Les femmes marocaines avaient remonté leurs djellabas et s'étaient assises sur un tapis posé à même le sol. Elles pétrissaient dans de larges bassines (j'lafa) la farine qui allait servir à la confection de la mofléta de la Mimouna. Elles mouillaient la farine et enfonçaient leurs poings l'un après l'autre en cadence dans la pâte jusqu'à la rendre élastique et brillante. Puis, sans l'aide d'aucun instrument de mesure, elles formaient des boules de pâte, d'égale grosseur et les posaient au fur et à mesure sur un linge immaculé. Pour finir, elle recouvrait les boules de pâte d'un autre linge pour les préserver de la pollution. Certaines avaient un mejmér (kanoun) avec charbons et cuisaient dessus des moflétas, m'ch'mna (messemna - crêpe marocaine) ou beghrir pour ceux qui préféraient acheter tout prêt.
D'autres roulaient la semoule pour fabriquer le couscous et b'rkoukch. Je les vois encore, avec leurs deux jarres l'une contenant de l'eau et l'autre de l'huile, sans jamais se tromper, d'une main elles saisissaient tantôt l'une, tantôt l'autre, et versaient dans la j'lafa l'huile ou l'eau, tandis que l'autre main ne s'arrêtait jamais de rouler la graine. Puis elles soulevaient j'lafa et la secouait d'avant en arrière pour séparer les gros et les petits grains. Ce mouvement soulevait les grains à 50 cm du récipient et pas un ne tombait à côté.
D'autres proposaient à la vente, miel, lait, beurre l'béldi en motte et l'ben dans des bouteilles en verres. J'ai peut-être rêvé mais je me souviens que certains miels étaient noirs avec des morceaux alvéolés dedans et la marchande nous expliquait que c'était des morceaux de la ruche ...
Toutes ces femmes travaillaient en direct, live à la vue de tous pour bien montrer que les ingrédients utilisés étaient permis (h'lal 3lina). Sans cesser un instant de travailler, elles appelaient les clientes, vantaient leurs produits, négociaient les prix.
De l'autre côté, les hommes alignaient des centaines de bouquets et de pots de fleurs de toutes espèces et toutes couleurs. Des chariots contenant des gerbes de fèves, des épis de blé et des herbes vertes de toutes sortes (l'rbé3), et bien sûr des pâtisseries aux amandes et à la crème, les unes semblant plus savoureuses que les autres.
Aucun espoir pour ma mère Z'L' de faire comme les autres. Les corvées n'étaient pas finies pour elle. Après avoir récuré pendant tout un mois la maison du sous-sol au plafond, cuisiné et servi les 8 jours de fêtes, matin, midi et soir, notre tradition voulait que la 3ada servie chez nous soit préparée par la maitresse de maison en personne. La mofleta devait donc être pétrie et cuite par ma mère.
Table de Mimouna
Tous les ans mon père Z'L' pestait contre lui, le suppliait de ne rien faire et lui expliquait inlassablement que notre tradition voulait que toutes ces courses soient faites par nous. Rien n'y faisait, Abdelatif et sa famille se faisaient un devoir de nous honorer en nous rappelant que nous les avons provoqués en leur cuisinant durant les fêtes les mets les plus délicats (1 million de salades cuites et fraiches, m'hmer, agneau b'térfass, veau avec oignon confit, raisin secs et pruneaux, artichauts farcis, poulet au fenouil, pastellas b'lidam (pastèles de pommes de terre au gras) (mérou sur son lit de fèves, etc, etc,) blabach ma yakhadkoum.
Les familles préparaient leur table de Mimouna chacune selon ses moyens et sa 3ada (coutume). Et c'est en se rendant visite toute cette nuit que nous allons goûter à la 3ada des uns et des autres (mofléta, couscous, bérkoukch, jabane,.... pour ce que je sais). Mais dressons plutôt la table.
Dans ma famille, les moyens étaient très limités. Il fallait néanmoins laisser sa porte ouverte et recevoir comme il se doit. Le principal était de respecter les symboles de cette nuit.
