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"Plus si entente"

Publié le 23 avril 2015 par Lifeproof @CcilLifeproof

Une femme divorcée, vivant dans le désordre d’une maison pavillonnaire avec sa fille, se rend sur des sites de rencontres. Un beau jour, les hommes avec qui elle a échangé électroniquement arrivent sur le seuil de sa porte.

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Plus si entente, de Dominique Goblet et Kaï Pfeffer, coédité par Actes sud bd et le Frémok.

Plus si entente est avant tout une expérience graphique née de la relation épistolaire et plastique entre les deux auteurs. Pendant deux ans, Dominique Goblet et Kai Pfeiffer se sont envoyé de nombreux dessins. Des réponses successives est née une certaine tension, qui apparaît dans la répétitions des motifs que chacun s’emprunte, et d’une rivalité d’estime, intime qui se crée. Mais de l’évolution de ces allers-retours, de l’histoire de la création de ce récit, il ne reste rien. Une fois une certaine quantité d’images accumulée, les auteurs ont tout « découpé » et remonté, en en créant d’autres afin de compléter le récit qu’ils esquissaient, comme au cinéma. En réorganisant les images, ils leur ont donné un ordre, et les ont ainsi chargé de « sens ». La bande dessinée est certainement un des médiums où la place de l’image, au sein de la séquence et de la page, est la plus importante : elle a du sens par le sens. En les ordonnant ainsi, ils ont créé des séquences, et ainsi, un ordre de lecture. Le procédé est finalement assez similaire que pour le précédent livre de Dominique Goblet, Les Hommes-loup (chroniqué dans le numéro 136 de l’Avis des Bulles) : ce livre reprenait des dessins tirés de carnets de Goblet remis en ordre et accompagnés d’un texte écrit a posteriori.

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Plus si entente, de Dominique Goblet et Kaï Pfeffer, coédité par Actes sud bd et le Frémok.

Nous sommes ici aussi dans le principe de mutation d’une œuvre à travers l’appréhension nouvelle que nous faisons des dessins. Leur lecture est complètement détachée de leur création. Les auteurs ne se sont pas appuyés sur la (et les) précédente(s) pour dessiner leurs images, et n’avaient encore moins l’ambition de suivre un scénario. La génération des images provient plus d’échos graphiques et parfois thématiques qu’aucune prégnance narrative ne régissait. Les auteurs sont pourtant parvenus à élaborer un véritable récit, une sorte de scénario appuyés par des séquences au style graphique lisible et constant. Il se crée alors un aller-retour des plus intéressants : la lecture oscille entre la logique scénaristique qui veut que les images aient un certain ordre et qu’elles s’encrent dans un récit qu’elles conduisent, et une logique qui échappe à cette lecture guidés et va jouer sur l’émotion que dégagent la plasticité des images et la lâcheté du lien qui les unit. Cette distance ente les images provient justement de cette remise en ordre qui crée immanquablement des béances qui font le sel de ce livre.

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Plus si entente, de Dominique Goblet et Kaï Pfeffer, coédité par Actes sud bd et le Frémok.

La diversité plastique des images va donc jouer un rôle important dans le dialogue qui va naître entre les planches. Kai Pfeiffer et Dominique Goblet placent tous deux l’expérimentation au cœur de leur pratique. Il n’est pas question ici de développer un style mais d’explorer l’expressivité de la rencontre des couleurs et des matières. Les crayons de couleurs renforcent ou viennent en contraste aux encres de couleurs, la mine de plomb vient ajouter un peu de volupté que peut venir briser l’opacité de l’encre noire. Viennent s’ajouter les trames parfois saturées de points colorés, parfois rigides, rectilignes ou plus subtiles et mouvantes faites de traits et points irréguliers. Le dessin vibre, se réinvente, allant parfois vers l’abstraction. Il se crée alors une surcharge graphique qui laisse peu d’espace au lecteur pour respirer : il se retrouve immergé dans des ambiances lourdes, faites de rencontres (de techniques, d’images et de personnages) parfois brutales qui l’impressionnent et le happent. Les tourments et la confusion qui règne dans la psyché des personnages contaminent l’univers graphique et narratif stable des quelques séquences qui dirigent véritablement le récit et qui sont paradoxalement très rares. Ce livre est ainsi une plongée dans l’intériorité des personnages, celui de la mère divorcée et de sa fille (le père, « l’agent love », est finalement assez peu présent). La misère affective et sexuelle dans laquelle elles se noient est omniprésente. Des symboles récurrents viennent ponctuer le récit comme le cyprès taillé en forme de sexe ou le homard qui est chargé sexuellement dès la première page. Loin d’être aussi signifiant qu’ils n’y paraissent, ils peuvent être considérés comme une aide de lecture ou encore comme une brume supplémentaire dans ce dédale. La confusion et le désordre qui règnent chez la protagoniste se mêlent ainsi à son désir de luxure et se répercutent dans la cohue graphique qui habite les planches.

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Plus si entente, de Dominique Goblet et Kaï Pfeffer, coédité par Actes sud bd et le Frémok.

Kai Pfeiffer et Dominique Goblet nous livrent un récit complexe, éprouvant, difficile à pénétrer car les deux auteurs s’efforcent de préserver la part de mystère qui réside dans la poésie immanente du dessin.

Jean-Charles.

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Plus si entente, de Dominique Goblet et Kaï Pfeffer, coédité par Actes sud bd et le Frémok.


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