Je ne suis pas "atteint" de l'envie.
Je dis atteint entre guillemets car je considère que c'est un véritable vice quand ça devient maladif. J'ai des proches qui ont littéralement été empoisonné par l'envie. Ce sont des gens que je ne vois plus tellement de nos jours, mais je soupçonne qu'on ne se débarrasse pas d'une telle tare facilement.
Plus je vieillis, plus je découvre à quel point l'envie ne m'atteint en rien. Un exemple: avant que l'amoureuse et moi choisissions de mettre nos comptes conjointement il y a presque 20 ans, j'avais l'habitude de payer tous mes comptes sur réception. Je ne suis pas du genre à vivre agréablement avec l'idée d'une dette bien longtemps. Dans la structure de mes finances. quand je dois de l'argent, à VISA, à un ami, à quiconque, la première chose que je dois honorer c'est de payer ce que je dois. Ça me vient assurément de mes parents, mon père surtout, qui ne faisait aucunement confiance à l'argent virtuel. La facture entrait à la maison, le chèque était aussitôt signé et quittait le lendemain par la poste.
De nos jours, on fait ça sur le net et c'est beaucoup plus vite. Comme l'amoureuse travaille dans une banque, je lui ai du même coup laissé l'entière gestion des finances de notre maisonnée. Bien entendu, j'effectue des paiements moi aussi de temps à autre, mais tout comme je conduis la voiture/sa voiture ou m'occupe de la piscine à 90%, c'est l'amoureuse qui gère nos finances avec plus ou moins le même pourcentage. Et elle n'a pas mes habitudes. Assez rapidement je me suis fait gronder parce que je payais les factures trop vite. (ce qui déjà, fait peu de sens, à mon avis, pourquoi attendre à la dernière minute au risque de l'oublier?).
"J'ai pas envie qu'ils (Visa, Mastercard, quiconque) fassent de l'intérêt avec nos sous".
Là.
C'est exactement là que dans la construction de mon être, je ne peux pas comprendre ce type de raisonnement, Mon intérêt est assez profondément nul à l'idée qu'"ils" fassent de l'intérêt avec mes sous. En quoi ça devrait me toucher? L'idée c'est de combler mon retard de paiement, pas de gérer l'accélération des capitaux d'autrui. J'aurais été incapable de me soucier ne serait-ce qu'une seconde de ce que ses gens feront de l'argent...que je leur dois.
C'est un long préambule (et une très forte déviation) afin de vous parler de ce que je veux vraiment vous parler.
De retards.
Je disgresse car j'hésites à en parler. C'est un sujet trop personnel et qui me hante légèrement.
Probablement parce que je me considères moi-même en retard, professionnellement. dans la vie.
Ma fille aussi.
Punkee a 11 ans. Physiquement, elle à l'air d'en avoir 4 de moins. Contrairement à son frère, elle n'est pas très allumée à l'école et elle peine à suivre les conversations des jeunes gens de son âge. En tant que parents, à son égard, nous sommes en mode d'échec. Nous ne l'avons jamais stimulée autant que nous l'avons fait avec son frère aîné. J'en arrive parfois à me demander si elle sera capable de rester amie avec les filles de mes amis de Québec qu'elle ne voit qu'une ou deux fois par année. Des filles qui suivent leur époque et qui évoluent peu à peu en jeunes femmes.
Punkee n'en souffre pas consciemment, mais à l'aube de son entrée au secondaire, mon niveau d'inquiétude monte furieusement à son égard. C'est devenu plus flagrant en voyage en croisière, alors que tous les 4, on s'est forcément beaucoup rapproché.
Premièrement, toutes les activités se passaient en anglais. Monkee, la belle et moi n'avons aucun problème avec la langue de Shakespeare. Monkee, à l'âge de Punkee, était déjà meilleur que sa mère. Punkee comprend moins que rien en anglais. C'est la faute de cette école de marde qu'elle fréquente mais beaucoup de la nôtre aussi. Et pour le traducteur que je suis, c'est une cuisante humiliation.