Comme le Séder de Rosh Hachana et des 2 premiers soirs de Pessah, le séder de lilt l'mimouna (nuit de la mimouna) décrit ci-dessous était exactement le même dans toutes les familles juives et représente la richesse, la joie et l'allégresse (MAMOUN) et selon les moyens des uns et des autres on pouvait trouver en plus des pâtisseries de toutes sortes, des confitures d'aubergines, de carottes et autres délicatesses préparées spécialement pour cette soirée.
Sur sa table que ma mère avait habillée de sa plus belle nappe et recouverte de rbé3 (herbes vertes) et d'épis de blé, elle :
Multipliait les assiettes de fakiya (fruits secs ou mendiants), symbole de notre humilité devant D' de nous avoir fait vivre tous ces miracles et nous avoir amenés "mé 3évdout la hérout" (de l'esclavage à la liberté).
Posait une grande coupe contenant le lait, et dans une autre coupe contenant l'énorme motte de beurre béldi d'Abdélatif sur lequel elle faisait couler tout le miel (sur le beurre par sur Abdélatif), symbole de l'abondance de la terre d'Israël promise à nos ancêtres et où ruissèlent le lait et le miel. C'est ainsi que D' a décrit à Moïse le pays où il devait nous conduire après nous avoir sorti d'Egypte.
- Un plateau de farine dans lequel elle a posé 5 gousses de fèves;
- Le magnifique poisson d'Abdélatif posé sur un lit de feuillage symbole de la séparation de la mer que nous avons traversée à sec. Ce poisson sera servi à la séouda du lendemain.
- Un bol contenant la khméra (la levure) préparée par elle-même selon une cérémonie que nous verrons plus loin;
- Ma3jun confiture d'écorce d'orange;
- Un plateau de matza pour la cérémonie de la 3ada que nous verrons plus loin, attention, ici chacun sa 3ada,
- Les bougies dans les grands chandeliers,
- Toute sorte de boissons thé, limonade,
Dès la nuit tombée on entamait la journée de mimouna par la préparation dél khméra. Farine, sel, sucre, levure, huile et en avant pour le pétrissage. Impossible de me souvenir si ma mère prélevait t'rouma comme lorsqu'elle faisait son pain. Une fois la pâte prête, elle prenait un beau morceau qu'elle mettait dans une grande coupe (la coupe devait faire au moins 5 fois le volume de la pâte). Une fois prête, elle nous appelait pour nous la montrer. Tous ceux qui le voulaient introduisaient dans la pâte des pièces de monnaies, ma mère ôtait ces bracelets en or et les posait également sur la pâte, enfin mon père recouvrait le tout de billets de banque. Cette opération terminée, la coupe était posée sur la table puisque l'khméra fait partie du séder. Le lendemain cette pâte aura au moins quintuplée de volume et servira à faire les premières hallots (nous verrons ça à la séouda du lendemain). Symbole de cette cérémonie : de pain de misère et en partant de rien esclaves nous étions, avilis, affamés, humiliés, empêchés de pratiquer notre foi (pâte non levée), il nous a fallu de longues années pour nous purifier, nous transformer, patienter et traverser les pires épreuves pour mériter ce qui allait suivre (la pâte est levée). Grâce à notre foi en D' et en Moïse son serviteur, D' a senti que nous étions prêt et que nous méritions la récompense suprême de recevoir la Torah et, cerise sur le gâteau, retrouver la terre d'Israël. Ainsi, mon père faisait une brakha (bénédiction) en souhaitant que nos bonnes actions, nos richesses (mamoun) tant matérielles que spirituelles enflent et se multiplient comme la pâte dans la joie et l'allégresse. Cette khméra servira à la confection des premières hallots qui seront servis à la séouda de la mimouna.
Une fois que ma mère avait cuit une tournée de mofléta (soit une douzaine environ) elle les apportait sur la table. Mais avant de les consommer on devait au préalable procédait à la 3ada.
