16 AVRIL 2015 | PAR KARL LASKE ET MARINE TURCHI
Derrière le vaudeville, l'argent. Le père comme la fille ont chacun leur propre micro-parti pour garder la haute main sur l'argent du Front national. Jean-Marie Le Pen n'a jamais révélé son fichier de donateurs et son association, Cotelec, continue d'accorder des prêts au FN ou à ses candidats.Marine Le Pen peut-elle vraiment se passer de son père ? Tout autant que son poids politique au sein du parti, l'emprise financière de Jean-Marie Le Pen s'avère cruciale. Depuis quelques années, la bataille entre les Le Pen se livre surtout sur le terrain financier. Le père comme la fille ont mis sur pied leurs propres associations de financement – Cotelec et Jeanne. L'enjeu : garder la haute main sur l'argent du parti et conserver l'influence qu'il confère sur les candidats.« Jean-Marie Le Pen a encore des moyens d'action médiatiques et financiers. Grâce à Cotelec, il conserve une force de frappe financière au Front », commente un ancien cadre du Front national interrogé par Mediapart. Créée en 1988, l'association de financement Cotelec – acronyme de « cotisation électorale » – se donne pour mission de « promouvoir l’image et l’action de Jean-Marie Le Pen ».Cette association, dont il a confié la trésorerie à ses hommes de confiance, permet au fondateur du FN de récolter des prêts et dons de sympathisants en dehors du parti. Et de garder une emprise sur le Front national : car Cotelec accorde encore chaque année des prêts importants au FN et lui reverse une partie de ses revenus. Un appui nécessaire, dans un contexte où le Front national peine à obtenir des prêts des banques françaises.Bien conscient de cet atout, Jean-Marie Le Pen a fait de Cotelec le secret le mieux gardé du Front national. « C'est le domaine réservé, le secret, rapporte cet ancien cadre frontiste. Jean-Marie Le Pen cloisonnait beaucoup, Cotelec et le FN c'était hermétique, du moins dans un sens... » Le fondateur du FN a d'ailleurs toujours refusé de révéler son fichier de donateurs. Les trésoriers successifs du Front national, tout comme Marine Le Pen, n'en ont jamais eu connaissance. « C'est cloisonné, confirme à Mediapart Bernard Monot, « stratégiste » économique de la présidente du FN et député européen. C'est comme les entreprises, elles ont leur secret de fabrication. Jean-Marie Le Pen a un grand carnet d'adresses, c'est le privilège de l'âge. »Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen le 18 février 2012, à la convention du FN à Lille. © ReutersCotelec a renfloué le Front national à plusieurs reprises ces dernières années.Après la débâcle des législatives de 2007, qui fait passer sa subvention publique de 4,5 à 1,8 million d'euros, puis le conflit avec l'ancien imprimeur du FN, Fernand Le Rachinel, qui réclame ses 7 millions d'euros, le Front national est au bord de la faillite. En 2010, ses dettes atteignent 10 millions d’euros. Le parti survit grâce à l'argent prêté par Cotelec (2,8 millions d’euros), qui devient son deuxième créancier. Jean-Marie Le Pen prend alors une garantie : Cotelec pose une hypothèque sur le "Paquebot", l'ancien siège du parti. En 2011, les 10 millions d'euros de la vente du Paquebot permettent au FN d’éponger ses dettes et de rembourser Cotelec.« Jean-Marie Le Pen a quand même sauvé le Front lorsqu'il était au bord de la faillite, souligne Bernard Monot. Il était à la manœuvre financière : il mis ses deniers personnels pour payer les salaires des permanents et Cotelec a prêté de l'argent. » Depuis, le micro-parti est resté « une plateforme de financement pour aider nos candidats à se présenter, étant donné les misères que nous fait le système bancaire français », reconnaît le député européen.En 2012, pour financer sa campagne présidentielle, Marine Le Pen emprunte à la Société générale, mais aussi à Cotelec. En 2012, l'association de financement a prêté près de 3 millions d'euros au FN, et plus de 4 millions d’euros en 2013 (empochant plus de 85 000 euros d'intérêts), comme l'indiquent ses comptes, consultables à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).En 2014, l'emprunt russe de deux millions d’euros décroché par Jean-Marie Le Pen – et révélé par Mediapart –, a permis d’avancer des fonds à des candidats frontistes aux européennes. « Moi-même, je me suis financé auprès de Cotelec pour les européennes, explique Bernard Monot. Jean-Marie Le Pen m'a dit : "J'ai des fonds disponibles, si tu as besoin." C'était disponible à l'instant T, alors que les autres pistes de financement étaient encore en discussion. »Cotelec verse aussi directement de l'argent au FN, contournant en toute légalité la réglementation sur les financements politiques, qui limite les dons à 7 500 euros par personne, par parti et par an. Le Front national a ainsi reçu près de 280 000 euros du micro-parti depuis que Marine Le Pen en a pris la présidence (105 000 euros en 2013, 77 000 en 2012, 97 244 en 2011). Il faut dire que Cotelec brasse de l’argent. L'association recueille chaque année autour de 200 000 euros de dons (239 464 euros en 2011, 256 200 euros en 2012, 176 026 euros en 2013). Elle a aussi beaucoup emprunté : 1 169 264 euros en 2011, 2 338 971 euros en 2012, 1 891 023 euros en 2013.