Et pourtant la visite commentée menée par Jérôme Godeau, jardinier des plates-bandes et des esprits, et co-commissaire de l'exposition, a démontré tout le contraire. On se demande même comment personne n'a pu songer plus tôt à retracer l’histoire de ce secret d’atelier.
Une série de manifestations, d'ateliers et de visites spéciales est programmée. Je vous invite notamment à suivre celle du samedi 16 mai à 19h, à l’occasion de la Nuit des Musées, conduite par Jérôme Godeau, sans réservation, dans la limite des places disponible.
Avant de descendre dans l'espace dédié aux expositions je me suis attardée parmi quelques œuvres du musée qui mérite une visite particulière où je vous emmènerai dans quelques jours. J'ai eu la chance de le voir aussi à la nuit tombée alors que le gigantisme des statues devenait impressionnant.
Dans le jardin, la Vierge à l'Offrande (1919-1922), bronze, épreuve numéro 1 exécutée par Rudier vers 1930, accompagne le Centaure mourant, modèle imberbe, (1911-1914), bronze, épreuve d'artiste numéro 2 exécutée par Coubertin en 1986, que j'avais déjà vu près de l'église Saint-Jacques à Montauban.
En découvrant le mannequin au seuil de l’atelier, le spectateur était donc invité à passer de l’autre côté du miroir, dans l’intimité de la création. Alan Beeton participa au premier conflit mondial dans la section de camouflage de l’armée française. Il exposa ses peintures pour la première fois à la Royal Academy of Arts de Londres en 1923, à quarante ans passés. Initialement, Beeton s’était imposé comme portraitiste, réputé pour son sens du détail. Dans la série qui est montrée dans l'exposition il représente le mannequin tel qu’en lui-même, dans l’intimité de l’atelier.
Le peintre n’ignorait pas le rôle que jouait le mannequin dans la peinture métaphysique de Giorgio de Chirico (1915), ni dans le Manifeste du surréalisme (1924) d’André Breton. À l’inverse de ses contemporains, le mannequin de Beeton cohabite en toute quiétude avec son portraitiste comme s'il était "le meilleur ami de l’artiste".
Il est très semblable à la Gliederpuppe, vers 1550, Statue en buis, Anonyme, Allemagne, milieu du 16ème, Collection particulière, Londres. Cette "poupée articulée" comme toutes les Gliederpuppen sont des sculptures miniatures d’une très grande finesse d’exécution et nettement sexuées.
La radiographie a révélé une structure interne très savante. Ses membres sont reliés, par un système interne de crochets et de ficelles, à des rotules en bois tourné qui permettaient de les faire bouger individuellement, jusqu’aux minuscules doigts des mains et des pieds.Son parfait état de conservation laisse penser qu'elle a sans doute appartenu à un "cabinets de curiosités", comme précieux objet de collection, aussi convoité que troublant.
Le mannequin d’artiste, ses métamorphoses et sa troublante présence scandent le parcours de l'exposition comme un leitmotiv, fil conducteur et repère physique et mental . Le catalogue, conçue par la commissaire Jane Munro, conservatrice au Fitzwilliam Museum et directeur d’études en histoire de l’art à l’Université de Cambridge, est remarquablement documenté. Il retrace cette évolution et s’appuie sur une iconographie variée et souvent étonnante (peintures, dessins, brevets d’invention et schémas, photographies...), brassant ainsi plusieurs siècles d’histoire de l’art, en progressant de façon chronologique,.
Cette scène en trois dimensions était ensuite recouverte d'une boite, fermée sur ses cinq faces ; des volets, découpés sur le côté, permettaient d'éclairer la composition et de distribuer des plages d'ombre ou de lumière. Un œilleton avait été percé sur le devant de la boite, afin d'observer l'ensemble à distance, avant de passer au dessin préparatoire qui servait de base au tableau final, ici l'Extrême-Onction. qui fut le motif de la dernière peinture de la série.
Les mannequins d’artistes de la Renaissance s’apparentaient à de petites statues conçues elles aussi pour être habillées ou drapées, mais à des fins religieuses ou rituelles. Dans l’Italie et l’Espagne des XVe et XVIe siècles, des figures polychromes représentant le Christ, la Vierge ou les saints, appelées "sculture da vestire" ou "tallas da vestir",étaient des objets de dévotion. Ces figures cultuelles, généralement constituées d’un simple bâti en bois recouvert de stuc et de papier mâché, dotées de bras amovibles, arboraient des tenues de cérémonie et des bijoux lors des grandes fêtes religieuses. Les chaussures, les bas et la culotte peints en rouge laissent supposer que ce Saint enfant martyr était vêtu d’un manteau ou d’une petite cape assortie.
Parfaite incarnation de la beauté néoclassique, il encourageait les étudiants à poursuivre l’idéal de l’Antique. Évoquant le visage d'une des plus anciennes sculptures de la Grèce antique, l'aurige de Delphes. D'un poids d'environ 80 kilos, il a été difficile de l’asseoir Il a servi à des générations d'étudiants en quête du corps idéal.