Mon père nous réunissait autour de lui à la table de Mimouna où tout le Séder est à présent posé. Souvenez-vous plus haut je disais avoir mis sur la table un plateau de Matzot (décidemment, ce n'est pas encore fini avec elles, nous allons même les retrouver à Chavouot). Mon père cassait la matza en gros morceau, plongeait le morceau dans la coupe contenant le beurre et le miel pour en mettre sur la Matza et nous distribuait à chacun un morceau de cette Matza avec beurre et miel en nous bénissant chacun notre tour : térb'hou (que vous soyez gagnants), s'ha (la santé) , l'3mér twil (la longue vie), le mariage, la bar mitzva, les naissances, la réussite dans les études au travail, un bon mazal etc etc. Chacun recevait la bénédiction qui lui convenait. Puis ma mère ou mon frère ainé faisait de même en donnant à mon père et chacun allait de sa bénédiction. On accompagnait cette 3ada d'un verre de lait. Symbole de cette 3ada : l'abondance recouvre la misère ou la transformation de la misère en abondance. Mes parents étaient connus pour leurs brakhots. Jusqu'à leur disparition, familles et amis se déplaçaient et venaient de loin recevoir une brakha (bénecdiction),avec la 3ada (coutume). Ils leur disaient n'sébrou brakha (on attend la bénédiction) ou n'ch'tfalou mén idikoum (on veut recevoir la brakha de votre main). Je n'arrive pas à trouver la traduction exacte de n'ch'tfalou expression qui revient à chaque renouvellement de quelque chose exemple après shabbat celui qui va faire le premier Kass d'ataye (Verre de thé).
Après la 3ada, Ahhhhhhh enfin, sus sur la mofléta qu'on dégustait badigeonnée de beurre de miel et accompagnait d'un Kass d'ataye mén dak ché r'fé3 (Verre de thé sans égal).
Ma mère retournait à ses moflétas. Les visiteurs pouvaient arriver. C'était parti pour la nuit.
Des familles aisées apportaient " d'nadniya " (orchestres orientaux) pour animer la nuit et du plus loin que je me souviens on chantait Lala mimouna m'barka m'ss3ouda ou bien yahia mimouna mimouna ya mimouna. On rajoutait pour s'amuser : le commandant m'a dit d'apporter mon fusil, moi comprends pas français, j'apporte une bouteille d'huile, yahia mimouna mimouna ya mimouna.
Tout au long de la nuit, les visiteurs arrivaient les hommes en djellaba blanche et tarbouche, les femmes parées de leur plus beaux caftans et bijoux, rentraient dans les maisons en criant T'RB'HOU et 3am jaye n'tjm3ou f'yérouchalaym (l'an prochain, on se réunit à Jérusalem), amen amen.
Ne pas aller les uns chez les autres pouvait provoquer de graves incidents diplomatiques. Mes parents ne se déplaçaient jamais mais personne ne leur en tenait rigueur, c'était des gens tellement humbles et discrets. Et de toutes les façons, ils restaient chez eux pour accueillir les visiteurs venus de loin recevoir leur bénédiction. Tout le monde les respectait pour ça.
2ème partie S'BAH EL MIMOUNA (le matin de la Mimouna)Toute la nuit, dans l'allégresse, les juifs du Maroc se sont rendu visite, ont dégusté des douceurs et bu diverses boissons en se souhaitant la réussite et en formulant le projet de se retrouver l'année prochaine à Jérusalem. Pendant ce temps, l'horloge a tournée et voilà que le jour commence à pointer. Pour ceux qui se sont couchés plus tôt il leur faudra se lever vite et pour ceux qui n'ont pas encore dormi, ce n'est pas le moment d'aller se coucher. Car il faut se mettre en route pour effectuer une cérémonie peut-être étrange mais tellement pleine de symboles, et que personne n'aurait manquée.
