Abus d’inhumanité

Publié le 22 avril 2015 par Lana

« J’ai vu des schizophrènes supplier qu’on ne les enferme pas dans leur chambre auxquels il aura fallu pourtant imposer cette claustration. Il en va non seulement de la santé du malade mais aussi de la santé du soignant. L’angoisse du malade qui implorait l’infirmier de rester avec lui provenait-elle réellement d’une peur de l’isolement ou d’un besoin compulsif de pouvoir abuser de quelqu’un. Au quel cas, comme dirait Jung: «Il ne faudrait pas nourrir le démon». »

Voilà ce qu’on peut lire de la part d’un psychologue dans un courrier des lecteurs.

Abuser de quelqu’un? Nourrir le démon? Sérieusement?

Ce psychologue visiblement ne comprend rien à la schizophrénie, à sa souffrance ni à l’expérience radicale de la solitude qu’elle représente.

Les gens passent leur temps à se parler, de leurs joies, de leurs soucis, de leurs problèmes, de tout et de rien. Quand ils rentrent chez eux, la plupart ont un conjoint à qui parler, une famille, des amis qui vivent les mêmes choses, qui les comprennent, avec qui ils peuvent partager leurs souffrances. Ils ont quelqu’un pour les prendre dans leur bras, pour les réconforter. Ils rient avec leurs enfants.

Les schizophrènes, de part la nature même de leurs troubles, sont souvent privés de ça, ou le vivent difficilement. Beaucoup vivent seuls et ont vie sociale assez pauvre. Quand ce n’est pas le cas, il reste toutefois rare de trouver des personnes à qui parler des ses angoisses, en-dehors du personnel soignant. Parce qu’elles ne sont pas communément partagées, parce qu’elles font rire ou peur, parce qu’elles sont trop étranges.

Et quand on se retrouve à l’hôpital psychiatrique, donc en grande souffrance, on n’aurait pas le droit de demander de l’attention? Face à des angoisses qui dévastent tout, face aux peurs que les symptômes font naître, face à l’anéantissement de son être, et alors même qu’on nous menace de nous enfermer seul entre quatre murs, on n’aurait pas le droit de demander qu’on reste avec nous? On n’aurait pas le droit d’espérer un peu d’humanité, de la compréhension, une main tendue, une main pour ne pas vaciller, une main pour ne pas tomber? On n’aurait pas le droit de demander ça à des gens dont c’est le travail car ce serait abuser d’eux? Nous ne serions que de grands manipulateurs qu’il ne faut pas encourager? C’est du soin, ça? Laisser quelqu’un seul en chambre d’isolement avec ses angoisses, ses peurs et sa vie qui part en vrille? C’est du soin, ça, tourner le dos à quelqu’un qui supplie qu’on l’aide? C’est du soin, ça, ne pas savoir qu’un mot, une présence, peuvent sauver? Que tourner le dos à quelqu’un qui souffre à ce point peut le tuer? C’est du soin, c’est de la psychologie que de théoriser à ce point la maltraitance et l’indifférence?

Abuser? Quand on passe notre vie à souffrir seul, à pleurer seul, à tenir malgré tout, à sourire, à faire bonne figure, à marcher sur des jambes qui vacillent d’angoisse, quand on ne meurt pas pour ne pas faire de mal aux autres? Abuser? Quand on demande un peu d’attention à quelqu’un dont c’est le travail? Nous, le démon? Quand on a une bête noire qui nous ronge de l’intérieur, quand on a une des maladies les plus cruelles, quand le démon est dans notre tête?

Autant d’inhumanité, oui, ça, c’est abusé.


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