~ d'après LE BAPTÊME (b) de Maupassant
Dans un village du Morbihan, J'ai vu un drame de l'alcool saisissant. À l'époque, j'avais une propriété Près de Pont-l'Abbé. Un ancien marin Cultivait mon jardin Et dans une aile, je logeais Une famille composée De deux sœurs et du mari de l'une d'elles.
Pendant un de mes séjours, à Noël, L'une des sœurs accoucha d'un bébé, un beau bébé. Elle l'appela Nicolas. La date du baptême fut fixée Au deux janvier. Le mari vint me demander D'être parrain, et m'emprunter Dix francs pour régler Les frais de la cérémonie. La terre était couverte d'un blanc tapis. À neuf heures du matin, Le père, Yann Viarde Et sa belle-sœur Kermantin Arrivaient chez moi avec une garde Portant le bébé. En voyant le nouveau-né, je fus effrayé : Il n'était vêtu que d'une chemise.
Nous voilà partis pour l'église. Il faisait un froid à fendre les dolmens. Moi, je pensais au pauvre petit être Et me disais : '' vraiment, Les Bretons sont bâtis en fer Pour que, par ce froid, un de leurs bébés Puisse supporter un tel trajet.'' En arrivant, On dévêtit l'enfant. On le mit nu, le misérable, tout nu, Dans l'air gelé. À la garde Je déclarai, Tout à fait révolté : -" Mais vous êtes folle ! Vous allez le tuer. " -" Oh non ! Faut qu'il reçoive l'bon Dieu tout nu. C'est l'usage. Si on ne le respectait pas Il arriverait malheur à Nicolas. "
Le petit devenait violet. Je me fâchai Et voulus, de force, couvrir le bébé. La garde me l'arracha des mains. Alors, j'interpellai le sacristain : -" Je suis indigné, mon ami ! " Il ne fut pas surpris et me répondit : -" C'est l'usage, que voulez-vous. Ils le font tous. Nous ne pouvons les en empêcher L'enfant baptisé doit rester Tout nu pendant la cérémonie. "
À l'issue de ce baptême interminable, La garde rhabilla le petit De façon convenable. Je me tournai vers la famille : " Rentrez vite, Et réchauffez-moi cet enfant tout de suite. "
L'instant d'après, Le curé m'invitait À venir signer Le registre à la sacristie. Mon seing était-il à peine inscrit Que desservant me réclamait Cinq francs pour couvrir les frais...
Je filai vite voir la jeune accouchée. Elle grelottait de froid dans son lit. Ne voyant pas les autres, je lui demandai : -" Où diable sont-ils partis ? " -" Pour fêter ça, ils auront été bé. " J'ai compris que mes dix francs donnés Pour dédommager le curé Avaient été utilisés Pour payer leurs tournées Chez le cabaretier.
Le lendemain Matin, J'interrogeai mon jardinier : -" Sont-ils rentrés ? " -" Oui ! Vers minuit, Et dans quel état ! Ils ont dû cuver Dans un fossé Sans s'occuper du petit Nicolas. Le bébé est mort pendant la nuit. Au café, toute leur paye y est passée, Jusqu'à la dernière pistole. Ils sont rentrés tout déguenillés Et voulant Remonter le moral de la maman, Ils lui ont fait boire le pétrole De la lampe que vous leur aviez donnée. "
J'ai couru voir aussitôt l'accouchée Elle agonisait et tenait Sur elle le cadavre bleu de son bébé. Les trois autres brutes ronflaient À côté, étendues sur le parquet...