Grâce à l'extrême générosité d'Eurostar, j'ai pu retourner à Paris lors des vacances de Pâques.
Pourquoi avoir attendu 18 mois pour mettre les pieds dans notre chère capitale française ?
Et bien tout d'abord parce que plus les mois passent et plus les billets de train coûtent une blinde et que j'arrive à retrouver mes amis et la famille en dehors de Paris (de la Bretagne à Dublin, en passant par la Lozère et le sud de la France). Pourquoi donc s'enquiquiner à aller à Paris où tout le monde semble faire la gueule?
Comme beaucoup d'expatriés, l'idée même de revenir vivre en France n'est absolument pas envisageable... A la fameuse question : "Et toi? Tu te vois revenir à Paris?", la réponse est généralement "Never, over my dead body, t'es complètement dingue, je préfère même pas y penser!", avec un ton offusqué voire choqué comme si on te demandait de participer à des jeux sexuels avec des animaux (consentants).
Le problème est que, malgré tout, je suis très attachée à la culture française et on peut difficilement nier que c'est un pays magnifique.
Quand on vit à Londres, au début, on a un peu le coeur qui balance entre la France et l'Angleterre, toujours le cul entre deux chaises, qui trempe dans la Manche. On s'installe tranquille, on améliore son anglais, on renifle les us et coutumes locales, on colle les gamins dans un environnement 100% british, on apprécie la politesse des anglais et on découvre le Pinot Grigio. Parallèlement à ça, on s'extasie devant un bon saucisson, on se fait des petits trips à Paris pour retrouver nos habitudes, on s'entoure de français qui pratiquent le même humour lourdingue, on court après les cours de français pour nos gamins et on fait péter le Sancerre quand on veut se faire plaisir.
Mais au fur et à mesure que les années passent, on se radicalise : l'Angleterre est maintenant mon pays d'adoption et la France n'a plus la même saveur. J'avoue avoir pratiqué ces dernières années le "french-bashing" qui consiste à critiquer la France et les français, avec une mauvaise foi dont je ne me saurais jamais cru capable. Comme si j'avais besoin d'une réelle fracture avec ma Mère Patrie pour justifier mon exil et me conforter dans mon choix.
Tout le monde en prend pour son grade :
- Les français sont cons, ils râlent tout le temps, ils font la gueule et ils se mettent à voter FN en masse.
- Les chauffeurs de taxis sont tellement désagréables qu'on a envie de leur mettre des claques et que ton pourboire tu peux t'asseoir dessus avec ton gros cul connard. Et en plus, ta voiture, elle pue la clope et la transpiration. Et puis tiens, maintenant j'utilise Uber, j'ai au moins droit à une bouteille de flotte ou à des bonbons.
- Les serveurs, c'est pas mieux. Le jeunot qui n'a pas trouvé de job après sa maîtrise de philo fait payer aux clients sa vie de merde et le plus aguerri te sert un express à 4 euros sans même décrocher un sourire, tellement occupé à tripoter sa monnaie dans sa petite poche de merde, comme un appel subliminal pour que je lui lâche un pourboire.
- Y'a toujours, je dis bien toujours des grèves. Quand ce ne sont pas les pilotes d'Air France, c'est le personnel de bord, à quai, techniciens, conducteurs. Bah tiens, à Pâques, c'était la grève du personnel qui approvisionne les wagons restaurants : celle-là, non seulement on me l'avait jamais faite, mais en plus je ne m'y attendais pas (je peux te dire que 4 heures de train sans boire ni manger avec 2 nains, c'est pas la joie). Ca, c'est typiquement la grève à la con qui fait réaliser aux usagers qu'au lieu d'acheter un sandwich dégueulasse à 6 euros et un café soluble dans le train, on peut effectivement s'alimenter mieux que ça en s'organisant un peu à l'avance (fais péter le Super U). Et que ton bar là, bah il sert à rien. Sans déconner mon gars, c'est pas comme si t'étais cheminot ou que tu devais pousser un chariot au fond d'une mine??
- Y'a pas de boulot, pas d'avenir pour les jeunes, les boites n'ont plus un rond, elles payent trop de taxes et les jeunes entrepreneurs se cassent ailleurs. Super.
- On se sent en insécurité dans les transports en commun. NE FAIS PAS COMME A LONDRES, c'est à dire, ne t'avises pas de sortir ton ipad si tu ne veux pas te faire dérober et t'évites la mini-jupe si tu veux pas finir en tournante dans le RER.
- Y'a pas d'espace vert où poser ses fesses. Les nains ont eu le malheur de s'asseoir sur une pelouse au jardin du luxembourg et le vigile n'a pas attendu 5 minutes avant de les dégager. Et oublie le playground : il faut faire la queue et en plus il est payant.
- Y'a des crottes de chiens partout, ça c'est vraiment dégueulasse. Non mais un peu de civisme quoi, merde! T'aimerais toi que je vienne chier dans ta niche? Non. Donc tu ramasses ou tu fais ça dans le caniveau!
Bref, je pourrai continuer à déverser mon dégueuli comme ça sur 12 pages. Mais quel est l'intérêt?
Ce qui me mets le plus en colère je pense, c'est qu'à l'époque, j'adorais Paris, de jour comme de nuit. Le taf, les amis, les bars, la glande, les ballades romantiques, le ski à portée de train, les déjeuners familiaux et les bonnes bouffes, les trajets en scooter, l'accouchement sous péridurale… De loin, tout semble avoir laissé place à une morosité vraiment regrettable.
Et puis, ce récent séjour m'a fait oublier tout ça.
J'ai retrouvé ma petite pharmacie où j'ai claqué une fortune en crèmes hydratantes et shampoings à l'avoine qui serviront à rien vu que je perds mes cheveux, je me suis précipitée à la boulangerie du coin pour faire craquer entre mes doigts une baguette bien chaude, j'ai pris mon express à 4 euros tout en fumant des clopes, un jeune homme a laissé son siège aux nains dans un métro bondé (j'ai failli en pleurer d'émotion), j'ai trainé avec nostalgie dans les rues sales et bruyantes, j'ai salué Notre-Dame, j'ai dîné à St Germain, maté quelques culs en terrasse, j'ai pu aller d'un coup de train embrasser mes parents que je n'avais pas vus depuis 8 mois et retrouver mes frères et soeurs… et puis surtout, j'ai pu revoir mes amis de longue date, ceux qui trainent dans mon sillage depuis bientôt 30 ans, ceux que je revois en ayant l'impression d'avoir dîné avec eux la veille (une note d'hystérie en sus, je vous l'accorde) et avec qui je partage de tels souvenirs liés à Paris : du collège à la Fac, les cuites monumentales, les premiers déboires amoureux, la célébration du premier job et du premier enfant… Je suis rentrée à Londres de meilleure humeur, en ayant eu l'impression de m'être réconciliée avec la France.
Car ce n'est finalement pas la rudesse d'inconnus mais les amis que j'y ai laissés et pour lesquels j'ai une immense tendresse qui font que Paris, restera, pour toujours, la ville de mon coeur.