Les négociations autour du Ceta ou du Tafta poursuivent le même objectif : donner tous les pouvoirs aux firmes privées.
Les choix politiques majeurs ne se font plus dans les enceintes publiques de la démocratie parlementaire. Ils se négocient dans le cadre opaque de la diplomatie. Comment se distribuent l’eau, le gaz, l’électricité, comment s’organisent les transports en commun, l’accès aux médicaments et aux soins, l’accès à l’enseignement et à la culture, les conditions d’horaire et de salaire de ceux qui fournissent leur force de travail manuelle ou intellectuelle, les conditions fiscales, sociales et environnementales d’un investissement, l’accès aux marchés publics, la circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services : toutes ces matières sont désormais traitées en amont de la procédure quasi automatique de ratification par les parlements. Les gouvernements, ensuite, exécutent ce qu’ils ont négocié dans le secret. C’est le résultat de ce qu’on a appelé la « méthode Monnet », qui a permis de réaliser aux plans européen et international ce que le patronat peinait à obtenir au niveau national : conférer des compétences politiques de plus en plus importantes dans des secteurs essentiels à des institutions supranationales de nature technique, échappant à tout contrôle démocratique direct et ouvertes aux lobbys.
Cette méthode a connu le succès que l’on sait avec l’Union européenne, mais aussi avec une institution dont l’objectif est d’éliminer tous les obstacles à la concurrence : l’Organisation mondiale du commerce (OMC). C’est l’institution la plus puissante du monde. Par le champ des matières qu’elle gère, tous les domaines de notre vie quotidienne sont concernés. Or, chaque fois qu’un État s’engage à appliquer une disposition des accords de l’OMC, celle-ci devient obligatoire. L’OMC est la seule institution supranationale (à l’exception de l’UE pour ses États membres) dont les règles prédominent par rapport à l’ordre juridique interne des États membres. Et en cas de conflit, à l’inverse d’autres institutions internationales comme celles qui s’occupent de la santé, du travail ou de l’éducation, l’OMC est dotée de la capacité de sanctionner les États. L’OMC est le degré le plus abouti de la méthode Monnet. Son point faible, c’est l’obligation de décider à l’unanimité. Or, depuis une dizaine d’années, les exigences occidentales en faveur des firmes transnationales sont telles que tout est bloqué à l’OMC. Pour contourner cet obstacle, les Occidentaux ont décidé de négocier entre eux des traités présentés comme des accords de libre-échange. En 2009, a débuté la négociation d’un « accord économique et commercial global » entre l’UE et le Canada. C’est l’AECG, ou Ceta en anglais [1]. Elle s’est terminée en octobre 2013 et une cérémonie de signature a eu lieu en septembre 2014. La procédure de ratification n’a pas encore commencé. Elle pourrait être liée à deux autres traités en négociation.
Car, en 2012, à l’initiative de 50 États dont les 28 de l’UE, a commencé la négociation d’un accord sur le commerce des services (ACS) pour aller plus loin que l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC, jugé insuffisant par le patronat mondial. Celui-ci veut obtenir la privatisation totale et définitive (des dispositions sont prévues pour empêcher toute réappropriation publique) des activités de services dans les domaines de la finance, de l’énergie, de l’eau, des transports, du logement, de la santé, de l’éducation… Ce projet a reçu l’appui d’une majorité du Parlement européen, et les 28 gouvernements de l’UE ont demandé d’y intégrer un mécanisme privé d’arbitrage des conflits. Selon l’UE, la négociation devrait se terminer à la fin de l’année. Il y a enfin le fameux Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI ou TTIP en anglais, désigné en France sous l’acronyme Tafta), un jumeau de l’accord avec le Canada, dont les négociations devraient se terminer fin 2015 [2].
Ces négociations ont en commun de traiter de sujets qui relèvent de la souveraineté populaire, de se dérouler sans mandat des peuples, de se tenir dans le plus grand secret et de bénéficier du soutien sans faille de tous les gouvernements de l’UE, même quand certains tiennent, sur l’un ou l’autre point, un discours public plus nuancé. Ces négociations poursuivent toutes le même objectif : donner tous les pouvoirs aux firmes privées. Début 2016, il est possible que le Parlement européen et les parlements nationaux se voient devant le choix suivant : accepter ou refuser un paquet de trois traités, présentés évidemment comme le « résultat de tant d’années de négociations en vue de grandes avancées pour la croissance et l’emploi ». On imagine la pression qui sera exercée sur les élus par la Commission européenne, le patronat, les gouvernements et la plupart des médias pour leur faire accepter ce qui provoquera, en fait, le plus grand recul du droit des peuples jamais observé.
Nota Bene :
Raoul Marc Jennar Essayiste.Photo : Editpress/Pierre Matge[1] Voir Politis n° 1320, du 25 septembre 2014.
[2] Un 9e cycle de négociations est prévu du 20 au 24 avril à New York, et une journée internationale d’action contre les traités de libre-échange est organisée le 18 avril.
Par Raoul Marc Jennar - 16 avril 2015
http://www.politis.fr/Ceta-Tafta-Ces-accords-qui,30820.html