigts…