415ème semaine politique: les mauvais suppléments de François Hollande.

Publié le 18 avril 2015 par Juan

 

Le président français déboule dimanche sur un plateau télévisé inédit pour lui, le Supplément, une émission animé par une journaliste conviviale et bonhomme, Maïtena Biraben, ce 19 avril sur CANAL+. Qu'avait-il à dire ?

Rien.

Pourtant, cette interview est essentielle.

A quelques jours du 3ème anniversaire de son mandat, François Hollande conserve une confiance inébranlable dans sa bonne étoile. Aussi inébranlable que les Français sont ébranlés, désabusés, résignés ou colériques. Il se prête au jeu d'une interview "décalée", comme pour mieux réclamer un supplément de mandat. La veille, Hollande inaugure l'Hermione, une réplique de la frégate de La Fayette. Un conseiller anonyme élyséen confie qu'Hollande aime la "proximité". Que c'est même son "ADN".  On attend donc beaucoup, beaucoup plus de cet entretien qu'un simple commentaire présidentiel sur les récentes propositions de son ami Claude Bartolone pour améliorer la vie politique et la motivation de la jeunesse (sic!). Beaucoup plus qu'une analyse courtoise des grands dangers du monde.
Après un pacte irresponsable qui a vidé les caisses publiques de recettes fiscales sans contreparties d'embauches ni d'efficacité économique, François Hollande laisse un gouvernement faire voter une loi hallucinante sur le renseignement.
Le tout dans la plus grande indifférence publique. 

La STASI ?

