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Mon semi de Bordeaux à moi

Publié le 23 avril 2015 par Emmanuel S. @auxangesetc

Samedi soir dernier, c'était sortie. Pas question de restaurant ni de boîte de nuit (que j'ai toujours détesté d'ailleurs, entre le bruit, la musique pourrie, les odeurs de transpiration et les pouf' à gogo). Mais plutôt d'un semi-marathon en nocturne. A Bordeaux. Et pas juste pour moi, mais pour un enfant handicapé répondant au prénom de Thibault, à qui nous avons offert, à cinq, 2h de course en centre-ville pour un souvenir que j'espère excellent et mémorable pour lui. J'aurais voulu écrire que nous lui avons offert 2h de plaisir à 5, mais aujourd'hui, le sens de cette phrase pourrait être détourné par la perversion du monde actuel.

Tout a commencé vendredi midi. 12h. Je m'apprête à partir du bureau quand, bien sûr, ma chef débarque. Et voilà que je perds 1h sur mon timing minuté à la seconde près. Je déteste ça. Le propre d'un manager n'est-il pas de s'adapter? Mais bon... Je rentre vite chez moi, j'avale en 2 bouchées patates sautées et steak haché préparés par ma femme et je prépare le coffre. Vu qu'on emmène la moitié de la chambre de notre princesse, je dois faire deux allers-retours appartement-parking. Le C4 Picasso paraît même trop petit... Et dire que je pars avec à peine 1 caleçon propre par jour, ma brosse à dents et ma tenue pour le semi sans prendre en compte l'avertissement de Man sur la pluie prévue pour le jour J. Oui, je suis têtu borné. Je prends quand même un corsaire en plus de mon caleçon jaune fluo et du T-shirt technique CDC pas si technique que ça...

Bref, une fois passée la sortie de Paris, toujours bordélique vu que le Français conduit mal et le Parisien encore plus, on peut prendre notre rythme de croisière, un petit 130 compteur avec limiteur de vitesse. Merci Citröen. Le petit carton " Bébé à bord " à l'arrière du véhicule n'incite même pas les plus cons à ralentir un peu et encore moins à respecter les distances de sécurité. Un geste du doigt de la main leur fait comprendre ma pensée. Un geste salvateur pour mon bien être mental au volant et universel car mêmes les plus abrutis comprennent. On ne met pas en danger mes femmes!

Nous faisons étape à Poitiers. J'apprends que c'est le lieu de naissance d'un ange que je dois aller voir le dimanche. Coïncidence n°1. Le timing était chaud: nous devions arriver dans la périphérie poitevine avant 19h pour récupérer le lit parapluie chez Aubert et éviter à notre princesse de dormir dans son inconfortable nacelle. Puis direction l'hôtel en centre-ville où les rues à sens unique et en montée sont légions. Et ce putain de GPS qui veut me perdre!! On y arrive quand même. Ma pauvre petite princesse est un peu troublée par ces changements de décors. Ma femme et moi nous offrons le luxe de déguster une délicieuse quiche lorraine surgelée-décongelée (6€ la part...) dans notre chambre, en amoureux. Elle en a de la chance ma femme, je la gâte!

Le lendemain matin, on doit arriver pour l'heure du déjeuner à Bordeaux pour retrouver les amis de la CDC. Mais bon, Poitiers a un magasin Aubert super grand. Mieux que Vélizy!! C'est donc parti pour la séance shopping du samedi matin... Avant de prendre la route et d'arriver à Bordeaux, à ... 15h30... Le temps d'installer mes femmes à l'hôtel, refaire deux allers-retours voiture-hôtel pour décharger le coffre, de courir chercher mon dossard pour le soir même. Enfin, mon dossard qui n'est pas prévu par l'organisation: je suis bien inscrit mais pas de dossard attribué. Je dois aller à la tente " litiges " pour obtenir un dossard. Tant que je l'obtiens, je me moque de la procédure après tout.

Le temps d'une bière avec Christian et mes femmes sur le bord de la Garonne, puis direction Sushi Shop pour un dîner en amoureux improvisé dans la chambre d'hotel. Un peu de riz et de poisson pas très frais avant la course. Idéal. Je retrouve mes compères vers 20h30 à la bourse. Christian a déjà monté la joëlette. Je le soupçonne de dormir dedans chez lui. Et il doit lui faire des choses pas très catholique (il doit penser, comme Gass, que " joëlette " est une femme). Man est là lui aussi, avec son voisin Laurent. Man stresse déjà sur l'allure que va imposer Christian. Il a déjà raison vu l'état de surexcitation de Cricri. Comme à chaque course en joëlette d'ailleurs. Laurent, lui, ne sait pas encore ce qui l'attend. Le pauvre...

