J'ai connu Monsieur le Professeur Laurent FARRUGIA par les récits pour le moins élogieux d'une de ses élèves du Lycée Gerville-Réache de Basse-Terre ! Puis est venu le temps de ces brèves rencontres avec cet homme d'une excise sagesse et d'un humour constant. Edouard Boulogne a dit avec tact et pertinence tout ce qu'il pensait de son collègue. Je n'ai rien à ajouter à ce très bel hommage.
http://www.lescrutateur.com/2015/04/laurent-farrugia-un-humaniste-effervescent-nous-quitte.html
Alors je repense à ce texte de 2007 écrit à l'occasion du passage en Guadeloupe de Madame Royale Bravitude !
Royale attitude ou de la bravitude
Au diable la sémantique !
Ce sont les maux de l’humanité qu’il nous faut extirper, et les mots ne sont justes que s’ils concourent à leur éradication. Dans l’action et par l’action. J’abandonne aux religieux l’art des consolations, les rituels d’imprécations et l’horreur des fatwa. Je délaisse aux poètes la magie des illusions. J’attends du Verbe qu’il se fasse chair au travers d’une révolution, et je ne conçois de révolution qu’au service de l’Humain. Dans cette optique, la bravitude, ce stupéfiant néologisme, ce parfait barbarisme, m’interpelle avec autant d’étonnement salutaire que m’interpellèrent jadis, en un siècle révolu, d’autres appels célèbres qui tous se voulaient salvateurs et régénérateurs. Car enfin, la bravitude n’est ni une philosophe, ni une idéologie, ni un dogme, ni une religion, ni une prophétie. C’est un cri. Un cri du cœur. Il faut écouter un cœur qui crie. Un cœur qui crie parce qu’il saigne. Un cœur qui vous hurle là souffrance du désert qui grandit, de tous les déserts qui menacent. Le désert de l’affaiblissement de l’indignation, de l’endormissement de la raison et de l’opacification des désirs. Le désert de l’injustice. Et le désert de la renonciation qui transformerait, la superbe terre des Hommes en nécropole éternelle.
Oui la bravitude a un sens.
La bravitude.
· N’est pas la décrépitude des blasons couronnés qui se proclament de droit divin parce qu’ils « descendent de », alors que c’est monter qu’il faut;
· N’est pas l’habitude somnolente qui, de sclérose en
sclérose, fait de nous du bois. Mort ;
· N’est pas la lassitude des semi-nantis qui, sous prétexte qu’on ne peut tout faire, décident de ne rien faire,
· N’est pas la servitude de ceux qui. ont accepté que l’homme devienne à jamais marchandise,
N’est pas la turpidude des grandes firmes mondiales qui pour assurer leur diabolique hégémonie font du pur profit leur idéal, de l’exploitation absolue leur règle d’or et de la misère des peuples leur éden.
Par contre la bravitude est bien
· La rectitude d’un homme qui s’étant mis debout aux aurore de son humanité décide de le rester, erectus, oui, tout simplement debout,
· La mansuétude d’un homme qui a choisi d’être la voix des sans-voix; la voix des victimes des traites, des tribulations, des holocaustes, de l’horreur des négriers, la voix des battus, des fouettés, des exclus, des sans-logis, des humiliés, des flagellés, des martyrs anciens et nouveaux, des parias; des persécutés, des émigrés sans visages, des bannis, des crucifiés, des miséreux des temps immémoriaux et de toute cette humanité malade et agonisante dont on finit par se masquer à. soi-même l’existence pour pouvoir vivre sans trop de honte, sans trop angoisse ;
· La sollicitude d’un homme qui, en dépit des hyènes qui rodent, des chacals qui jappent et des loups qui sans hurler imposent leur loi, a choisi la compassion, pour que l’humanité maîtrise jusqu’en son crépuscule l’animalité dont elle est issue et qui en elle sommeillera toujours ;
· L’humilité d’un homme qui a décidé non point de confisquer la voix des autres, mais de la leur restituer avant de retourner se fondre lui-même, digne et rasséréné dans le long fleuve mystérieux de la vie.