On aurait cru la Sortie d'Egypte, en vrai. Par dizaines et dizaines, que dis-je ? Par centaines, les familles avec tout ce qu'elles comptaient de personnes âgées et enfants de tous âges prenaient la route à pied, de préférence, et se dirigeaient vers l'mrigiga (la plage ou le bord de mer).
Le rituel consistait à rentrer dans l'eau. Minimum jusqu'aux genoux. Les plus téméraires entièrement. Tout cela dans l'allégresse et en chanson.
Bain de mer à Mriziga.
En fait, on reproduisait le geste de nos ancêtres et particulièrement la tribu de Benyamin. Quand Moïse a donné l'ordre aux enfants d'Israël de rentrer dans l'eau pour traverser le Yam Souf, les tribus se sont reculées de peur tant que la mer ne s'ouvrait pas.
Seule la tribu de Benyamin pour montrer son émouna (foi) en Hachem s'est jeté à l'eau (d'où l'expression) jusqu'à pas pied.
Voyant que les autres tribus continuaient de reculer, Moïse dû taper la mer de son bâton. La mer s'est alors séparée et toutes les tribus sont passées. En récompense de son émouna, c'est sur le territoire de Benyamin que fut construit le Beith Hamikdach (le temple).
En allant à l'mrigiga, nous reproduisions le même geste ; le renouvellement de LA EMOUNA en Hachem. EMOUNA est devenu MIMOUNA.
Au retour à la maison, les femmes marchaient devant en tapant sur les tarboukas, chantant et dansant pour fêter notre délivrance et d'avoir traversé la mer en sécurité.
C'était des processions sur toutes les routes, du plus loin que je me souviens, beaucoup de famille juives espagnoles étaient présentes sur les parcours.
Nous étions très attachés à ce rite respecté par les juifs du Maroc. Vraiment, la journée de Mimouna est pleine de symboles et 3adots (coutumes), le passage à la mer en est un.
C'était une très belle commémoration pratiquée avec ferveur et émotion par tous. Cependant, il fallait rester très vigilent :
- d'une part en faisant particulièrement attention à ceux qui, ayant abusé d'alcool, étaient en danger de faire un malaise dans l'eau,
- d'autre part, (comme me l'a très justement rappelé un ami sur facebook), en organisant un roulement pour surveiller en permanence le linge et les chaussures laissés sur la plage le temps de la baignade.
- Les baigneurs n'ayant pas pris cette précaution sont retournés à la maison sans chemise, sans pantalon et pieds nus.
Après les symboles de lilt él Mimouna, et de s'bah él Mimouna, voyons à présent N'har L'Mimouna avec la 3ada servie au déjeuner et la séouda de clôture.
Au retour de m'rigiga (la plage ou le bord de mer) et après cette folle nuit d'allégresse, de brakhots, de consommation de douceurs et quelques verres de mahia ou autre alcool qu'on ne saurait refuser sous peine de vexer ses hôtes, chacun aspirait à prendre un peu de repos car il fallait tenir jusqu'au soir.
En effet, la Mimouna n'est pas encore terminée.
Ma mère préparait un bon b'rad d'athaye b'na3na3 ou ss'kar (théier de thé à la menthe bien sucré) qu'on buvait avec les restes des moflétas de la veille. Vous avez bien noté que nous n'avons pas encore mangé le pain. Tandis que les uns (je précise les hommes) allaient se coucher et il faut bien l'admettre cuver l'alcool absorbé dans la nuit, les autres (je précise les femmes), comme ma mère, retournaient à la cuisine préparer la 3ada qui allait servir de déjeuner à la famille. B'rkoukch.
Elle avait mis l'eau à bouillir, versé la semoule dans un grand r'rbal (tamis) et, à l'instar des femmes marocaines de la veille, elle a pris la même position, reproduit les mêmes gestes, avec la paume de sa main elle roulait la semoule en grumeaux épais. Dès que le r'rbal était suffisamment rempli de gros grumeaux, avec la même adresse, balançait son r'rbal de droite à gauche, d'arrière en avant, de haut en bas pour séparer les grains. C'est sûr et certain, elles ont dû aller à la même école d'apprentissage de femmes d'intérieur. Elle versait les grumeaux aptes à b'rkoukch dans sa j'lafa en émail blanc bordée d'un liseré bleu-marine, et recommençait la même opération jusqu'à ce qu'il y ait assez de b'rkouch pour nourrir une armée c'est-à-dire la famille et surtout les personnes qui pourraient venir à l'improviste, sans prévenir, et qui sont toujours les bienvenus.
