Lettre aux étudiants-es du vieux montréal

Publié le 17 avril 2015 par Jlaberge

Félicitations ! Tels les 300 Spartiates aux Thermopyles, vous vous êtes tenus debout en prenant votre destinée en main ! Contre toute espérance, patiemment, courageusement. Vous avez vécu des assemblées houleuses de triste mémoire. Vous aurez au moins compris qu’il vaut mieux s’occuper de politique avant qu’elle ne s’occupe de vous. Je vous invite à poursuivre sur votre belle lancée. Bien sûr, votre priorité est à terminer la session. Excellent ! Votre adversaire, toutefois, vous le savez, renaîtra éventuellement de ses cendres, tel un Phénix. Je veux parler de votre association étudiante, l’AGECVM.
Non pas que je souhaite son abolition. Sa réforme, oui, et ça urge. Ne laissez pas des radicaux vous précipiter dans le gouffre ! Apprenez ce qu’eux-mêmes ne connaissent peut-être pas véritablement. Qui sont-ils ? Que défendent-ils ?
Bien sûr, vous me répondrez qu’ils en ont contre les mesures d’« austérité » du gouvernement Couillard. Sans être faux, ce n’est pas tout à fait vrai. En réalité, l’AGECVM n’en a pas tant contre l’ « austérité » que contre toute forme d’AUTORITÉ. C’est le propre de cette pensée politique qu’on appelle l’ANARCHISME (du grec signifiant littéralement sans pouvoir). Comme le disait le poète et chansonnier Léo Ferré, l’anarchie, c’est l’ordre moins le pouvoir. L’Anarchisme, ce n’est pas l’anarchie au sens courant du terme, c’est-à-dire le chaos ou le désordre. C’est l’absence d’autorité.
Vous penserez sans doute : comme peut-on fonctionner en société sans autorité ? Bonne question, que je relaie aux anarchistes eux-mêmes. Moi-même, j’ai peine à comprendre comment on peut bien vivre sans forme légitime d’autorité. Eux-mêmes, parfois, parlent d’« autorité légitime », mais je donnerais ma chemise pour qu’ils m’expliquent clairement de quoi il en retourne.
Ils évoquent alors leur valeur fondamentale, l’égalité. S’ils haïssent tant les compressions budgétaires du gouvernement libéral, c’est qu’il s’agit pour eux d’une atteinte grave portée à leur valeur phare, l’égalité. D’après eux, les libéraux veulent creuser encore davantage l’écart entre les pauvres et les riches en faisant payer les pauvres et non les riches qui s’enrichicheraient encore plus. Vue sous cet angle, c’est en effet proprement odieux ! Mais attention, aussi odieux que cela paraisse, il s’agit précisément d’une apparence. Pas la réalité. En tout cas, le gouvernement Couillard dit lutter contre le déficit budgétaire afin de juguler la dette publique astronomique avoisinant les 275 milliards (avec 11 milliards d’intérêt par année). On n’est pas en Grèce ou en Espagne, mais on s’y en approche dangereusement, si le gouvernement ne boucle pas son budget, comme ne l’ont pas fait les gouvernements précédents en cumulant leur déficit budgétaire dans la dette. Par ailleurs, les coupes du gouvernement ne touchent pas les services, mais les dépenses. Les dépenses sont réduites, point à la ligne.
Peu importe, disent les anarchistes. La justice sociale est mise à mal. Avec l’austérité, on assisterait au « saccage », au « démantèlement », bref à l’effondrement du modèle québécois d’État-providence. Il ne s’agit, en fait, que d’enflure verbale. Mais, continue l’arnarchisme, il faut lutter contre ce gouvernement qui accroît les inégalités au lieu de les réduire. Augmentant les inégalités, il accroît l’autorité, puisque là où il y a inégalité, il y aurait forcément autorité illégitime. D’où l’idée fondamentale de l’anarchisme voulant que la lutte en faveur de l’égalité implique la lutte contre l’autorité.
Mais il y a plus. La source de tous les maux, selon l’anarchisme – des inégalités, en somme - c’est le fameux droit de propriété. Quand quelqu’un décide que telle et telle chose lui appartient, c’est là que tout commence à aller de travers. Aux yeux de l’anarchisme, il est donc impératif d’abolir toute forme de propriété en mettant tout en commun. C’est l’anarcho-communisme. Selon le mot célèbre du premier anarchiste à s’affubler de ce titre, Pierre Joseph Proudhon (1819-1865), « la propriété, c’est le vol ! » On entre alors de le mysteriumsuprême de l’anarchisme. Comment se départir de cette tendance bien naturelle, voire instinctive, à posséder ce dont on est le créateur ou le constructeur, sans que personne soit fondé à faire valoir des titres spéciaux et exclusifs de possession ? Les artistes, c’est bien connu, revendiquent des droits d’auteur. Doivent-ils les céder puisque leur création ne leur appartiendrait pas ? L’ont-ils volé à d’autres, comme le clame Proudhon ? C’est sur ce point que porte le nerf de la guerre. L’anarchisme prétend que la propriété privée est fondamentalement illégitime et source d’égalité et, donc, d’autoritarisme.
Bon. Je m’arrête parce que la discussion de l’anarchisme est sans fin. Un dernier point seulement encore. Supposons un père de famille qui doit établir son testament en distribuant ses biens à ses cinq enfants. Imaginons qu’il soit anarchiste. L’aînée est handicapée, clouée à un fauteuil roulant. Le second est un tombeur de jupons; il consomme de la drogue. Le troisième est un poète qui vit d’amour et d’eau fraîche. Le quatrième est un manœuvre. Le cinquième est un riche entrepreneur. Comment ce papa anarchiste devrait-il répartir également ses biens ? La question n’est pas simple; elle soulève toute la complexité du concept d’égalité.