Le temps qui passe et la mémoire du temps.
L’idée de passer un hiver en Islande provoque chez les candidats venant de l’étranger des réactions variées. Excitant de passer un hiver dans le noir de la nuit arctique. Romantique de vivre sous les aurores boréales et dans la lueur des bougies. Effrayant de ne pas voir le jour pendant des semaines. L’adaptation prend un peu de temps en Islande, mais tout dépend aussi des raisons du séjour. Si le candidat a fait ce choix en toute connaissance de cause, il est évident qu’il sera plus facile de s’adapter que si les circonstances l’obligent plus ou moins à subir les caprices de la météo islandaise – et de la société.
Je me souviens qu’aux débuts de mon séjour sur l’île, au début des années 70, je n’avais même pas le temps d’y penser; la neige était là quand elle venait et on partait faire du ski. Certains jours il fallait faire vite et on rentrait sous la pluie. D’autres jours tout était enseveli sous des tonnes de neige, les routes étaient bloquées, on allait même à ski de fond au travail en ville… Et petit à petit on se rend compte que les images toutes faites de l’hiver arctique ne correspondent pas à la réalité.
Excitant ? Romantique ? Effrayant ? Et les islandais qui ressassent toutes les semaines, tous les mois de l’hiver que c’est « l’hiver le plus long » ou « l’hiver le plus froid » que l’on ait connu. Qu’en est-il exactement ?
L’hiver arctique n’est pas noir, il faut monter encore plus dans le nord pour que le soleil disparaisse complètement pendant des semaines – en Islande il ne disparaît que dans les fjords encaissés dans l’ouest ou dans l’est (et on fête le retour du soleil avec un « sólarkaffi », littéralement « café solaire »). Je ne suis pas sûre que l’on profite plus du soleil à Paris par exemple, en partant le matin au travail dans le noir et en rentrant le soir dans le noir. Parfois, par temps gris, on ne peut pas dire que le jour se lève vraiment, mais il suffit d’attendre quelques jours pour passer dans une zone d’anticyclone; il neige, l’air est vif et le ciel dégagé – et on gagne au moins 2 heures de clarté !
Romantique de contempler les aurores boréales avec un paysage enseveli sous la neige ?
Oui sans aucun doute, quand le ciel est dégagé et quand il y a de la neige… Les agences de voyage qui ont vendu ces phénomènes polaires colorés aux visiteurs hivernaux (rappelez-vous, « il faut étaler les visites de touristes sur toute l’année » dit l’agence de promotion du tourisme) ont parfois bien du mal à tenir leurs promesses; et quand ils le peuvent, il y a souvent une dizaine de bus ou plus sur les mêmes m2. Romantique ?
Et il est exact que cette année – changements climatiques sans aucun doute – l’Islande s’est trouvée dans l’axe de ce qu’on appelle l’autoroute des dépressions, suite à un fort anticyclone ancré sur la Sibérie, et que les dites dépressions ont défilé à un rythme réellement inhabituel. L’Office Météo a même compté les dépressions : 40 entre le 1er novembre et fin mars, avec parfois 2 tempêtes par jour. Le cliché inscrit dans tous les guides touristiques annonçant que « si le temps ne vous plait pas, attendez cinq minutes », était particulièrement vrai cet hiver.
En revanche, l’Islandais a démontré depuis longtemps sa capacité à oublier rapidement les événements, qu’ils soient dus à la météo ou à la politique. Ici on appelle cette propension « mémoire de poisson rouge ». Les entrepreneurs du bâtiment oublient qu’il arrive que des tempêtes passent sur l’Islande et construisent de merveilleuses tuyères entre les tours de 20 étages où être piéton lors d’un bon coup de vent fait la une des JT : arrivera-t-il à traverser ou non ? Les électeurs se laissent tromper tous les 4 ans par les promesses du même parti politique, qui ne les tient jamais (et se vante d’avoir un suivi faible entre les élections mais « ça s’arrange toujours la veille des élections »), sans en tirer les leçons. Et l’automobiliste oublie toujours que l’année précédente, il avait déjà omis de mettre ses pneus neige et causé des embouteillages monstres, hors de proportion dans cette ville finalement pas si grande.
Oui l’Islande a connu des hivers plus rudes.
Dans les années 70, la neige était vraiment monnaie courante et les périodes de froid souvent longues (non je ne remonterai pas jusqu’en 1918 où dans le nord, la terre agricole ne s’est pas débarrassée de son épais manteau de neige avant fin juin…). Il y avait moins de voitures et les urbains l’étaient depuis moins longtemps (une génération); ils avaient donc encore les réflexes que l’on attribue aujourd’hui à tous les Islandais : durs à la tâche, patients, sensibles aux caprices de la nature qu’ils respectaient malgré tout… Oui les Islandais deviennent des urbains comme les autres.
L’Islande a connu des hivers plus longs.
Il n’y a pas si longtemps, alors qu’ils avaient déjà fait leurs nids, les oiseaux se sont trouvés ensevelis sous 10-15 cm de neige. Il n’y a pas si longtemps, c’était en mai, neige et gel ont détruit les bourgeons des arbres et autres plantes; ce fut une année sans fleurs. Il n’y a pas si longtemps encore, les étés étaient régulièrement pourris et les quelques jours de soleil et de « chaleur » compensaient une saison déprimante, que l’on s’empressait d’oublier. On s’y faisait. On n’exigeait pas d’un été islandais qu’il s’apparente à un temps méditerranéen.
Parce qu’en fait, la question est bien là. Les changements climatiques existent, c’est évident. Mais on ne sait pas trop quelle influence ils vont avoir sur l’Islande : ralentissement du Golf Stream et refroidissement ou fonte des glaciers et été plus chauds ? Quoiqu’il arrive, l’hiver islandais restera encore longtemps l’hiver islandais : sautes de temps, pluie, neige, gel, fonte, blizzard, inondations – dans la même journée. C’est l’hiver et il est inutile de le vouloir autrement. La nature décide encore. Même si l’homme estime être en mesure de tout maîtriser et éventuellement de tout changer, il n’est qu’un apprenti sorcier.
Par contre un bon été permet d’emmagasiner l’énergie et les vitamines indispensables pour supporter ces hivers. Personnellement ce sont les étés qui m’ont été les plus difficiles, malgré la lumière merveilleuse et la force de la nature qui brave les conditions météo. Un peu plus de chaleur, un peu plus de soleil sur la peau – le patrimoine génétique protestait. Quand je suis revenue en Islande, après avoir quitté l’île pendant 10 ans (entre 1984 et 1993), j’étais étonnée de voir que les Islandais avaient adopté des tenues estivales : pieds nus dans les chaussures, T-shirts légers, terrasses des cafés occupées par une foule bigarrée dont l’accoutrement ne détonnait pas avec les habitudes en usage au Danemark ou en Norvège d’où j’arrivais. Oui, là les choses avaient changé, en peu de temps. Et de fait nous avons connu quelques étés avec des températures dépassant les 20° – parfois pendant plusieurs semaines.Rêve fugitif ? L’avenir le dira. Mais n’oublions pas un autre cliché, qui lui sera aussi toujours vrai : il fait toujours beau quelque part en Islande; s’il pleut dans le sud, il reste l’Est ou le Nord. Pas seulement Tenerife ou les Canaries.