Après cuisson à la vapeur, ma mère mettait les grumeaux dans une grande marmite halavi (utilisation exclusive pour le laitage) et versait dessus du lait et des morceaux de beurre.
B'rkoukche était prêt et allait être dégusté, que dis-je ? Englouti, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Le grand kif c'était de rajouter dans son bol de b'rkoukch du l'ben (lait fermenté) d'Abdélatif. Toujours pas de pain.
berkoukes au lait
Symbole de ce 2ème repas de Mimouna : Il (D') nous a fait sortir d'Egypte avec Mamounam (la veille au soir), nous a ouvert la mer pour la traverser (m'rigiga à l'aube) nous a nourri de sa manne (b'rkoukch). Mon D' que la manne est délicieuse, nos ancêtres ont dû se régaler tous les jours.
Les hommes sont vraiment très fatigués, ils doivent encore faire la sieste s'ils veulent retrouver la force de continuer de festoyer comme il se doit pour la dernière ligne droite de cette journée de Mimouna.
Les femmes n'ont pas le temps, elles courent partout ; faut faire le ménage, ranger la maison, faire encore quelques courses car il leur reste à préparer la séouda qui doit être servie en milieu d'après-midi (comme la séouda chélichit de chabat ou la séouda de pourim). Ce sera ce 3ème repas consommé avant la tombée de la nuit qui clôturera cette journée de Mimouna débutée la veille.
C'était fête pour tout le monde même pour les enfants, pendant que les parents s'activaient en cuisine, les enfants grands et petits continuaient de se rendre visite ou de sortir se promener. On entendait partout dans les rues, les gens se crier T'rbéh. Même ceux qui ne se connaissaient ni d'Adam ni d'Eve se faisaient une obligation de se souhaiter la réussite.
Le jeu qui amusait le plus grand nombre c'était de se cacher et dès qu'une personne passait, on surgissait de notre cachette en lui criant à la face T'rbéh pour la surprendre. Fou rire assuré. Les personnes sursautaient, et crachaient dans leur corsage pour conjurer leur peur ce qui nous valait quelques enguelades et parfois même des menaces de mauvais sorts. Mais on s'en fichait, c'était trop rigolo.
La veille, nombre de jeunes, filles et garçons, pour fêter la Mimouna entre jeunes, se retrouvaient en famille ou en boîte de nuit (au Balcon ou à la Notté). Je les enviais beaucoup et buvais leurs paroles lorsque qu'au retour à l'école mes camarades du même âge que moi me racontaient leur soirée. Moi, je n'avais pas le droit de sortir en boîte. Nulle part d'ailleurs. C'était comme ça. Point. De la maison à l'école et de l'école à la maison bésslama.
Soirée de Mimouna (dafina.net)
Préparation de la séouda :Tout de suite après avoir avalé quelques cuillères de b'rkoukch pour goûter la 3ada, ma mère nettoyait et rangeait toutes la vaisselle halavi. Les manches toujours relevées, elle attaque de front la préparation de la séouda qui doit être bassari (à base de viande) et composée les trois espèces de la création : mer, air et terre (comme pour chabat). Elle a d'abord cachérisé ses viandes.
Pendant que la viande cachérisait, elle a pétrie son pain. Dans la pâte elle a intégré la khméra préparée la veille et qui a débordée de son récipient. Mon père était déjà passé pour récupérer ses billets de banque qui n'avaient pas fait des petits et qui ne recouvraient plus la pâte tellement celle-ci avait gonflée.
