Le nouveau code électoral burkinabè promulgué le 10 avril 2015 en vue des législatives et présidentielles du 11 octobre 2015, est ambigu sur le sort des proches de Blaise Compaoré, chassé du pouvoir par révolution populaire le 31 novembre 2014. Il s’agit de certains militaires et magistrats, et de l’ex-majorité présidentielle accusés d’avoir « soutenu un changement inconstitutionnel portant atteinte au principe de l'alternance démocratique ». Une polémique importante est déclenchée autour de cette décision et il convient de savoir de quoi il est question et quels pièges politiques il faudrait éviter.
Primo, une élection démocratique est inclusive. Elle est respectueuse de la liberté d’opinion des candidats qu’elle soit majoritaire ou minoritaire. Sans opposition majeure, celle du Burkina rappellerait les pratiques de l’époque du parti unique tant décriées par la révolution. En l’état, les partis politiques membres de l’ex-majorité présidentielle ont annoncé la suspension de leur participation au CNT ainsi qu’à la Commission nationale de réconciliation et des réformes « jusqu’au respect total de la constitution ». Une autre question de constitution ? Il convient pour les autorités de transition de montrer en quoi leur texte est respectueux des libertés individuelles sans relents d’oppression et de répression. L'exclusion, si c’est le cas, ferait le lit d'une contre-révolution alors que le but d’une transition est de baisser les tensions sociales et de trouver un mécanisme d’intégration de tous dans un processus de réconciliation nationale.
Secundo, une élection démocratique est libre. En clair, elle doit être ouverte à tous les citoyens jouissant de leurs droits civiques et politiques, sauf en cas de décision de justice défavorable. Aussi, l’autorité publique ou militaire ne doit pas être utilisée contre les adversaires politiques dans leurs statuts d’électeurs ou de candidats. Les pro-Compaoré dont Djibrill Bassolé, ancien ministre des affaires étrangères et principal challenger, regrettent le changement des règles du jeu avant la compétition en violation de la constitution et des instruments internationaux dont ceux de la CDEAO et de l’Union Africaine. L’engagement politique des Burkinabè en ce moment devrait être moins la conservation du pouvoir que la normalisation de la vie politique en vue de l’amélioration effective des conditions de vie des citoyens.
Tertio, une élection démocratique est équitable. Les moyens de l’État ne doivent pas servir la cause d’un candidat. Aussi, la justice ne doit pas être utilisée comme une épée de Domaclès au-dessus de la tête des adversaires politiques. En l’état, l’ex-majorité présidentielle se plaint de l’existence d’une justice des vainqueurs qui vise à restreindre ses droits civiques et politiques. Il convient donc pour les autorités de transition de faire en sorte que les interpellations des personnalités politiques en cours et la promulgation du nouveau code électoral ne finissent pas par fausser le jeu politique. Il leur revient surtout de montrer qu’elles prennent le chemin de la construction d’une société plus juste et équitable dans laquelle tous les citoyens seraient désormais égaux devant la loi.
Quarto, les élections démocratiques sont indépendantes et reposent sur le principe de la séparation du pouvoir entre exécutif, législatif et judiciaire. Au Burkina, la polémique fait état de ce que le problème politique (haute trahison) que la nouvelle loi électorale prétend résoudre ne fait suite à aucune décision de justice portant condamnation de « ceux qui ont soutenu l’article 37 ». Il revient aux autorités de transition de donner des garanties de neutralité et de la volonté de ne pas contrôler l’issue des votes. Il leur revient surtout de faire en sorte que les actions en cours ne deviennent pas une opération de positionnement, de blanchiment, de vengeance ou de règlement de comptes.
Quinto, les élections démocratiques sont transparentes. Les règles du jeu sont claires et connues de tous. En l’état, il est difficile de savoir avec exactitude qui tombe sous le coup de la nouvelle loi électorale au Burkina Faso. Il revient aux Burkinabè de ne pas céder au populisme identitaire qui, dans une démarche de totalisation hégémonique (le Eux contre le Nous), catégorise l’adversaire politique (Eux qui ont soutenu la modification de l’article 37) comme seul responsable de tous les maux du pays. En vue de garder l’esprit de la révolution populaire de novembre 2014, il convient de montrer une image d’assainissement de la morale publique plutôt que celle de la chasse aux sorcières ou de la recherche des bouc-émissaires.
Sexto, les élections démocratiques sont pacifiques. Elles ne conduisent pas au pogrom. Au risque de conduire à de nouvelles fractures sociales, il faudrait éviter au Burkina une récupération opportuniste de certains partis politiques avides de pouvoir et l’ingérence extérieure d’autres prédateurs tapis dans l’ombre ; car, à chaque fois que les règles ne sont pas claires, les intérêts divergents s’affrontent au grand dam des populations lésées. Aussi, il faudrait craindre qu’en cas de récupération politicienne, la discrimination (positive) de « ceux qui ont déjà été au pouvoir » conduise par effet boule de neige aux répressions des replis identitaires et donc, aux prétextes pour l’épuration des Mossis, ethnie de Compaoré, majoritaire dans l’ancien pouvoir.
En somme, les Burkinabè doivent éviter de s’inscrire dans la logique françafricaine qui organise des jeux de chaise musicale au pouvoir alors que le peuple veut une société plus juste et équitable. Pour ce faire, le nouveau code électoral ne doit pas être un outil d’exclusion politique car, il est arrivé dans l’histoire politique qu’un repenti soit plus utile qu’un messie. L’exclusion radicale serait en décalage avec les mutations actuelles dans la société africaine où la démocratie électoraliste perd sa légitimité au regard de son incapacité à apporter des solutions concrètes à la lutte contre la pauvreté. Il faudrait surtout encourager la concurrence et la compétitivité en vue d’augmenter la production et les bénéfices pour les citoyens. Comme le signifiait James Freeman Clarke, il faut penser moins aux prochaines élections qu’à la prochaine génération. À méditer.
Par Louis-Marie KAKDEU, PhD & MPA