Le Mali. Un pays souvent sous le feu de l'actualité ces dernières années, et pas souvent pour des événements joyeux et positifs, hélas. C'est dans ce pays que nous emmène notre roman du jour, un pays grand comme deux fois la France, curieusement dessiné, comme souvent les Etats africains, avec une partie nord désertique et une partie sud où se trouve la capitale, Bamako, là où se concentre une grande partie de la population. Un pays en proie aux maux contemporains que sont l'islamisme et le terrorisme, avec la guerre qui en a découlé, mais pas seulement, comme on s'en rend compte à la lecture de "Black Cocaïne", thriller de Laurent Guillaume, désormais disponible en poche chez Folio. Un livre qui commence comme un roman noir avant de se muer en thriller utlra-violent, mais placé sous haute tension. Et un personnage central qui n'a plus rien à perdre...
Souleymane Camara, alias Solo, était flic des stups en France. Mais, suite à un drame dont on va comprendre l'ampleur au fil du livre, il a dû quitter ses fonctions, ainsi que la France. Fugitif, il a choisi de se réfugier dans le pays de son père où il a décidé de devenir détective privé. Une sorte de Philipp Marlowe malien.
A Bamako, tout le monde connaît Solo, et Solo connaît tout le monde. Comprenez, les personnes qui ont le plus d'influence et les pattes qu'il faut graisser pour que les choses avancent sans grincer. Ce n'est pas que la présence de l'ex-flic ravisse tout ce beau monde, mais, dans un pays gangrené par la corruption, quelques billets viennent à bout de n'importe quelle réticence.
Un jour, à l'entrée de son bureau, un femme, pardon, une femme ravissante l'interpelle. Elle vient l'engager. Cette jeune femme s'appelle Faten Tebessi et elle est avocate en France et sa jeune soeur, de passage au Mali, a été arrêtée à l'aéroport, juste avant de regagner l'Hexagone. Dans son sac, 13 kilos de cocaïne (mal) dissimulés...
De quoi se voir condamner à une lourde peine, dans un pays où, on l'imagine, les prisons n'ont rien de palaces 5 étoiles... Alors, Faten propose à Solo un somme énorme. Pas pour enquêter, non, mais pour acheter le juge chargé du dossier afin qu'il ferme les yeux. La jeune femme, mère de famille, a été piégée, son aînée en est certaine.
Comme tout bon privé qui se respecte, Solo tire gentiment le diable par la queue. Avec ce que lui propose l'avocate, il a de quoi se remettre à flots pour un moment. Alors, il accepte et remplit tranquillement sa mission, non sans se mettre, au passage, une bonne partie de la somme dans la poche. On n'est jamais mieux servi que par soi-même.
Au passage, il a rendu visite à la détenue, afin d'avoir un autre son de cloche, et essayer de savoir dans quel pétrin exact elle s'était fourrée en venant au Mali pour y jouer, volontairement ou non, les mules pour des trafiquants visant le marché français. Grâce à lui, Bahia Tebessi devrait rapidement rentrer chez elle, auprès de son bébé. Affaire rondement menée !
Mais, la nuit suivante, la police vient réveiller le détective. Avec une sale nouvelle : Bahia a été découverte morte, et sa gorge grande ouverte ne plaide pas en faveur d'un accident. Surtout, son cadavre a été découvert dans un quartier bien loin de l'aéroport ou de l'hôtel où loge sa soeur. Une soeur qui accuse le coup, forcément, avant que la colère ne monte, irrépressible.
Solo, venu pour essayer de réconforter l'avocate, est témoin de cette colère, qui va culminer avec une demande peu ordinaire : retrouver les assassins de Bahia... et les tuer. L'avocate est prête à verser énormément d'argent pour obtenir la maigre consolation que représente une vengeance. Mais, malgré cela, le privé refuse, trop conscient de ce que représente ce genre de quête.
Il pense tourner la page quand on s'en prend à lui et à son entourage. C'en est trop. La quête de vengeance devient alors personnelle et la recherche de la vérité, totalement accessoire. La dernière amarre qui retenait Solo a sauté, cet homme désespéré n'a plus rien à perdre et il entend bien retrouver les protagonistes de cette affaire pour les mettre hors d'état de nuire. Quitte à rester lui-même sur le carreau...