Le petit Thibault, 13 ans, est là. Il est vif, il est souriant. Mais le pauvre souffre d'un handicap. Nous sommes là pour essayer de lui apporter 2h de bonheur simple, le temps d'une course, le temps de voir SA ville, by night, le temps d'être LA star d'un soir parmi les coureurs plus ou moins valides (selon l'état physique à l'approche de la ligne d'arrivée). Cela débute par le nombre de bises obtenues auprès de la gente féminine sur insistance de Christian. Il a même droit à 2mn de discussion avec Monsieur Alain Juppé, vêtu de son plus beau blue jean.

Il pleut des cordes. Le semi va être pénible pour Thibault comme pour nous. Mais sur la ligne de départ, la pluie cesse. Elle cessera jusqu'à l'arrivée et se remettra à tomber une fois abrités de nouveau à la bourse. Coïncidence n°2. Dans le SAS de départ, les coureurs découvrent ce qu'est une " joëlette ". Et encore une fois, c'est tout là le but de notre action: sensibiliser au handicap. Montrer aux coureurs que d'autres types de course existent: celles pour lesquelles l'on court non pas pour son plaisir et encore moins pour un objectif de chrono mais pour le seul plaisir d'un enfant handicapé. Celles où l'on s'époumone pendant toute la course pour chanter, crier, arranguer la foule pour qu'elle encourage Thibault. Pour qu'il soit le centre des compliments et des attentions pendant 2h. Pour que son handicap fasse de lui LA star de la course, pour que cette soirée soit SA soirée, pour qu'il soit EXCEPTIONNEL de façon positive. Et si notre participation permet de changer ne serait-ce qu'un regard sur le handicap, alors nous aurons réussi notre action. Pour que tous les enfants souffrant de handicap, eux qui n'ont rien demandé, qui n'ont rien fait, dont les parents ne sont pas non plus responsables, soient enfin respectés et, tout simplement, considérés.

Nous partons bien sûr en dernier. " Pour ne pas gêner " nous a dit l'organisation. Sauf qu'on court vite. Enfin, surtout mes 4 compères, je suis le boulet du groupe. Le gros, le gras, celui qui n'a pas fait de sortie longue depuis 2 mois (c'est Garmin Connect qui le dit) sous prétexte de paternité. Résultat: on double un nombre de coureurs assez impressionnant. Christian et Laurent relaient beaucoup et longtemps. Ils sont au taquet. Moi, je gère mon effort. Je prends quand même mes relais, quand Christian veut bien lâcher la joëlette ou que Laurent en a plein les chaussettes. Il est le meilleur coureur du groupe mais peu habitué aux conséquences physiques et morales d'une course en joëlette. Ses longs relais ne sont pas sans conséquence sur la fin du parcours. Il aura tout donné pour Thibault.

En tout cas, sur tout le parcours, Thibault est chanté, encouragé, félicité, adulé. Son sourire ne s'effacera pas durant les 21,1km, ni durant la 1/2 heure qui a suivi l'arrivée. On lui remet une " petite " coupe, afin qu'il se souvienne de cette course.

Mon semi de Bordeaux à moi

Malgré l'heure tardive, la fatigue et la digestion de sa choucroute, il est vraiment heureux. Son bonheur fait notre bonheur. Ce bonheur qui nous prend aux tripes et qui nous donnerait envie de chialer s'il n'y avait pas tout ce monde autour. Ce bonheur simple, cette humilité d'avoir donné un peu de temps et d'énergie à faire de Thibault l'enfant le plus heureux d'Aquitaine ce soir-là. C'est une récompense 1.000 fois supérieure à celle de battre son record. C'est simplement beau. D'autant que la foule est très souvent surprise de nous voir. Aucun spectateur n'a visiblement vu de joëlette auparavant. Très souvent, nous avons pu entendre " c'est génial ", " bravo pour cette action " ou encore " tu as vu? ils courent avec un enfant handicapé, c'est super! ". La sensibilisation au handicap fonctionne comme rarement. Nous ne voulons pas être félicités mais nous voulons que les félicitations aillent à Thibault. Et parmi les coureurs, les mêmes félicitations fusent pendant toute la course, avec une pointe de dépit chez certains " ils nous doublent en transportant un enfant et on ne peut même pas suivre ". Et oui, on est trop fort! Pascal nous a rejoint après 10km de course contre la montre à nous pister. Son renfort n'est pas de trop! Il restera avec nous jusqu'à la fin malgré sa blessure. Je finis les tétons en sang à cause des frottements du T-shirt pourri CDC. Je ne cours qu'en Craft moi!! Je me suis vraiment donné corps et âme. La preuve en image:

