Il y des drames qui se contentent de nous effleurer alors qu'ils devraient nous faire pleurer.
Des drames qui paraissent si loin de notre réalité, si loin de notre confort quotidien qu'on peine à imaginer ce qui peut les générer.
Oh, on en a bien une vague idée, bien entendu mais quelque chose nous empêche de vraiment toucher du doigt la détresse de ceux qui en arrivent là.
Comment imaginer que 45 personnes puissent prendre place à bord d'un canot pneumatique pour traverser la méditerranée, encore aujourd'hui, sachant la fréquence à laquelle ces embarcations de fortune finissent au fond de l'eau, sachant combien de candidats à la traversée n'ont jamais atteint la destination rêvée?
Comment imaginer ce qu'est le quotidien de ceux qui s'embarquent dans ces périples improbables, comment compatir à leur douleur, comment tenter de saisir ce qui nous échappe?
Récemment, j'ai découvert "Alpha" de Bessora et Barroux.
Une bande dessinée qui permet de mettre des visages, des noms sur ces fantômes anonymes qui hantent les faits divers et qui permet, sans jamais sombrer dans le pathos, d'illustrer quelques uns des parcours de "ceux qui partent".
Alpha quitte un jour Abidjan, où plus rien ne le retient, pour la Gare de Nord où il doit retrouver sa femme et son fils, partis avant lui.
Par le biais d'un récit à la première personne, on partage son parcours à travers l'Afrique et sa traversée aussi.
Malgré les difficultés rencontrées, Alpha avance, mû par une foi incommensurable en des lendemains meilleurs et surtout par la volonté de retrouver les siens.
Alpha tient bon, toujours, et s'en sort tant bien que mal. De petits boulots en rencontres touchantes, il nous permet de feuilleter son carnet de voyage.
Âmes sensibles ne surtout pas s'abstenir. Si parfois vous avez du mal à contenir vos larmes c'est que rarement on a parcouru récit aussi poignant concernant le sujet mais il faut parcourir cette bande dessinée, il faut permettre à cette réalité de rentrer dans nos vies pour aller vers plus d'empathie, pour porter un regard nouveau sur le parcours de ceux qui s'engagent dans ces voyages souvent sans retour.
Il y a de la colère, de l'espoir, du sang et des sourires dans cet ouvrage.
Le spectre de la résignation plane aussi, souvent, sur le récit mais l'envie d'aller de l'avant l'emporte toujours. Alpha avance, quoi qu'il lui en coûte parce que c'est toujours mieux que de rester coincé dans un paysage qui n'offre aucun avenir.
Avec Alpha, on découvre le dur quotidien des camps, les passeurs malhonnêtes, les projets improbables et les compagnons d'infortune qui jalonnent le parcours de ceux qui se risquent à quitter l'Afrique pour l'Europe.
"Alpha, Abidjan-Gare du Nord" est un très beau roman graphique signé Bessora (pour le texte) et Barroux (pour les images) et c'est sans conteste -à ce jour- ma plus belle lecture de l'année.
Un texte juste et fort, loin des clichés misérabilistes qu'on nous sert souvent pour aborder ces questions, parfaitement mis en images.
On en sort la gorge nouée mais en ayant le sentiment d'avoir appris beaucoup. "Alpha" est une lecture qui permet de ne plus entendre la litanie des naufrages de clandestins en méditerranée de la même oreille distraite mais d'y prêter une plus grande attention, de se sentir un peu plus concerné.
Ce carnet de voyage est avant-tout un beau témoignage, riche en émotions qu'il faut absolument découvrir et partager avec ceux qui nous entourent. "Alpha Abidjan-Gare du Nord" fait partie de ces lectures dont on s'extrait difficilement tant l'immersion dans le récit est captivante.
Un ouvrage à commander par exemple ici. A s'offrir et à offrir autour de soi. Il faut. Parce que c'est vraiment très beau...
Comme le veut la tradition ici, je te quitte en musique. "Lampedusa" devenue tristement célèbre a nourri l'inspiration de plusieurs artistes africains. Voici un morceau d'Ismaël Isaac (feat. Mokobe) :