Ma mère a bien fouillé dedans également pour extraire ses bracelets ainsi que toutes les pièces qui avaient disparus dans la pâte. Je ne me souviens pas si les pièces de monnaies allaient à la tsédaka.
Elle a fait des belles hallots, les a décorées d'oiseaux et de fleurs en pates, les a dorées à l'œuf et envoyé él f'ran (au four). Elle continuera à faire son pain avec cette khméra jusqu'au premier chabat qui suit la Mimouna inclus. Après Chabat seulement, on pourra consommer du pain de l'extérieur (comme les flutes de chez l'épicier par exemple).
Déroulement du repas : 4 services :1er service
En entrée, comme d'habitude, pour ne pas changer, un million de salades cuites et fraiches dont : salada madboukha, fofla méchouiya, sélk, l'bdeljane, él foul, khijo, barba, él béjla béda ou hémra, él khiyar, tétya'h, béchbach, salada di matéssa triya et bien entendu riouss dél kh'ssatt. Traduction dans l'ordre : salade cuite, poivron grillé, salade de blettes, d'aubergine, de fèves, de carottes, de betteraves, de radis bancs et rouges, de concombres, les variantes, le fenouil, salade de tomates fraiches et bien entendu les têtes de salades vertes (sucrines aujourd'hui).
Pour accompagner les salades (des fois qu'elles se sentent seules !) on servait le m'hémer ou bien la méguina que ma mère faisait cuire sur le m'zmer (kanoun). Pour affiner la cuisson, elle posait des morceaux de charbons encore rougis sur le couvercle de la marmite où cuisait le m'hémer. Ma mère nous appelait à tour de rôle pour activer les braises avec raboz (souffleur) et quand ça ne marchait pas assez vite pour elle, elle n'hésitait pas à se mettre à genoux, baisser la tête au niveau des braises et leur souffler dessus.
Produit de la mer avec le poisson d'Abdélatif qu'elle a nettoyé, vidé, écaillé, tronçonné, cuisiné et savamment assaisonné de condiments bél késsbor ou l'm3édnouch (persil et coriandre) le poisson bien sûr, pas Abdélatif, ainsi que quelques poivrons grillés. Tout cela mariné dans cette fameuse sauce brillante et onctueuse, spéciale et caractéristique des juifs marocains. Impossible de me souvenir si ma mère avait utilisé de l'ail pour cette cuisson car je rappelle que toute la durée de Pessah, nous ne consommons pas d'ail.
Produit de l'air avec le poulet aromatisé au safran et cuisiné avec des olives et du citron. Mon D' quel fumet se dégageait lors de la cuisson ! Aucun top chef du monde, même avec la volaille la plus labélisée qui existe, ne saura jamais reproduire cette l'dda et cette b'nna (goût et saveur).
Produit de la terre avec soit le veau soit l'agneau (viandes plus noble que le bœuf pour les fêtes) cuisiné avec t'rfech aw-la ? Sinon où elle est l'hiba dél 3id ? Et cela va sans dire le tagine d'oignons confits aux pruneaux et raisins secs le tout saupoudré d'amandes grillées (sucré/salé nous sommes bien des souiriyines non ?)..
EpilogueOranges découpées en rondelles. Euh ... là ça fait diète vous ne trouvez pas ?
Quand je pense que le piano de cuisine de ma mère se composait d'un m'zmer et d'un petit fourneau 1 feu. L'3jéb d'él Llah ce qu'elle pouvait faire avec ! T'bark Allah nous étions une famille très nombreuse sans compter les invités. Elle jonglait toujours entre le charbon et le pétrole. Pour la hiba de la fête, tout était préparé jour J. Il faut admettre que cette forme de cuisson était particulièrement savoureuse. C'est bien plus tard vers la fin des années 60 que ma mère consentira à troquer son m'zmer et son fourneau contre le butagaz.
