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Charline Effah : N être

Par Gangoueus @lareus
Charline Effah : N êtreL’écrivaine gabonaise est l’auteure de trois romans. A l’occasion de la rentrée littéraire 2014, elle a livré aux éditions La Cheminante un nouveau roman de très bonne facture au titre à la fois trouble et évocateur : N’être
Lucinda est une jeune femme libre, mieux libérée. Quoique l’expression « femme libérée » n’est plus en odeur de sainteté. Nous ne ferons pas dans le cadre de cette chronique la guerre des mots, ni celle des qualificatifs. Nous dirons juste que Lucinda vit une relation amoureuse avec un homme marié tout en étant courtisée par un autre homme du même entourage. Quoi de plus banal de nos jours à une époque où des sites internet proposent de faciliter la relation physique extra-conjugale… De quoi passer pour un réactionnaire et être associé à la contre-révolution des moeurs. Alors que j’abandonne mes élucubrations pour revenir à ce monologue intérieur, Charline Effah choisit de prendre son lecteur par la main et de le conduire dans les méandres des distorsions psychologiques de son personnage narrateur. 
Pour cela, elle construit un roman non linéaire où l’expression de la narratrice évolue en fonction de ses interlocuteurs. Les choix, les orientations de Lucinda, ce qui forme le Graal de son combat, trouve son essence dans une enfance complexe où rejet et marginalisation furent des maîtres mots. Au-delà de cette dimension, la figure de Medza, sa mère, est extrêmement présente. La vie de Lucinda n’est construite que dans la négation de la figure maternelle qui est synonyme de trahison, de veulerie et d’abdication. C’est par un « Tu » dénonciateur que Lucinda entretient l’imaginaire associé à sa mère.
« Que diras-tu, Medza? Que diras-tu à ta maisonnée à notre sujet?Trouveras-tu des mots assez justes, assez forts, assez puissants, des mots sans t’écorcher les lèvres, des mots pour conter l’histoire de la femme debout devant la porte entrouverte? Cette femme est ta fille. Cette femme est leur soeur. Cette femme aurait pu être la fille de leur père. Cette femme, c’est moi. Je m’appelle Lucinda Bidzo » P.26

Charline Effah : N êtreLe roman de Charline Effah est très sombre. L’écrivaine travaille beaucoup sur la psychologie de Lucinda. Elle nous immisce dans l’enfermement du personnage, son conditionnement et une relation trouble faite de silence et d’incompréhensions entre une mère et sa fille. Tout au long de cette lecture, on est en droit de se poser une question. Un enfant doit-il juger les choix de son géniteur? De quelle manière, cette attitude nous prédestine à reproduire les schèmes que nous dénonçons? La romancière gabonaise est allée, à mon sens, au bout de cette question, même si elle la traite en filigrane. Elle pousse l’échange qui quitte les errements cérébraux pour une confrontation réelle qui ne manquera pas de surprendre le lecteur ou la narratrice. 
N’être. Ne pas être. Se questionner. Questionner. Pour être. Simplement.
Avant de terminer cette chronique, je voudrais dire que l’écriture de Charline Effah est remarquable. Les images empruntées. Les monologues sont portées par une voix qui exprime toute la féminité de Lucinda femme, mais aussi la colère et les reproches de la petite fille meurtrie qu'elle fût. Certaines formules pleines de bon sens resteront à l’esprit :
« Qu’est-ce que l’amour, si ce n’est l’errance des coeurs qui se cherchent? » p.32
D'autres questions laisseront songeur le lecteur.
Et si rien ne parasitait l'amour? Et si les débris du passé n'étaient en fait que des bouts de vie qui après avoir flotté, se seraient collés les uns sur les autres pour reconstituer l'histoire des gens qui, comme toi et moi, ont besoin de puiser dans les eaux troubles du souvenir sans lesquelles ils ne trouveront pas la paix? p.91
Charline Effah, N'être 
Editions La Cheminante, première parution en 2015, 144 pages
D'autres avis :
Liss Kihindou sur sur le site Valets des livres
Thomas Roland sur Culture au poing
Joss Doszen sur Agoravox
Source photo - La Cheminante

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