Une des activités en croisière était le traditionnel jeu des couples montés sur scène où on pose une question à madame pendant que monsieur est ailleurs (et vice-versa) et que par la suite, il doit deviner sa réponse afin de voir si ils se connaissent bien. l'objectif est aussi de faire rire avec les révélations parfois faites avec de tels jeux. Ce type de jeu est toujours un succès. Et effectivement nous avons beaucoup ri en apprenant qu'un homme voulait que sa femme soit un robot (!?!) , qu'une autre illustrait la vie sexuelle de son conjoint pas le titre du film "Gone in 60 seconds" et qu'une dernière trouvait que son conjoint pétait un peu trop.
Une des questions était : "La vie est excessivement belle grâce au "big" (insérez ce que vous voulez ici) et malgré son "small" (insérez ce que vous voulez ici).
Au souper, nous nous sommes amusés à 4 à se lancer la phrase à chacun.
Monkee : "maman est merveilleuse grâce a son grand sourire et malgré sa petite couette" (rires)
L'amoureuse: "Papa est merveilleux grâce à son grand coeur et malgré son petit chèque de paie" (rires)
Moi: "Punkee est merveilleuse grâce à sa big mouth et malgré son petit format" (rires)
Je ne vous dirai pas ce que disait ma fille, mais en somme ça ne faisant aucun sens. Et comme nous remodifions les variations sur le même thème, elle empirait son cas avec de l'humour que seule elle comprenait. Son grand frère finissait par la rabrouer d'un impatient "T'es pas drôle, Punkee!". Je me trouvais à la fois à la défendre tout le temps, mais surtout à trouver qu'il avait raison. Son cerveau ne suivait pas les nôtres.
J'ai toujours pensé que les derniers de famille avaient l'avantage d'avoir bénéficié de l'expérience des plus vieux afin d'accélérer leur apprentissage de la vie, et de bien souvent d'être plus alerte, plus allumé, plus curieux et nettement plus dégourdi que leurs frères et soeurs plus âgés avec le temps. C'est le cas de la plupart de mes amis proches, mais pour ma fille ça semble être le contraire.
Je me suis trouvé cette soirée-là en croisière, enragé mentalement, frustré, déçu, triste, amer en mer.
J'ai caché ma mélancolie jusqu'à ce que mon fils tienne absolument à me faire jouer au air hockey (sur table lisse avec deux accessoires en plastique et une rondelle plate et deux trous pour buts). Je n'y tenais pas du tout. J'étais mentalement marabout. Il a donc joué contre sa soeur. Sa soeur à qui on faisait manquer une semaine complète d'école. École où elle n'obtient que de très moyens et inégaux résultats. Sa soeur à laquelle je n'associais plus que le mot "retard". Il l'a massacrée 7-3. J'ai vu que pour deux de ses trois buts, c'est lui qui avait fait semblant d'être déjoué. Il l'aurait rossée 7-1. J'ai aussi vu que cette défaite avait affecté la puce. J'ai accepté le défi qu'il m'a relancé par la suite. Sans enthousiasme aucun. En lui disant que c'était de l'argent mal placé. Je l'ai rossé 7-3 à mon tour. Assez brutalement. Il y avait plus que du jeu dans mes coups. Je me sentais con.
"Wow! j'avais jamais perdu à ce jeu là" m'a dit Monkee, à la fois amusé et impressionné.
"J'aurais pas gagné si ce n'avait été pour venger ta soeur" que j'ai dit. La petite a apprécié et m'a gracié d'une colle.
Je pelletais tout de même des nuages de marde par en dedans. Je réalisais qu'on faisait de notre fille une "lavaloise". C'est-à-dire une jeune fille stimulée par pratiquement rien. Ce qui engourdi son cerveau.
La seule envie dont je souffre parfois, c'est de retourner en arrière, quand elle était en 3ème année, genre, et que je m'applique davantage sur ce qu'elle fait, vit et est en général.
Mais encore là, vivre de regrets n'est pas du tout dans la construction de mon être.
Il n'est surtout pas trop tard.
Mais sans aucun doute, actuellement. il y a retard.