Mon semi de Bordeaux à moi

Le dimanche matin, après un buffet en guise de petit déjeuner, et après mes 2 assiettes œufs brouillés - bacon - saucisses - ketchup - toasts - yaourts - cookies - macarons, on peut partir. Notre second grand RDV était là ( clic). Un voyage initiatique aux airs de paradis pour ceux qui l'ont rejoint et d'enfer sur terre pour ceux qui y sont restés. Encore un ange parti trop tôt. Impossible pour moi de savoir la douleur ressentie par ses parents et sa famille. Notre histoire est tellement différente. Et pourtant, il m'est difficile de ne pas ressentir une peine immense, d'imaginer la douleur de sa famille, la cicatrice qui restera à jamais. Nous déposons les fleurs que nous n'avons pas payées. Et oui, sans liquide ni chèque, difficile de payer en CB une fleuriste qui n'a pas d'électricité. Mais à Bordeaux, les gens sont biens. La fleuriste nous fait confiance et propose de nous donner les fleurs contre notre promesse de lui envoyer un chèque en rentrant. Incroyable. La bonté même.

On croise bien sûr Man & Mel. Coïncidence n°3, car nous n'avions pas forcément prévu de se retrouver là au même moment. Ayant maintenant appris à pleurer en silence, je peux conserver ma part de virilité intacte, même si, sur le moment, c'est le cadet de mes soucis. Les mots sont vains, inutiles, futiles. Le temps d'un Notre Père dans ma tête et nous pouvons laisser les parents se recueillir seuls. Notre place n'est plus à leurs côtés à ce moment précis.

Après avoir nourri notre princesse, on reprend la route qui sera agrémentée de plusieurs arrêts. Tant pour la nourrir de nouveau que pour m'enfiler une tarte aux abricots et un Fanta. Puis nouvel arrêt. Ma femme sentait la cata arriver. Elle avait raison. Après avoir rempli 2 couches entières (elle tient de son père pour le coup, je parle de ma princesse, pas de ma femme...), nous avons pu repartir. Et les sièges de la C4 sont intacts!

Sur toutes les coïncidences du weekend, appelez-les comme vous voudrez: hasard, chance, curiosité, coïncidence, destin. Mais moi j'y vois un signe de l'intervention de mon Dieu. Il a été là pour me guider lors de ce voyage initiatique, il a été là pour que Thibault profite de ses 2h de bonheur au sec, il a été là pour que nous communions - l'espace de quelques minutes - avec Enzo, Mel & Man.

Le lundi, aucune envie d'aller travailler. J'ai la tête ailleurs. Je revis ma vie de janvier 2014, l'année qui a suivi, cette peine immense, cette douleur sans limite, ma vie différente maintenant. Mes 3 enfants dont 2 au paradis. La joie d'avoir ma princesse et cette peine enfouie quand je suis avec elle, mais si présente dès que je suis loin d'elle. Son sourire me fait tout oublier quand je la regarde, puis cette noirceur qui revient loin de sa présence. J'essaie d'imaginer la peine de Man & Mel sans pouvoir la comprendre ni même l'appréhender. La seule chose que je sais c'est qu'aucun mot ne peut décrire correctement ce que les parents endeuillés ressentent. Pour le reste, je ne sais pas.

Et pour couronner le tout, ma femme me fait prendre conscience d'une chose: je suis vieux. Le voyage nous a fatigués et il nous faut un peu de temps pour récupérer. Dure à entendre de la femme de sa vie alors que je fais tout pour rester viril, l'homme de la maison, le robuste, le roc. J'entends les rires de ma femme qui ne manque pas de me rappeler régulièrement que chaque semaine, je me blesse, soit au squash soit en tombant à vélo. Heureusement que la vieille bique du bureau n'est pas au courant, elle pourrait se foutre, elle aussi, de ma gueule.

Et mardi, le verdict tombe: je me suis déplacé le bassin. L'osthéo me remet en place au prix d'une douleur assez vive qui restera encore au moins une semaine selon lui. Donc, pour mes 35 ans (c'est imminent), merci de m'offrir une canne (je prends aussi les chèques et les coupures de 500€), et pour mes 40, ce sera un déambulateur. Merci pour moi.

Dure réalité de la vie! Mais le plaisir de Thibault valait bien ses quelques désagréments.

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