Piloté par une bande-annonce alléchante et doté d'un casting impressionnant, Enfant 44 s'annonçait sur le papier comme un grand moment de cinéma du printemps. Malheureusement, il n'en a rien été.
L'entreprise initiée par Ridley Scott (producteur par le biais de Scott Free) lorsqu'il a contacté l'écrivain Tom Rob Smith afin de transposer à l'écran son roman à succès est en effet bien loin de tenir ses promesses : ni la réalisation, ni le thème de la traque d'un tueur ne sont à la hauteur de l'événement. Daniel Espinosa a peut-être été choisi par son savoir-faire dans les films musclés ( Easy Money aurait influencé Ridley Scott, sans doute autant que Sécurité rapprochée que nous avons personnellement apprécié), il semble ici complètement dépassé par le script qui se construit dans une intrication laborieuse entre la peinture d'une société qui se ment en permanence (la Russie stalinienne) et une intrigue policière poussive d'un tueur d'enfants.
Le roman était-il trop dense pour une adaptation aussi ratée ? Difficile à dire, tant l'essentiel du budget paraît avoir été insufflé dans la direction artistique (costumes très convaincants) et la recherche de décors pertinents (une aciérie dans la région de Prague fournit un cadre impressionnant de réalisme). Sans parler de la rémunération de comédiens de renom, dont certains ne feront qu'une apparition. Il est d'ailleurs amusant de constater que les deux acteurs principaux des Enquêtes du Département V sont présents dans la distribution. Reste que si Gary Oldman joue honnêtement un général désabusé en charge d'une milice locale, Vincent Cassel comme la plupart des autres en sont réduits à de la figuration (le grand Charles Dance n'ayant droit qu'à une courte séquence !). C'est le duo de Quand vient la nuit qui concentre l'attention du spectateur. Tom Hardy incarne Léo, un héros soviétique de la Seconde Guerre mondiale, issu d'un des très nombreux orphelinats de l'ère stalinienne, et promis donc à un brillant avenir. Après une longue exposition, nous le voyons opérer en tant qu'officier de la police secrète, à la recherche d'éventuels traîtres au régime ; il agit la plupart du temps sur dénonciation et, s'il se montre redoutablement efficace, sait aussi dévoiler sa part d'humanité (sa première grande scène le voit attendri devant deux jeunes filles dont ses hommes viennent d'exécuter les parents). On lui demande ensuite de classer une affaire étrange : le fils d'un de ses amis aurait eu un accident de train. Or, la famille vitupère, criant qu'il a été assassiné (ce qui, dans le régime communiste de l'époque, serait impensable : seule la société occidentale corrompue pourrait engendrer des meurtriers car, comme le stipule une phrase en exergue du film, Il n'y a pas de meurtre au paradis.) Léo est sommé par sa hiérarchie d'en finir au plus vite et de valider l'hypothèse officielle avant de se pencher sur le cas des traîtres "dénoncés" par un agent qu'ils avaient capturé. Sa femme Raïssa ( Noomi Rapace) est sur la liste, c'est lui qui est chargé de prouver sa culpabilité. Lui, l'étoile montante du parti, se voit plongé en plein cas de conscience : il sait que s'il ne la dénonce pas (c'est à dire, s'il ne trouve pas les preuves de sa culpabilité) c'est toute la famille qui en pâtira - comme le lui répète son père adoptif, il doit choisir entre sacrifier une vie, ou quatre vies. Et pendant ce temps, le tueur d'enfants opère tranquillement sa sanglante besogne...
souffre du syndrome du "cul entre deux chaises" : si un bon thriller est, outre la perspective d'une chasse à l'homme aussi palpitante qu'édifiante sur la condition humaine, il permet souvent de jeter un oeil critique sur la société qui a engendré le criminel. Mais il ne faut jamais perdre de vue l'optique de départ. Or notre film ne parvient jamais à fournir le moindre souffle dramatique concernant l'enquête, à laquelle Léo n'apporte finalement qu'une très maigre contribution (l'essentiel du travail sur le terrain étant effectué par un général de milice qu'il a réussi à convaincre). Tarabiscotée et dépouillée de tout intérêt, l'investigation ne soulèvera qu'un écoeurement bref devant le nombre effarant des victimes (le tueur est inspiré d'un serial killer véritable ayant sévi dans les environs de Rostov) puisque notre attention est constamment portée sur la condition de Léo qui arpente la Russie sans autorisation, poursuivi par la vindicte d'un ancien subalterne promu à sa place. Tout au plus sourira-t-on (ou soupirera-t-on) devant la manière radicale et rapide dont les puissants s'effondrent et les médiocres s'emparent des places laissées dans un système aussi cloisonné que le stalinisme : dénoncer vous ouvrira des portes et vous pouvez facilement vous retrouver en haut de l'échelle... jusqu'à ce qu'on vous dénonce à votre tour.
Si l'ambiance est impressionnante de réalisme, on sera moins convaincu
Synopsis Hiver 1952, Moscou. Léo Demidov est un brillant agent de la police secrète soviétique, promis à un grand avenir au sein du Parti. Lorsque le corps d'un enfant est retrouvé sur une voie ferrée, il est chargé de classer l'affaire. Il s'agit d'un accident, Staline ayant décrété que le crime ne pouvait exister dans le parfait Etat communiste. Mais peu à peu, le doute s'installe dans l'esprit de Léo et il découvre que d'autres enfants ont été victimes " d'accidents " similaires. Tombé en disgrâce, soupçonné de trahison, Léo est contraint à l'exil avec sa femme, Raïssa. Prenant tous les risques, Léo et Raïssa vont se lancer dans la traque de ce tueur en série invisible, qui fera d'eux des ennemis du peuple...