Ce roman est comme le sujet qu’il traite délicieux et gourmand, Sarah Vaughan nous plonge dans le monde de la pâtisserie et c’est un régal. L’histoire se déroule de nos jours lors d’un grand concours de cuisine pour trouver la nouvelle figure de la marque Mrs Eaden, dont la créatrice du même nom et décédée l’année précédente. Cette grande pâtissière a révolutionné cette discipline en publiant un livre en 1966, l’art de la pâtisserie dont des extraits en début de chaque chapitre et la vie de l’auteur alterne avec le récit du concours de cuisine.
On suit donc la vie et la création de cette bible de la cuisine par la narratrice Kathleen et on en apprend plus sur la création de la chaine, sa vision de la pâtisserie et de la famille idéale. Les descriptions des recettes donnent d’ailleurs l’eau à la bouche et le personnage de Kathleen véritable figure protectrice pour certaines participantes du concours donnent de la profondeur au récit. Sa quête notamment de la maternité est très touchante, et les différentes recettes et sections de son livre sur les gâteaux, biscuits, pains et brioches,tartes, entremets, art du thé sont subtilement écrites et composées comme dans un vrai livre de cuisine ce qui est étonnant.C’est un personnage attachant qui évolue et devient moins frivole qu’il n’y parait, on a hâte de comprendre la femme derrière l’image et son obsession pour la pâtisserie et les bonhommes en pain d’épices.
Cette plongée dans l’Angleterre des années 1960, de la vision de la famille est très intéressante comme le style de l’auteur qui réussit vraiment à recréer les odeurs, gestes et montages de pâtisserie. Elle réussit à nous faire manger par procuration ce qui est une vraie réussite. Ce sujet n’est pas accessoire, il est véritablement au cœur du récit comme la découverte de la vie de la pâtissière de renom. Les détails, les ingrédients et les recettes font mouche et nous font retrouver notre âme d’enfant face à ces délices sucrés. C’est vraiment l’originalité de ce roman, de faire des recettes un des acteurs du récit au même titre que les personnages et de rendre ce sujet passionnant.
En parallèle, on a l’histoire des 5 participants au concours Eaden qui ont chacun un challenge, un objectif différent. Ils veulent se prouver mais aussi à leurs entourages respectifs qu’ils sont capable de se dépasser et de se réaliser en remportant le concours.
Il y a Mike, la quarantaine, veuf qui est un véritable papa poule pour ses enfants et qui se consolent en réalisant des merveilles pour les siens. Homme droit et fragile, heureux de participer à cette aventure qui lui permet de retrouver les frissons de la compétition, vestige de son ancienne vie avant la mort de sa femme. C'est un personnage très touchant et sympathique.
Vicki: jeune institutrice qui est devenue mère au foyer pour son petit Alfie, déroutée par son nouveau rôle de maman, en quête de l’approbation de sa mère Frances ancienne proviseure très froide et peu maternelle. Elle voit dans ce concours un moyen de sortir de son foyer, de se reconstruire et de se prouver qu’elle n’est pas qu’une mère et une épouse dévouée. Elle doute de ses capacités et espère se rassurer dans ce concours. Elle qui a toujours aimé cuisiner et qui fait de cette activité un des moyens de communication privilégié avec son fils.
Claire, jeune employée de l’entreprise Eaden, jeune mère célibataire, elle a abandonné ses études à 17 ans dans la restauration pour s’occuper de sa fille Chloé. Ses parents sont un véritable roc pour elle, c’est d’ailleurs sa mère qui l’a inscrite à son insu au concours. Ce concours serait le moyen de renouer avec ses rêves et de tirer un trait sur le passé.
Jenny, véritable mère poule pour ses 3 filles, dévouée à son mari Nigel, dont la vie tourne depuis 30 ans autour de sa famille. Mais son monde est en train de se fissurer, ses filles ont quitté la maison, son mari est obsédé par sa ligne, il ne veut plus de sa cuisine et elle essaye de trouver un nouvel intérêt à sa vie. Personnage attachant, véritable mère poule pour les autres candidates, elle est pourtant peu sûre d’elle à cause de ses kilos en trop et de son mari mesquin et égoïste.
Enfin, on a Karen, la quarantaine, a la réussite sociale éclatante, riche, à la taille de guêpe maman de 2 adolescents et aux prises avec son fils Jake et un mari absent. Pour elle la cuisine est une affaire de performance, de précision, elle ne goûte jamais une de ses créations et elle est obsédée par sa silhouette. Personnage plus complexe qu'il n'y parait dont le concours va faire remonter ses angoisses liées à son passé.
Au-delà de la compétition de cuisine, avec vidéos youtube à la clé ce que j’ai aimé, c’est la description de ces tournants de vie pour les personnages, leurs dépassements, interrogations qui sont profondément universelles. Ce côté très humaniste dans la plume de l’auteur qui est incarné par cette vision de la pâtisserie. Ce subtile dosage comme dans une recette de douceur et de dureté selon les participants, entre leurs failles et leurs doutes qui font que l'on se reconnaît dans chacun d'eux. On suit avec plaisir leurs découvertes et apprentissages de la vie à travers leurs progrès et les différentes étapes du concours.
Chacun d'eux a une vision différente de la pâtisserie et de la famille, car au cours de la compétition les histoires des différents personnages se dénouent. On voit comment la cuisine peut réconforter, servir de dérivatif, souder ou éloigner les êtres. Le récit nous interroge aussi sur la maternité, la difficulté de concilier vie de famille et travail pour une femme aujourd’hui. Il met aussi en évidence le culte du corps avec les personnages de Nigel et Karen, l’importance des apparences, le fait d’accepter les erreurs du passé. La question de la transmission est aussi au cœur du récit.
Mais c’est aussi une jolie ode à la gourmandise, au plaisir des sens, au sucre dans notre société qui a parfois perdue le goût des bonnes choses, un hymne aussi à la vie, à la famille, à la force de vaincre et de croire à ses rêves malgré l’adversité.
Un récit prenant, délicieux qui nous immerge dans ce monde délicat de la pâtisserie et de la gourmandise, qui nous fait redevenir enfant, qui m’a rappelé mes premiers pas dans une cuisine et des souvenirs de préparation familale.
Alors prenez un aller simple pour le plaisir des mots et du palais, dans cet univers à la fois sucré et acidulé, voyez comment la pâtisserie transformera la vie des protagonistes et croquez dans ce délicieux récit et savourez le !
PS : j’ai eu la chance de rencontrer l’auteur et de découvrir ce livre grâce à babelio, et au-delà du plaisir de la lecture, cela a été l’occasion de découvrir des personnes formidables ( mention spéciale à Sandy) et de déguster en vraies des pâtisseries excellentes comme on le voit sur les photos.