Pour crier cette indispensable révolte, le concept de la bravoure n’aurait-il pas suffi ? Peut-être, mais l’idée de bravitude constitue un enrichissement notionnel qu’on aurait tort de mésestimer.
En effet :
1. Le devenir de notre archipel est émaillé d’actes de bravoure. Des premiers révoltés jusqu’en mai 1967 en passant par Solitude, Delgrès, Ignace, des milliers de braves se sont levés, puis sont tombés. Leur sang jalonne notre histoire et façonne notre identité Nous honorons leur mémoire. Le temps des martyrs est toutefois terminé. Nous avons besoin désormais de braves triomphants.
2. La bravoure est liée à l’instant. Mais à quoi sert l’exploit, si la chamade le suit ? La bravitude, elle, s’installe dans la bravoure. Rien, hormis la mort, ne saurait l’en déloger.
3. La bravitude est un bouquet de vertus. Elle implique le courage que les Romains nommaient virtus. Elle exige la patience que le Coran décrit comme la reine des vertus et que des Européens, non des moindres qu’on se souvienne de Buffon, identifièrent au génie. Et si par hasard cette fantastique vertu sans laquelle « l’Esprit des lois » affirmait qu’il ne saurait y avoir de république; si c’était elle; l’ancêtre de la bravitude ?
4. La bravitude ne veut pas la destruction de notre environnement, mais bien sa préservation et la création sur notre astre fragile d’un Ordre Humain Juste. C’est pourquoi elle proscrit la prolifération nucléaire qui inexorablement et irrémédiablement détruirait
la planète. Le refus de l’apocalypse nucléaire n’est ni idéalisme aveugle, ni angélisme béat. On ne sauvera pas l’Homme en pulvérisant et le Petit prince et sa rose à la fois. Faut-il être un surhomme ou un grand manitou pour comprendre cette simple et fulgurante évidence que le plus petit des Kirikou a déjà parfaitement assimilée ?
5. La bravitude ne connaît ni latitude, ni longitude. Personne n’a le monopole de
la bravitude. Et les braves existent souvent des deux côtés de la muraille Or, il faudra bien détruire toutes les murailles de la peur tous les murs de la ségrégation, toutes les barrières barbelées de la honte. Et qui mieux que les guerriers de la paix pourront abattre ces illusoires fortifications, filles de l’ignorance, de la terreur et de la lâcheté conjuguées.
C’est pourquoi les braves auront, pour se reconnaître, à se parler. Où l’on retrouve la puissance du Verbe et la nécessité de son accomplissement. Et s’il faut pour se parler franchir la grande .muraille des signes, bien plus opaque et bien plus subtile que la muraille de pierres, qu’on ne franchit qu’en apprenant les langues, eh bien ayons le courage de les apprendre. Débabélisons le monde et l’on découvrira avec bonheur que derrière ces remparts que l’on croyait infranchissables, habite un homme, un homme dont le cœur palpite comme le nôtre, un homme simple qui comme nous n’aspire qu’à aimer, à travailler. à vivre en paix et à mourir serein. Seulement, il avait peur de nous, cet étranger, comme nous avions peur de lui, parce que lui et nous avions perdu la Parole.
Celle-ci retrouvée, le sens du monde sera restauré ; pourront naître alors de nouvelles gouvernances plus aptes à instaurer un monde juste et à le préserver. La bravitude n’est ni un messianisme, ni un mysticisme, ni l’ivresse des hautes altitudes. Elle est une invitation à nous protéger du non-sens et de l’insensé qui foudroieraient la planète, si on n’osait les conjurer.
Elle est une invitation à retrouver le sens, Le sens de l’Humain, Le bon sens, tout simplement. Pas celui de Descartes; mais celui qui proclame : voici venu le temps des braves.
Laurent FARRUGIA - Basse-Terre, Le 23 janvier 2007,
France Antilles page 5 dans le courrier des lecteurs
http://farrugialaurent.over-blog.com/