Y’a des mecs qui arrivent à faire tenir leur curriculum vitae sur le recto d’une feuille A4, d’autres qui ont besoin de prendre le temps d’une biographie pour se raconter. Y’a des meufs qui te prennent pour leur journal intime devant la machine à café, d’autres qui se contentent de cent-quarante caractères et d’un selfie. Y’a des mecs qui abusent du je, d’autres qui préfèrent laisser parler une troisième personne qui leur ressemble un peu. Y’a des meufs qui ouvrent la bouche à chaque fois qu’elles prennent une respiration, d’autres qui se mordent la lèvre inférieure si fort que le sang finit par couler. Y’a des mecs qui prennent la parole, et des meufs qui la leur coupent. Y’a des meufs qui lèvent le doigt si haut qu’elles font des trous dans le plafond sans qu’aucun mec ne leur donne jamais la parole. Y’a des mecs qui préfèrent s’enfermer à double tour dans le silence plutôt que de répondre à leurs meufs qui posent toujours beaucoup trop de questions.
Y’a des mecs en lesquels on se retrouve, des meufs sur lesquelles on aime cracher, y’a des clans et ça nous fait kiffer de choisir dans quel coin on fera la gueule demain matin. Mais putain mec, meuf, on est tous dans la même galère ; et qu’on écrive des thèses, des articles dans la presse à scandale ou des poèmes, qu’on soit pris d’une diarrhée verbale ou qu’on ait les joues rouges et des plis sur le front à force de se taire, on ne cherche jamais que la même chose : l’identité de ce type qui nous fait des grimaces dans le miroir. Longtemps, on a essayé de nous faire croire que Narcisse était mort de trop s’aimer, alors que le pauvre n’a jamais fait que chercher son reflet. Longtemps, on a essayé de nous faire croire que les gens qui se posaient un peu trop de questions finissaient toujours par se noyer, et bien fait pour leur gueule, dans leur nombril trop grand. Mais même sous le plus bel éclairage du monde, un miroir ne reflète jamais que la réalité à l’envers.
Et le prochain qui me dira que je n’ai pas changé, j’espère qu’il est fort en apnée. La terre est ronde et ma gueule, sous vide et ses étiquettes qui ne collent plus, il peut se la carrer là où je pense. On n’est rien, mec, meuf. On n’est jamais rien que ce voile invisible qu’on nous scotche devant les yeux à la naissance. Rien que cette image que les autres se font de nous et à laquelle on se force de ressembler pour pas détonner avec le papier peint ; avec cette odeur de colle Cléopâtre qui nous tient la main quand on traverse devant l’école. On est ce môme que la famille punit pour sa grosse colère. On est cette adolescente qui crie comme elle a mal d’être elle. On est cette femme à qui un homme fait l’amour comme il la trouve belle. Qui je suis ? J’en sais fichtrement rien. La seule chose que je sais, c’est que mes cheveux ont bien morflé depuis le temps que je suis là.