Des pages de l'encyclopédie de Diderot lui sont consacrées. Robuste, obéissant et, par bonheur, muet, le mannequin d’artiste tenait la pose comme personne. Dès le XVe siècle, sa présence dans les ateliers de sculpteurs et de peintres devint indispensable, au même titre que le burin, la sellette, le pinceau, la palette et le chevalet. On recommandait l’usage d’une "petite figure de bois aux membres articulés" pour apprendre à dessiner les draperies "di naturali" si l’on voulait représenter avec vraisemblance le tombé d’un drapé. Michel-Ange,Titien, Poussin, Degas, Courbet, les préraphaélites,Cézanne... les plus grands maîtres usèrent de cet accessoire, invisible une fois l’œuvre achevée.
Dans le double portrait des enfants Lloyd, (Heneage LIoyd et sa sœur Lucy, vers 1750, Huile sur toileFitzwilliam Museum, Cambridge) rien n’atteste l’usage de mannequins, sinon l’élégance éthérée des deux petits modèles et la distinction – un rien guindée – de leur maintien.
La figure de l’hystérique hantait l’imaginaire du XIXe siècle et suscita la mise en scène de véritables "tableaux vivants" à la Salpêtrière, entre 1863 et 1893. Le professeur de médecine Jean-Martin Charcot (1825-1893) utilisait ses patientes comme autant de mannequins pour dépeindre toutes les postures de la grande crise hystérique. Yeux grands ouverts, visage impassible, posture catatonique : mannequinée à volonté, la patiente en état de catalepsie devenait le modèle parfait du "corps hystérique".
Au second plan, reconnaissable à ses favoris blancs, le neurologue Jules-Bernard Luys (1828-1897), chef de service à l’hôpital de la Charité, conduit la séance au milieu d’un petit cercle d’élèves et de collègues. La comparaison s’impose entre ces malades, obéissant corps et âme au contrôle du médecin-opérateur, et le mannequin d’artiste, manipulé à l’envi par le peintre.
Du mannequin à la poupée il n'y a qu'un pas que l'exposition met en lumière avec des pièces uniques, comme Autoportrait au chevalet, 1922, Huile sur toile (Léopold Collection II, Vienne) d'Oskar Kokoschka, 1886-1980. Malheureusement sa reproduction est impossible sur le blog pour des questions de droit.
Comme vous le verrez en visitant l'exposition la tension de l'étrange relation entre les personnages éclate dans le choc des couleurs primaires – rouge, bleu, jaune – distribuées en larges plages vibrantes. Tandis que la créature inanimée ouvre "des yeux sans fin", charbonneux et vides, l’artiste tend au spectateur un masque halluciné.
Les mannequins ont aussi investi les vitrines, faisant probablement dire à Colette "Mes musées sont tes vitrines, ô Paris !". A mesure que les grands magasins étendaient leur empire dans la seconde moitié du XIXe siècle, le rôle du mannequin devenait stratégique pour attirer et retenir le chaland. Les tenues et les accessoires de mode étaient d’autant plus convoités qu’ils étaient portés par cette figure artificielle, si parisienne.
Cette exposition invite à jeter un œil nouveau sur le travail des plus grands artistes. A la fin du parcours le visiteur s'interroge légitimement sur la dématérialisation vers laquelle on se projette. On pense à la poupée Barbie et bien sûr à l'accélération facilitée par les réseaux sociaux.
Un grand nombre de propositions complémentaires ont faites au public jusqu'en juillet : Nuit des musées, visites-conférences, rendez-vous aux jardins, Intervention des danseurs des conservatoires de Paris, cycles d'ateliers, pour enfants, adolescents et adultes, programmation spécifique au cinéma les 7 Parnassiens.
Crédit des photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue :
Romano Alberti, dit « Il Nero de Sansepolcro », vers 1521-1568
Saint enfant martyr, milieu du XVIe siècle
Statue polychrome en stuc et papier mâché, bâtie autour d’une âme de bois
Courtesy of Patricia Wengraf Ltd, Londres
Thomas Gainsborough, 1727-1788
Heneage LIoyd et sa sœur Lucy, vers 1750, Huile sur toile
© Fitzwilliam Museum, Cambridge
Georges Moreau de Tours, 1848-1901
Les Fascinés de la Charité, 1889, Huile sur toile
© Musée des Beaux-arts de la Ville de Reims / Photo: C. Devleeschauwe
Dr. Louis Auzoux, 1797-1880
Modèle anatomique masculin, Fin du 19ème siècle.
Papier mâché, plâtre, armature en fer, peinture, vernis et métal.
© British Dental Association Museum, London
Herbert List, 1903-1975
Mannequin de couturière, Londres, 1936, Tirage argentique
© Musée d’Art moderne de la Ville de Paris/Roger Viollet
© M. Scheler- Herbert List Estate
Man Ray, 1890-1976, Lydia et les mannequins, 1932
Epreuve gélatino-argentique RMN Dist - Centre Georges Pompidou – Musée national d’art
moderne / Centre de création industrielle, Paris © MAN RAY TRUST / ADAGP, Paris 2015