L'idée est simple mais oxymorique. Faire du théâtre dans des lieux qui évoquent le passé, des endroits inédits pour des personnes qui ne sont pas nécessairement habituées à aller au théâtre, et encore moins pour y entendre des textes contemporains.
On se situe dans une autre "économie" que celle des structures habituelles. Même si le prix des places n'est pas symbolique (entre 7 et 17 euros) on sait qu'on ne rentabilisera jamais l'affaire. Les organisateurs ne cherchent pas davantage à vendre les spectacles. Il se trouve que cette année deux théâtres se sont engagés dans la production mais c'est leur choix.
J'ai rencontré l'équipe de base, et qui est composée (de bas en haut) de trois personnes autour de
Guillaume Dujardin, Compagnie Mala Noche, Créateur et directeur du Festival, Léopoldine Hummel, Comédienne, et Raphaël Patout, metteur en scène, La Chambre-Noire Théâtre, Organisateur du Festival à Lyon.Guillaume Dujardin
a expliqué comment il procède, sans parti pris, ne s'interdisant rien, sans être pour autant dans le bricolage. Ce Festival est finalement très innovant tant sur la forme que sur le fond. Une des rares contraintes tient à l'endroit. Demeurer plus de deux heures dans une cave ne serait pas envisageable.Je peux témoigner qu'on repart de la rencontre boosté à fond. Ils sont convaincus et convaincants. Les institutions ou les particuliers prêtent leur cave gratuitement, s'occupent de trouver des chaises, une prise électrique, un endroit pour que les comédiens puissent se préparer (rarement plus de deux personnes), quelques victuailles pour les comédiens et participent à la recherche de public.Le jour J "on" vient gratuitementavec un spectacle clé en mains. Le matériel n'est pas nécessairement sophistiqué. L'éclairage peut être assuré par des lampes domestiques.
Il n'y a pas d'improvisation et la performance n'a rien du happening. La seule obligation, mais elle est de taille, est que les comédiens soient formidables. C'est à l'origine un festival d'acteurs. Chaque lieu est visité longtemps avant. Des plans sont édités pour les fournir aux pompiers lorsqu'ils feront leur contrôle de sécurité. Vous aurez compris que ce n'est pas un festival "souterrain". Et si le lieu est tenu secret jusqu'au dernier moment c'est pour maintenir une forme d'excitation chez les spectateurs. Ils se retrouvent, le jour du spectacle, à un lieu de rendez-vous communiqué par l’équipe du Festival la veille de la représentation et où se tient la billetterie, à une centaine de mètres de la destination finale.
L’adresse n’est jamais dévoilée.
Il est obligatoire de réserver pour connaître ce lieu de rendez-vous. La communication est entretenue régulièrement avec le futur public. Tous les spectateurs sont rappelés la veille, ce qui permet de maîtriser le nombre et de gérer la liste d'attente. Quant aux retardataires, il n'y en a pas avec ce système. C'est un fonctionnement qui mobilise l'équipe 24 heures sur 24. Facile au début, plaisante Guillaume qui tenait le standard depuis son domicile.Les gens adorent qu'on les rappelle un par un. On connaît presque chacun par son prénom., ce qui instaure un rapport très individuel, unique.
J'ai une énorme cave foutoir dans le XVIII°, des anciens ateliers de machines électriques. Comme je suis assez curieux et aventureux je me suis dit tiens c'est drôle, ça coûte rien de tenter.
Léopoldine est venue voir. Je savais qu'ils allaient jouer trois spectacles. Je savais pas lesquels. Seulement qu'il s'agirait de textes contemporains. Ce fut des rencontres formidables. Quel souvenir que Ce quelque chose qui est là, d’après Antoine Choplin, dans la mise en scène de Chantal Morel, avec Roland Depauw et François Jaulin. Une moto dans ma cave, je ne l'aurais jamais pensé possible. J'ai trouvé un truc innovant qui m'a bluffé dans ce spectacle, une bande son extra, une régie lumières ... faut dire qu'il y avait du jus. Sans régisseur. Tout était télécommandé par les comédiens. Je suis prêt à recommencer.
Cet événement a donné envie de mettre en place, l'année suivante une sorte de festival, qui a été appelé en quelque sorte naturellement "Festival de Caves", dans lequel la seule contrainte était la cave comme unité de lieu.
La proximité avec les spectateurs, le décor naturel, la petitesse de l'espace-scène, la limitation des éclairages et de la technique ont engendré des formes artistiques particulières.Après
Besançon, la manifestation a grandi, gagnant chaque année de nouvelles villes. D’abord les communes proches, puis toute la Franche-Comté. Depuis 2010, le Festival est présent sur tout l’axe Rhin-Rhône, de Strasbourg à Lyon et s’invente aussi de nouveaux partenariats ailleurs en France, notamment avec l'Atalante à Paris, d'autres à Lille, Nantes, Orléans (pour la première fois l'an dernier), et même maintenant Toulouse… l'an prochain Reims et la Picardie si tout va bien. La maîtrise de la direction artistique reste bisontine mais chaque compagnie propose des spectacles qui peuvent intégrer la programmation commune.Guillaume Dujardin
affirme qu'il n'a pas suivi une stratégie pour grandir. Si c'est à Besançon que l'histoire est la plus longue, chaque lieu compte et le spectacle qui débutera cette année de la cellule du Marquis de Sade pour s'achever sur les toits du Château de Vincennes sera un moment très fort.On se demande ce qui sera imaginé l'an prochain pour célébrer les dix ans. Ils seraient bien capables d'investir le Panthéon toute une nuit ...
Ils ont démarré avec rien et les voilà qui louent des camions tout en faisant gaffe à ne pas s'embourgeoiser. Le rêve du créateur serait d'en faire une Scop, (Société coopérative de production) mais on n'a jamais vu un chômeur devenir patron.Le souhait serait de devenir une troupe permanente, même si le budget total correspond à la ligne "chaussettes de la Comédie Française". En tout cas les gens nous sont gréés d'essayer, de tenter des choses, ajoute Guillaume avec une énergie qui ne faiblit jamais.C'est le même homme qui affirme avoir la vie devant lui :
Faut avoir des gens qui ont envie de nous. On n'est pas pressé. On fait pas une course avec le temps. Il n'y a aucune urgence. Rien d'obligatoire.On ressort de la rencontre avec des anecdotes plein la tête, l'envie de prendre la plaquette et de "venir aux caves" nous aussi, de descendre sous terre pour constater in situ que ce festival de l'intime fonctionne bien comme il nous l'a décrit, voir des élus très motivés par la culture, ce qui nous changera de ce qu'on entend dans les sphères politiques trop souvent déconnectées des réalités.
Que tout un village dîne avec les comédiens en organisant un vrai temps de discussion, cela mérite d'être partagé. Ce n'était pas gagné d'avance que
le contemporain ne soit pas ennemi des villages.Si vous souhaitez accueillir un spectacle pendant la durée du Festival appelez Guillaume au 06.37.78.78.72 ou écrivez lui sur festivaldecaves2@gmail.com, en précisant dans quelle ville se trouve votre cave, ou autre lieu souterrain.
Programmation sur le site du festival : http://www.festivaldecaves.fr
La photographie qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Patrice Forsans