Les Français n'ont pas connu les affres de la surveillance de masse comme les Allemands de l'Est. La STASI, cette police politique du régime est-allemand, n'a été supprimée qu'il y a 25 ans, après la chute du Mur de Berlin et la réunification allemande. Cela explique pourquoi nos voisins d'Outre-Rhin n'osent pas renforcer les moyens de contrôle des citoyens dans les proportions que le gouvernement Valls a fait passer cette semaine. Les attentats de Charlie, début janvier, laissaient craindre un renforcement des lois de sécurité.
Jeudi 16 avril, l'Assemblée nationale achève l'examen expresse d'un projet de loi sécuritaire. Le 19 mars dernier, le gouvernement avait engagé une procédure accélérée pour ce texte. Le vote est pour le 5 mai, la veille du 3ème anniversaire de l'élection à la Présidence de la République de François Hollande. On se souviendra longtemps de cette coïncidence qui n'est plus que symbolique. Et de la rapidité avec laquelle le couple Hollande/Valls a fait passer un grave recul démocratique de la décennie.
La loi sur le renseignement  couvre toutes les techniques d'espionnage informatique que la technologie actuelle et future: captation, fixation, transmission et enregistrement de sons, d’images et de données informatiques; géolocalisation en temps réel, sondes (article 851-3) et même des techniques nouvelles tels les "dispositifs permettant de localiser en temps réel un véhicule ou un objet" (article L. 851-6); les "dispositifs mobiles de proximité" pour capter "directement les données de connexion" (article L. 851-7) dans un rayon donné (des "IMSI-catchers"), y compris, "de manière exceptionnelle" le contenu des correspondances (emails, etc); ou l'utilisation d'algorithmes d'espionnage  par la pose de "boîtes noires" chez les opérateurs pour détecter une "succession suspecte de données de connexion" (article L. 851-4), ces fameux "signaux faibles".
Premier grief, cette surveillance légalisée prend des proportions hors normes: son champ va bien au-delà de la lutte contre le terrorisme. Il comprend huit motifs, le terrorisme n'en est qu'un parmi huit - "la sécurité nationale, les intérêts essentiels de la politique étrangère, les intérêts économiques ou scientifiques essentiels, la prévention du terrorisme, la prévention de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous, la prévention de la criminalité organisée et la prévention des violences collectives pouvant porter gravement atteinte à la paix publique". La loi autorise ainsi l'espionnage "préventif" de la moindre manifestation contre une mesure gouvernementale. Et que dire des intérêts économiques "essentiels" ?
Second grief, la loi renforce très peu et très mal le contrôle de ces opérations d'espionnage avec la création d'une Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Manuel Valls a refusé de placer cette surveillance de masse sous le contrôle de la Justice. Or la République est justement fondée sur cette séparation des pouvoirs - Exécutif, Législatif, Judiciaire. C'est au premier ministre de valider ces espionnage. La CNCTR n'a qu'un avis préalable et consultatif. Si ce dernier n'est pas suivi, elle peut ... saisir le Conseil d'Etat. On est rassuré. Quelques promoteurs du texte concèdent que rien n'est dit sur les moyens informatiques ou humains de la CNCTR pour contrôler effectivement les quelques milliards d'informations personnelles que nos services secrets vont désormais collecter.
Circulez, il n'y a rien à voir. A ce rythme, en 2017, il n'y aura plus rien de pire à voter.
Démission politique
Sarkozy au pouvoir, la gauche toute entière serait dans la rue à protester contre ce recul des libertés publiques. Cette fois-ci, le paysage politique est fracturé. Ou absent. La démission politique est manifeste.
A l'Assemblée, le débat, pourtant raccourci, se déroule en effet dans un hémicycle désert à gauche comme à droite.
L'extrême droite se régale - tous les outils de contrôle des citoyens seront là et en place pour le jour de sa arrivée au pouvoir. Marine Le Pen ne dit rien, pas un mot. Tout juste laisse-t-elle sa nièce Marion s'inquiéter de l'espionnage des opposants politiques. Les sarkozystes et fillonnistes applaudissent mollement mais se réjouissent. Eric Ciotti parle d'"avancées positives" ; les centristes de l'UDI toussent et protestent. Hervé Morin, ancien ministre de la Défense, est direct: "ce texte n'est pas anodin, il revient à mettre des procédures d'exception dans le droit commun."
A gauche, l'opposition est virulente. Les quelques écologistes hollandais qui espéraient encore, la semaine précédente, trouver un strapontin ministériel à l'occasion d'un improbable remaniement gouvernemental sont obligés de taire leurs ambitions tant ce nouveau texte va à l'encontre de toutes leurs positions actuelles et passées. Les écologistes ont désormais toutes les raisons nécessaires, et bien d'autres encore, de rester dans l'opposition.
A l’extérieur de l’hémicycle, le texte rassemble large... contre lui: le défenseur des droits (Jacques Toubon), les syndicats de magistrats, la commission nationale de l’informatique et des libertés, les associations de défense des droits de l’homme, et même des acteurs de l’économie numérique s'alarment, crient et protestent. Un hébergeur français vient ainsi d'annoncer son prochain déménagement à l'étranger pour échapper aux obligations d'espionnage imposées par le texte.
A l'Assemblée, une poignée de socialistes vallsistes, emmenés par Jean-Pierre Urvoas, votent avec l'UMP pour faire échec aux tentatives d'amélioration du texte conduites par Christiane Taubira. La Garde des Sceaux n'avale plus des couleuvres, mais des boas constricteurs. On s'interroge sur l'intérêt qu'elle conserve à rester en place. L'énervement au sein même du gouvernement est manifeste. Le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, dérape face à une députée EELV: "Moi, ce qu’il y a dans les articles de presse, par principe, je ne le crois pas". Sans rire... La bourde est rapidement effacée de la retranscription des échanges.
"Il est évident que les techniques de recueil de renseignement sont susceptibles de porter atteinte à la vie privée." Christiane Taubira, à l'Assemblée, le 13 avril 2015.

