Il faut dire que Stephan Eicher fut un de tous premiers artistes que j'ai vu en concert, en tout cas sans mes parents. Vers l'âge de 15 ans, il y a tout juste 20 ans, ma soeur m'avait amené, avec une de ses amies le voir à l'Olympia, on était debout dans la fosse, et ca me changeait des concerts des Charlots ou de Dorothée que j'avais pu voir avant (bon, pas à 15 ans quand même, je vous rassure)
Stephan imposait alors une présence exceptionnelle, accentuée par l'orchestration de ses fidèles musiciens tziganes qui se fondaient à merveille dans son univers. Et sa voix d'écorché vif, un peu déraillé, un peu limite, ajoutait à la fascniation qu'il exercait sur l'ado de 15 ans que j'étais.
Je ne l'avais pas revu sur scène depuis avant cette année 2015 lorsque le chanteur suisse qui ressemble de plus en plus à d'Artagnan ( ou Richelieu, ou Nicolas Rey enfin vous voyez le genre) est venu sur la scène du Radiant de Caluire pour nous livrer son dernier spectacle, un spectacle pour le moins singulier et assez unique dans son genre.
Figurez vous que le chanteur helvétique s'est présenté seul sur scène entouré d’automates en guise de musiciens, bref, une idée qui pouvait me laisser un poil sceptique lorsque j'en en ai vent, quelques jours à peine avant le début du spectacle …
Lorsqu'on le voit voilà au milieu d’une suite d’instruments, piano droit, tuyaux d’orgue lumineux, percussions, on lève un sourcil inquiet devant ce cabinet de curiosité musicale imaginé par le chanteur.
Mais on s'apercoit vite qu'Eicher, en véritable homme orchestre, nous entraine dans un monde d’automates où tout est mécanisé comme ce fameux piano où le mouvement de touches ou de baguettes s’accompagnent de petites lumières clignotantes.
Un peu comme ces magiciens que mon fils adore tant, l'artiste a dirigé à lui tout seul tout un orchestre de musiciens fantomes, automates formé d'un xylophone, un jeu de cloches, une batterie, un orgue de lumière, tout en chantant et s'accompagnant à la guitare.
Et alors qu'on aurait pu craindre un spectacle un peu froid et désincarné, où la technologie l'emporte sur l'émotion,il n'en fut rien grâce à la beauté de la mise en scène, et grâce à l'évidente complicité entre le chanteur et le public.
J'ai particulièrement aimé la version d'un de ses récents titres, "Donne-moi une seconde », ouvrant l'album l'envolée et le concert par la même occasion. Evoquant la difficulté de vivre ensemble, la mélodie oscille entre aigus percutants et gravité dramatique et les machines jouant seules de M Eicher viennent ici.
Et bien sûr, tous les grands tubes d’Eicher sont ainsi totalement revisités : Combien de temps, Pas d’ami comme toi, Hemmige (sans doute la seule chanson en langue allemande que j'ai jamais aimé), sans oublier Déjeuner en paix, dont le texte rattrapé par l’actualité frappe de plein fouet : « Cette fois je ne lui annoncerai pas la dernière hécatombe, je garderai pour moi ce que m’inspire le monde. »
Etrangement, sur ces textes parfois douloureux, la nouvelle orchestration choisie par l'orfèvre Eicher met encore plus en valeur les textes et sa si fructueuse collaboration avec Djian , la plume et la rythmique si particulières de son acolyte écrivain.
Et les machines de Stefan mettent également bien en valeur le timbre éraillé de la voix de ce chanteur à part dans le paysage musical francophone.
Puis Tu ne me dois rien, cette si belle chanson dont j'avais vanté les mérites, et inspiré par une conversation au téléphone (« Appelle-moi plus souvent si tu en as envie ») Stefan Eicher a l'idée saugrenue de premier abord puis assez formidable ensuite d' inviter la salle à faire retentir les sonneries de portables pendant la chanson, pour nous montrer aussi que nous aussi on peut contrôler les machines.
Autrement dit, un moment assez magique, et un concert entre poésie et virtuosité, que je vous conseille si jamais il passe près de chez vous lors des différents festivals estivaux.