"Black Cocaïne" débute donc comme un roman noir, le détective aux abois, désabusé, et même plus que cela, encore, la belle femme qui vient frapper à sa porte, le contrat providentiel qui va le remettre à flots pour un moment et s'avère être un bâton merdeux de la pire espèce... Et l'engrenage qui pousse ledit privé à mettre sa vie en danger, et pas qu'une fois, pour des motifs bien moins nobles que la gloire ou l'honneur...
Mais, lorsque Solo décide de prendre les choses en main, hors contrat, hors boulot, hors la loi, hors tout système de valeurs, on quitte alors le roman noir et son rythme piano pour entrer dans un thriller pur et dur, qui n'épargne pas le lecteur. Âmes sensibles, vous entrez dans ce livre à vos risques et périls ! Car Solo, qui n'en est pas un non plus, n'a clairement pas affaire à des enfants de choeur.
Et, de Bamako, épicentre du récit, on va suivre Solo dans une grande partie du Mali, à la découverte de la diversité de cet immense pays, si pauvre en ce qui concerne ces populations, et pourtant si riche, en potentiels, comme si souvent les pays africains. Et l'on comprend surtout que le pays est devenu une plateforme idéale pour les narcotrafiquants.
Le pays devient alors un personnage à part entière du roman, par la diversité de ses paysages, fabuleux terrain de jeu pour un romancier. On fait des kilomètres, aux côtés de Solo, dans sa gagnole assez pourrie, en 4x4, même en mobylette, on crapahute dans le désert ou dans des villes fantômes, on plonge dans les quartiers les moins fréquentables de Bamako comme dans les bureaux ministériels.
Et l'on voit ce pays en proie à bien des soucis, souvent venus de l'extérieur. Oh, je ne dis pas qu'il n'y a que des saints, côté malien, ce serait évidemment faux, et on le constate d'ailleurs dans le cours du roman, mais force aussi est de remarquer que le pays est au coeur d'ambitions qui le dépassent. Et qui ont sans doute de quoi inquiéter, là aussi bien au-delà de cet immense pays.
Solo, lui, est un personnage qui marque. On peut le trouver antipathique, ou en tout cas mettre du temps à s'y attacher, mais il ne laissera certainement personne indifférent. De par son parcours passé, très étonnant et forcément compliqué à vivre, jusqu'à la déflagration qui l'a mené à son exil malien. Le reste, c'est un homme au bout du rouleau, ou pas loin, qui ne vit plus que sur sa rage profonde.
Mais, Solo, c'est aussi cet humour plein de cynisme, propre aux privés de la littérature, accentué par ce désespoir qu'il a chevillé au corps. Solo, c'est aussi un grand coeur, attentif, fidèle en amitié et, sous ses manières d'ours mal léchés, un homme de confiance. Certes, c'est d'abord pour lui qu'il se lance dans sa furieuse épopée, mais la justice et la vérité ne sont pas si loin.
Pour le reste, ténacité, courage, inconscience, même, le garçon reste particulièrement intrépide, se lançant seul contre tous dans cette poursuite insensée. Son caractère entier le pousse parfois à l'imprudence, mais comme il n'a plus peur, ayant tout perdu, vivant en sursis dans un monde qu'il exècre, peu importe.
J'ai été frappé, je pense que ça se ressent, j'en parle beaucoup, par l'état d'esprit de Solo. Oui, je le place dans la lignée des privés fameux de la littérature noire, souvent usés et désabusés, mais Solo est bien plus loin que cet état fripé et mal rasé, un peu trop alcoolisé. Il est tout cela, et plus encore, hanté par des fantômes qui ne lui laissent que peu de répit.
Solo est un dur à cuire, qui a dû en voir tout au long de sa carrière de flic avant de se retrouver obligé de quitter la France. Depuis, ce n'est plus le même. Et, sans ce passé, sans aussi ce contexte très particulier du Mali, où il ne peut guère compter que sur lui-même, sans doute n'aurait-il pas réagi de la même façon face à cette histoire.
