Le personnage de Claude Eatherly appartient aux coulisses de l'histoire. Cet aviateur de l'armée américaine a été missionné le 6 août 1945 pour partir en éclaireur afin de décider si les conditions météorologiques étaient propices au largage de la bombe qui allait détruire Hiroshima. Ce messager de l'enfer sombre ensuite dans la délinquance et la folie sans que l'on sache si ses exactions multiples sont dûes à des remords, à de la manipulation pour reprendre le devant de la scène occupé par Paul Tibbets, le pilote de l'Enola Gay, ou encore à une névrose de guerre, une psychose...
"La folie des hommes tient à leur capacité infinie à tricoter des rapports entre des évènements dont le seul lien relève de la mécanique décérébré du temps et du hasard." p. 143
Dans ce roman, une femme s'intéresse à lui : photographe, Rose Calter attend son heure de gloire et pense être en possession d'un sujet atomique avec celui de cet homme. Mais elle vient trop tôt, puis trop tard, et se contentera de suivre Eatherly de loin en loin, durant plus de trente ans, fascinée par ce personnage qui fait montre d'une "rage d'autodestruction en raison de son implication dans le premier massacre nucléaire de l'histoire." Années après années, la façade de l'homme se lézarde, devenu "desperado nucléaire", il semble porter la culpabilité de toute une nation sur les épaules.
"Il me semblait que ce crime contre la vie s'inscrivait désormais dans l'identité génétique de chaque être avec la même irréversiblité que l'ombre des promeneurs japonais sur le pont Aioi s'était imprimée en négatif sur les pierres. Nous étions tous les assassins d'Hiroshima." p. 115
En s'intéressant à cet homme trouble, l'auteur a fourni un travail de documentation poussé en devant écarter les contre-vérités nombreuses dans son histoire. Il nous plonge dans les racines de notre histoire et retranscrit avec talent l'atmosphère d'une époque tourmentée.
"Nous sommes partis avec l'innocence des enfants. De cette innocence où se nident les barbaries les plus féroces. Nous revenons vieux et fatigués." p.101
Autre : un documentaire d'Alain Decaux Moi Claude Eatherly, j'ai détruit Hiroshima
La dernière nuit de Claude Eatherly, Marc Durin-Valois, Plon, 2012, 382 p., 21 euros