Un pays, le Kenya, a été meurtri dans sa chair : 148 personnes, dont 142 étudiants, ont été assassinées, le temps d’un soupir, par un commando djihadiste, jeudi 10 avril 2015, à Garissa, dans la province nord-est du pays.
L’université de Garissa, symbole de l’élévation culturelle pour un avenir meilleur, a été visée par ceux qui refusent de voir la raison et l’intelligence l’emporter. Les obscurantistes shebabs (insurgés somaliens) auront frappé au cœur de l’excellence intellectuelle, sapant la vie de ceux qui seraient un jour les bâtisseurs d’un monde plus juste. Ils ont tué par représailles, pour punir le Kenya d’envoyer ses troupes en Somalie ; ses armées expédiées pour contrôler la région et interdire les mouvances islamistes à reprendre Mogadiscio et la bande côtière ! En récupérant de tels lieux stratégiques les Shebabs pourraient réinstaurer leurs activités préférées : piratage, racket et taxation des populations locales.
Ils ont tué l’étudiant chrétien et préservé le musulman en profanant le lieu du multi confessionnalisme. L’incommensurable peine trempe ses racines dans le fait que le Kenya est un pays tout entier tourné vers l’éducation. Les parents se privent de tout pour financer les études des enfants et les faire sortir d’une condition de paysan.
Garissa, qui appartenaient jadis à la Somalie (les Britanniques avaient tracé arbitrairement une ligne entre Somalie et Kenya), pleure ses étudiants dans le fracas du monde.
Ailleurs l’émotion ne perle que sporadiquement. Le Pape François a, certes, attiré l’attention sur l’indifférence face au massacre mais l’esprit de Charlie ne souffle plus. Aucune grande marche pour communier dans la compassion.
Les réseaux sociaux s’enflamment par velléités notoires mais insuffisantes. Le sang des 142 étudiants a déjà séché dans l’histoire que d’autres rendez-vous malmènent (les drames de migrants en Méditerranée) !
Du Kenya on n’évoquera que son champion, Mark Korir, vainqueur du dernier marathon de Paris en 2 h 5mn et 48 secondes.
Le long des 42,195 km Korir aura-t-il eu, dans la constante de son effort, une pensée pour ses compatriotes sacrifiés sur l’autel de la monstruosité ? Le safari sanglant sur les terres kényanes Par les chasseurs shebabs de Somalie surgis Transforma Garissa en morbide savane Jonché de pauvres corps dans leur jeunesse pris.
On immola l'agneau en ces tueries pascales Qui portait les promesses d’un brillant avenir En nourrissant ses jours de vie professorale On tua l’étudiant jusqu’à s’en étourdir.
Le terrorisme pris dans son vol salafiste A fondu, serres tendues, sur l’esprit cultivé Déchiquetant l’écho des propos scientistes Comme on tue la raison dont on craint la beauté.
On immola l’agneau dans l’éclat du silence Qu’assombrit, juste un temps, la prière papale Puis la pugnace nuit en sa luminescence Couvrit de son halo les veillées lacrymales.
Loin semblait le Paris d’un janvier recueilli Où s’invitait le Monde au fil des compassions Pour les dessins brisés par les armes en folie Loin sembla, cette fois, l’esprit des communions.
On sacrifia l’agneau au nom de représailles Pour châtier le Kenya, l’ennemi désigné Qui de Mogadiscio par soldats et mitrailles Phagocyte la prise si longtemps convoitée.
Garissa, la bannie, l’ancienne somalienne A revu ses enfants sous les traits du démon Aveuglés par le sang et l’horreur tragédienne Jusqu’à briser l’élan de toute érudition.
Peine disséminée par la cybernétique Quelques voix élevées sur les réseaux sociaux Charlie se fait silence en cette ère dramatique On ne marchera pas le cœur dans ses sanglots.
Et Korir accourant vers la ligne finale Au cœur du marathon de ce printemps fleuri Aura-t-il un instant, en ses foulées géniales Sentit battre son cœur pour son pauvre pays ? On sacrifia l’agneau, la Pâque s’est tuée Sur l’autel avili de feux obscurantistes Où vacille, impuissante, la frêle chrétienté Flamme sous l’éteignoir des grands vents intégristes.