maltraitance

Publié le 21 avril 2015 par Dubruel

~d'après L'AVEUGLE de Maupassant

J'ai connu un aveugle, un paysan, Le fils d'un fermier normand. Dès que ses parents furent décédés, Une vie atroce allait pour lui commencer. Sa sœur l'a recueilli mais elle le traitait Sans cesse de fainéant, D'idiot et de manant. Elle ne lui servait la soupe qu'à regret. À peine l'avait-il avalée, Qu'il s'asseyait devant la porte, l'été, Et contre la cheminée en hiver. Il ne faisait aucun geste. Seules ses paupières, Agitées parfois par un tic nerveux, Tombaient sur la tache blanche de ses yeux. Avait-il une pensée, un esprit, Une conscience nette de sa vie ? Personne ne se le demandait. Les choses allèrent ainsi pendant une année. Mais son impassibilité Finit par exaspérer sa sœur. Il devint son souffre-douleur Et dut payer ce qu'il mangeait Sinon elle lui faisait mâcher Des bouchons, des épluchures Et même des ordures Qu'il ne pouvait distinguer. Bientôt, elle se lassa de lui. Elle a commencé par le frapper Puis le contraignit À mendier sur les marchés Et voici comment il mourut : Un matin d'hiver, il gelait. Sa sœur le mena Très loin pour le faire quêter. Le soir, il ne rentra pas. Quand la nuit fut venue, Sa sœur affirma aux siens : -" Je l'ai cherché Mais ne l'ai pas retrouvé. Bast ! I' reviendra ben d' main. " Le lendemain, il n'était toujours pas rentré. Il était tombé dans un fossé, S'était péniblement relevé, avait erré Sans trouver le chemin de son logis. L'engourdissement du froid l'ayant envahi Et ses jambes ne pouvant plus le porter, Il s'était étendu. Les blancs flocons l'ensevelirent. Sa sœur fit mine de s'attendrir Et même d'être infiniment abattue.