Pour faire bonne figure, Manuel Valls annonce vendredi un grand plan de lutte contre le racisme. On retient quelques millions d'euros supplémentaires pour des associations, et un toilettage des textes réprimant la diffamation et le racisme. Même SOS RACISME est déçu.
Hasard ou coïncidence, les résultats d'écoutes téléphoniques "traditionnelles" sur deux enquêtes explosives sont justement publiés dans la semaine par la presse. On y "découvre" que Claude sait beaucoup de choses sur le financement de la Sarkofrance. Et que les proches de Marine Le Pen auraient organisé un système de surfacturation de frais de campagne remboursés par l'Etat.
Sarkozy, tranquille ?
Pourquoi aurait-il besoin de brailler ? Manuel Valls fait voter une loi sur le renseignement qui complète utilement l'effroyable et inutile dispositif sécuritaire qu'il avait mis en place entre 2002 et 2012 quand il était ministre de l'intérieur puis Président de la République. Manuel Valls parachève son oeuvre, dans l'indifférence politique la plus totale. Sarkozy aka Paul Bismuth n'avait donc pas grand chose à dire contre le projet de loi sur le renseignement.
Il y a bien Laurent Wauquiez pour fustiger le "laxisme" du gouvernement. L'ancien jeune premier de Sarkofrance a encore débloqué. Il instrumentalise le viol et le meurtre d'une gamine de 9 ans près de Calai par un Polonais interdit de résidence en France. En fait, le criminel avait bien été expulsé à sa sortie de prison. 
Le drame de Calais confirme la politique de désarmement pénal de @ChTaubira et une Europe trop faible devant la justice
laurent wauquiez (@laurentwauquiez) April 16, 2015

Plus inquiétant pour l'ancien monarque, Claude Guéant commence à douter des avantages à rester loyal et donc discret. La semaine passée, son fils a passé quelques dizaines d'heures en garde à vue dans le cadre de l'enquête sur le financement de la campagne Sarkozy de 2007. Le 15 avril, le Monde publie quelques extraits d'écoutes téléphoniques de l'ancien secrétaire général de l'Elysée puis ministre de l'intérieur de Sarkofrance. On comprend l'amertume d'un homme lâché par les siens et surtout pas Sarkozy. Et combien il sait des choses encombrantes. "Je sais quelques petits trucs quand même (...). On n'est pas ministre de l'intérieur pour rien." confie-t-il un jour de 2014 à sa fille.
Guéant était le négociateur des deals de vente d'armements et de logiciels de surveillance à l'Arabie Saoudite, et à la Libye entre 2005 et 2007; du compromis avec Tapie sur le Crédit Lyonnais récemment annulé par la justice, ou des rapports avec les autocrates de Françafrique.
Sarkozy peut se concentrer sur les primaires à droite. François Fillon déclare sa candidature officiellement. Sarkozy confie que l'affaire est pour lui pliée. Son ancien premier des ministres s'énerve.
Feuilleton frontiste
Le feuilleton frontiste se poursuit.
Vendredi 17 avril, Jean-Marie Le Pen devait s'expliquer devant un bureau politique après ses propos pétainistes et xénophobes de la semaine précédente dans les colonnes du torchon Rivarol. Le patriarche fait un malaise le jour même. De toutes façons, il avait renoncé se présenter en tête de liste aux élections régionales de décembre prochain en région PACA. Sa petite-fille, Marion Maréchal-Le Pen, le remplace. La jeunette a les idées rances et nauséabondes de son aïeul. La bêtise et la haine n'attendent pas l'oeuvre du temps. Dans les colonnes de Valeurs Actuelles, elle minimise à son tour l'extermination des Juifs par les nazis pendant la seconde guerre mondiale.
Le Front national fait semblant d'être en crise. Le parti a le vent en poupe. Son faux psychodrame familial fait à peine illusion. Marine Le Pen franchit la dernière étape d'une (fausse) normalisation.

L'enquête sur les troubles financements du Front national progressent. On apprend du Monde quelques résultats de l'investigation ouverte depuis un an. Le schéma est édifiant. Pour les législatives de 2012, le FN avait contraint ses 559 candidats de commander leurs kits de campagne à la même agence de communication, RIWAL, fondée par un proche de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon. Jusque-là, rien d'illégal. Mais les juges ont découvert que RIWAL margeait à plus de 45% sur l'opération, quelque 2,4 millions d'euros de bénéfices sur 7 millions d'euros de dépenses électorales qui sont in fine... remboursés par l'Etat.
Trois personnalités clés de l'opération sont déjà mis en examen. L'enquête se poursuit. Des extraits d'écoute téléphonique sont publiés, comme cet échange d'Axel Loustau, trésorier de" Jeanne", le microparti Marine Le Pen, après une première perquisition :  "J’viens d’avoir Marine, elle est un peu agacée. Frédérique Chatillon, dirigeant de RIWAL, lui répond : « Elle est au courant de tout depuis le début… »
Marine Le Pen est au courant.