Les manifestations populaires sont rares en Éthiopie. Depuis mardi 21 avril, à l’appel des autorités, les Éthiopiens se réunissent sur Meskel Square, l’une des principales places d’Addis Abeba, pour dénoncer la décapitation et l’exécution par balle de 28 chrétiens d’Éthiopie par le groupe État islamique (EI), en Libye. Mais mercredi, les slogans d’abord dirigés contre l’organisation jihadiste ont pris des allures de protestations anti-gouvernementales.
"Le maire d’Addis Abeba était en train de faire un discours et des manifestants se sont mis à le huer. Ils sont en colère pour deux raisons : d’abord parce qu’ils reprochent aux responsables politiques et religieux de ne pas contrôler les vagues d’émigration vers la Libye [les chrétiens d’Éthiopie tués tentaient de gagner l’Europe par la Libye avant d’être capturés et livrés à l’EI, NDLR]. Ensuite, parce qu’ils estiment le gouvernement trop laxiste dans son action contre l’EI. Ils disent : "On se bat bien en Somalie, alors pourquoi ne pas aller aussi en Libye ?" [Redwan Hussein, le porte-parole du gouvernement, a assuré que l'Éthiopie n'avait pas l'intention de rejoindre la coalition militaire contre l'EI, mais continuerait à combattre les islamistes sur d'autres fronts, à commencer par les Shebab somaliens contre lesquels de nombreux soldats éthiopiens sont déjà déployés au sein de la force de l'Union africaine.] "Ne nous frappez pas, frappez l'EI !"
Lorsque les discours ont été terminés, des gens ont commencé à chanter "Vous êtes des escrocs !" ou "On ne veut plus de vous !" Certains ont également lancé des pierres. La police a alors répondu en chargeant les manifestants et en les battant à coups de matraque. C’était la cohue, des gens ont été blessés par des jets de pierre dans leur fuite. J’ai entendu certains scander : "Ne nous frappez pas, frappez l’EI !"
Au début, ce n’était qu’une minorité qui criait sa colère contre le gouvernement, mais ils ont entraîné une bonne partie de la foule avec eux. Ça montre que certains Éthiopiens considèrent que le gouvernement n’assume pas ses responsabilités." Les manifestants et des médias éthiopiens affirment que plusieurs personnes auraient été blessées. Quelques photos de personnes touchées ont été relayées sur les réseaux sociaux.
Aucun bilan des affrontements n’a été pour l’heure avancé, mais certains médias éthiopiens évoquent une soixantaine d’arrestations de manifestants et une quarantaine de blessés.
Conscientes de l’émotion populaire, à seulement un mois des élections générales, les autorités éthiopiennes ont promis d’aider à rapatrier les migrants éthiopiens qui se trouvent encore en Libye et ont donné consigne à leurs ressortissants de ne plus chercher à se rendre dans les zones où le groupe EI est actif.
Depuis 1991 et le renversement de la dictature marxiste, l’Éthiopie est officiellement une démocratie. Mais le parti majoritaire, le Front démocratique et révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), a depuis cette date toujours remporté les élections, parfois avec des suspicions de fraudes, comme en 2005. Des manifestations dénonçant ces tricheries avaient été durement réprimées (49 morts et près de 3 000 d’arrestations).
Source : France24