Symbole de cette Séouda ou festin : tout au long des 8 jours de Pessah et depuis le début de la Mimouna nous avons reproduit tous les évènements et gestes de nos ancêtres. Nous n'avons cessé de nous souvenir, d'évoquer et de rendre grâce à Ha Kaddoch Baroukh Hou (Le plus grand, béni soit il) de tout ce qu'il a fait pour nous, nous réjouir et le remercier de :
- Nous avoir sorti d'Egypte avec des miracles,
- Nous avoir donné Mamounam,
- Nous avoir fait traverser la mer,
- Nous avoir donné la Thora,
- Nous avoir nourris de la Manne
- Nous avoir fait rentrer en Eretz Israël,
Que nous manque-t-il d'autre sinon MACHIYA'H ? Nous appelons également ce festin Séoudate Machiya'h car il ne nous manque plus que sa venue. Amen.
D' est toujours présent avec nous tous les jours de notre vie. Mais Pessah a ceci de particulier que l'on perçoit encore plus fort le Saint Béni Soit-Il. Nous le lisons dans la Haggada dans le magnifique cantique " Bekhol dor vador 'hayav adam léhar-ot éte 3atzmo kéïlou yatsa mimitzraïm " (à chaque génération, chaque juif doit se considérer comme ayant pris part lui-même à l'exode).
Pour chabat, D' nous donne un supplément d'âme, à Pessah, D' nous rapproche encore plus de lui. Et c'est comme un pincement au cœur de devoir renoncer à ce supplément de rapprochement avec notre créateur.
Alors, nous faisons un magnifique festin pour le célébrer en attendant 3am jaye f'yérouchalayim ha b'nouya. Ce repas-de clôture doit être encore plus beau, plus savoureux, plus festif que tous les autres afin de prouver à Ha Kaddoch Baroukh Hou combien nous lui sommes reconnaissants et heureux de le recevoir et combien nous aspirons à le recevoir de nouveau.
Liliane Léah TamsotLiliane Léah Tamsot
Née le 23 juillet 1957 au - quartier des Jardins F'tiyéh (3'rcht f'tiya'h) dans un logement commun avec la synagogue de R'bbé Braham à Casablanca.
Habitais 16, boulevard de Bordeaux - Casablanca - Maroc
2 enfant, 2 petits-enfants et bientôt un 3 ème .
J'aime l'astronomie, les longues marches à pied, le sport et la danse d'Israël.
Dévoreuse d'anthologie de Torah.
Ma devise : je ne suis pas assez riche pour acheter de la mauvaise qualité.
Ecole Sémach de CP à CM2
Cours Complémentaire de 6 ème à terminal. Bac en 1976.
BTS secrétaire de Direction Bilingue
Travaille dans une banque. Débuté gestionnaire de portefeuille d'institutionnels étrangers et depuis 4 ans au pilotage commercial.
6 ou 7 ans choriste au Temple Algérien, rue Verlet Hanus sous la direction de Mr. Bengio, du Rabbin Azuélos et du Directeur Mr. Lévy d'où une parfaite connaissance des prières, liturgies et cérémonials des fêtes juives, mariages, communions et deuils.
Elève au conservatoire National de Casablanca où j'ai étudié solfège, guitare et Arts Dramatiques avec représentations annuelles données au Théâtre de Casa
Papa :
Nessim Tamsot né en 1918 à Mogador
de Méyer Tamsot et Myriam Edery
Hassiba née Benlolo née en 1923 à Immintanout (en bébère la porte du petit puit) de Yéhochoua Benlolo et Rahel Assaraf.
Ont péri dans la tragédie du Egoz :
Rahel, la mère de ma mère,
Myriam sa fille (sœur à ma mère), son mari et ses deux enfants.
Ainsi que de nombreux membres de la famille un peu plus éloignés.
Décendente par mon père de :
Rabbi Messeud Tamsot (mogador)
Rabbi Chlomo Tamsot (Marrakech)
Déscendante par ma mère de :
Rabbi Moché Benlolo (dont une rue à Ashdod porte le nom)
Rabbi Meïr Benlolo (vallée du Draa en cours de recherche)
Et surement plus de rabbanims encore comme tous les juifs du Maroc.