Mais là, c'est David contre Goliath et il va lui falloir compenser son infériorité par de la ruse et de la perspicacité. Il est bon, Solo, dans son job. Il en connaît les ressorts et sait parfaitement faire jouer ses relations, même si, il le sait, sa situation de paria en agace beaucoup. Il va devoir se muer en joueur d'échecs pour anticiper les coups de l'adversaire.
Alors oui, c'est un personnage rude et fermé, malgré sa façade parfois bravache. Le rôle du lecteur, ce n'est pas de juger ce personnage. Et que penser de ce qu'il a fait, finalement ? Une bombe à retardement qui a déjà sauté une fois. Et peut-être d'autres. Et qui pourrait encore exploser pour faire de nouveaux dégâts. Voilà ce qu'est Solo.
Et pourtant, j'ai eu envie à certains moments, de le prendre dans mes bras, simplement pour qu'il lâche, crache, vomisse, expulse de quelque manière que ce soit le chagrin qui le ronge. Solo est le mieux placé pour savoir que la vengeance ne guérit pas. Voilà sans doute pourquoi il refuse d'emblée le marché de Faten : parce qu'il est vain. Parce qu'elle souffrira toujours de la perte de sa soeur.
Lorsque, finalement, et pas pour les beaux yeux (enfin, les yeux, pas vraiment...) de l'avocate, pour son pognon ou pour la justice, truc auquel il a cessé de croire, il se lance dans sa vendetta, je crois sincèrement que son souhait profond, même inconscient, est d'y rester. D'en finir enfin avec toute cette mascarade qu'est devenue sa vie, terminer dans le mur sa course en avant effrénée.
Suicidaire, Solo ? Sans doute en partie, oui. Mais, au moment de franchir ce pas, il ne peut s'y résoudre. La dernière étincelle qui subsiste en lui irradie alors et il trouve les ressources pour échapper à une mort quasi certaine. Comme si la seule personne capable de mettre un terme à son calvaire, c'était lui-même. Sans qu'il puisse s'y résoudre.
Un dernier mot sur Laurent Guillaume, dont je découvre ici le travail. Il fait partie de cette nouvelle génération de romanciers ou de réalisateurs qui ont connu l'autre côté de la barrière avant de se lancer dans la carrière artistique. Comprenez : il a été flic lui-même, avant de commencer à écrire. On avait eu les avocats, surtout américains, dans les années 90, désormais, le policier choisit de partager son expérience à travers la fiction.
Lui a travaillé en coopération au Mali afin de lutter justement contre le développement du trafic de drogue dans ce pays. Il connaît donc bien son sujet et, malgré la violence très dure et très crue qu'il installe tout au long de son histoire, on comprend bien qu'il ne parle pas à la légère. Dans ce domaine, on ne fait clairement pas dans la dentelle...
La grande qualité de ce roman, c'est sa tension permanente, la manière dont tout s'emballe lorsque Solo est directement visé et qu'il réplique, comme sur un ring. Mais pas seulement avec les poings. Ensuite, l'énergie folle qui anime Solo fait le reste. Inépuisable, invulnérable, en mode warrior, il joue aussi bien le rôle du chasseur que celui de la proie pour arriver à ses fins. Et quelles fins !
C'est, sauf erreur de ma part, la première enquête de "Solo, le privé malien", comme on peut le lire sur la couverture de cette édition Folio. Il serait intéressant d'en découvrir d'autres, ne serait-ce que pour voir évoluer ce personnage, écorché vif et plein d'aplomb, autant que de doutes. Avec, en prime, un contexte qui offrira forcément de nouvelles options, puisque l'histoire de "Black Cocaïne" se déroule en 2009.
En attendant, j'ai bien envie de poursuivre la découverte du travail de Laurent Guillaume, avec une autre série dont il est l'auteur, autour de Mako, flic de la BAC. Une autre facette de l'expérience de l'auteur au sein de la police. Et un personnage qui semble tout aussi sombre et vénéneux que Solo, son alter ego malien.