Un système pénal nouveau vit le jour, avec le développement de la monarchie absolue et de la justice royale,
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La sorcellerie fut désormais jugée selon cette procédure. les magistrats, pour prouver l
Le traité du « Marteau des sorcières », valorise Marie, la « femme immense »et l'espace de l'Église comme espace maternel. A l'inverse, La hantise du feu qui donnera les buchers se soutint d'une phobie de la femme, porteuse du feu de la passion charnelle, foyer d'incendie pour le monde, signe de convoitise. Car la femme est possédée, pense-t-on alors ; elle est du côté de la vie, du corps, de la nature - de Satan donc. La magie voyait des fées ou des elfes désexualisées, la sorcière véhicule l'image de la mère archaïque et passe un pacte avec le diable.
Il ne faut pas oublier que, jusqu'à la fin du XVe siècle, la femme dispose encore de ce que l'on nomme aujourd'hui la capacité juridique, elle reste propriétaire de ses biens, dont le mari peut disposer, elle dispose du droit de vote, intervient dans les procès comme plaignante ou témoin, tient une place dans la vie économique, exerce un métier (et même parfois un métier d'homme), peut ouvrir une boutique, par exemple, sans avoir besoin de l'accord de son époux; elle a encore le droit de conserver son nom de jeune fille, d'occuper les fonctions de son mari lorsqu'il s'absente ; enfin, elle participe au même titre que lui à l'éducation des enfants, etc.
Dès la fin du XIIIème le courant va s'inverser :
En politique le droit romain va devenir prépondérant et enlever à la femme ses pouvoirs. Les juristes des fils de Philippe Le Bel inventeront la loi salique privant désormais toute femme de la possibilité du trône, cause de la guerre de cent ans. Les juges de Jeanne D'arc verront dans le fait de porter des habits d'homme et donc de prendre leur place, le signe d'une manifeste sorcellerie.
Le culte de la pureté mariale, loin de valoriser la femme la condamnait, du fait de la sexualité : impure comme le lépreux et le juif elle devait supporter l'opprobre qui enveloppait l'ange déchu marqué par sa sexualité et ses suppôts, incubes et succubes ; d'où, une peur de la créatrice castratrice et séductrice, capable de tous les maléfices de par ses pactes diaboliques au sabbat.
Ignorée la sorcière de l'Antiquité. Médée, même pour les amateurs d'opéra, évoque en effet davantage la fureur sanguinaire de la femme jalouse que la magicienne, et, comme en dehors d'elle rien n'émerge de ce lointain passé, on n'est guère plus avancé. Ignoré le Moyen Âge lui-même, un millénaire de l'histoire des hommes est ramené à une masse confuse et statique, dont ne subsistent que quelques figures et quelques faits épars dans un monde sombre et intolérant qui renvoie au néant l'extraordinaire richesse dont pourtant il a su faire preuve. La sorcière alors peut bien prendre place entre les sorcières de Shakespeare et ces illuminés de tous les temps qui voyaient le diable partout, comme d'autres voyaient Dieu, tandis que du XVIIe siècle resurgissent les messes noires, et qu'en cherchant un peu, un folklore riche en anecdotes nous
permet d'apprendre au passage que la Bretagne ou l'Ecosse sont des terres de sorcellerie dont les landes sont surpeuplées la nuit de fées, de lutins et de sorcières.
Des vérités éparses n'ont jamais fait la vérité. C'est même à partir de vérités éparses que se construisent les pires erreurs, ou, plus grave, les préjugés. Alors, tentons de remettre les choses à leur place.
Le Moyen Âge a peu brûlé, il a, disons plutôt, cherché à savoir si la sorcière était combustible. Il a codifié, c'est déjà beaucoup, et cette sorcière-là existait à coup sûr, du moins dans l'esprit des inquisiteurs. C'est le XVIe siècle, si brillant en apparence, qui a peut-être été la pire époque d'obscurantisme, et le XVII siècle n'a pas eu grand-chose à lui envier, lui qui a condamné Galilée et l'a contraint à abjurer contre toute logique, ce qui, après tout, était un sort plus enviable que de finir grillé avec ses livres. Là prend place l'époque la plus tragique, et si quelques-uns comprendront plus vite que les autres l'aberration d'une telle persécution, en maints endroits les bûchers flamberont encore au XVIIIe siècle, jusqu'à ce qu'enfin partout un terme soit mis à trois cents ans de folie persécutrice.
De l'Antiquité à nos jours, la sorcellerie en Occident revêt une multitude de visages, dont la sorcière constitue un phénomène particulier, ce qui explique la place que nous lui accorderons. Du paganisme au christianisme, une modification importante s'est produite, où magie, religion et superstition ont vu leurs rapports se modifier. »Colette Arnould. Histoire De La Sorcellerie. Taillandier
L'inversion des valeurs va se symboliser dans l'image forte du sabbat : un sabbat subversif, négateur de l'ordre transcendant où tout ce qui est en haut, la Dame, le Noble, le Prêtre - Dieu -, bascule et tombe.
La tradition a retenu les deux principaux modes de transport du sorcier :
Les pratiques du sabbat seraient d'ailleurs identiques à celles qu'on attribue aux hérétiques : Les rites des sorcières seraient ouvertement blasphématoires. Elles piétinaient, pensait-on, les crucifix, crachaient dessus, renonçaient à Dieu et à la foi chrétienne. Elles profanaient le plus sacré de tous les objets, l'hostie bénite reçue en communion. (Depuis longtemps, beaucoup de fidèles conservaient d'ailleurs l'hostie bénite et l'utilisaient pour protéger leurs animaux du mal ou pour éveiller l'amour). Au XV siècle, l'abus rituel de l'hostie devint l'une des formes de sacrilèges associés aux sorcières conspiratrices. Une légende circulait dans de nombreux coins d'Europe : l'hostie bénite était volée et profanée (par une sorcière, un juif, ou tout autre coupable), abandonnée, puis miraculeusement découverte. On la retrouvait fréquemment en train de saigner. On restaurait son honneur en érigeant ,bien sûr une nouvelle chapelle.
S
Carlo Guinzburg partant du Frioul et des procès des Benandanti, (les accusées rêvaient que leur âme s'échappait du corps pendant le sommeil pour participer à des cérémonies nocturnes ),verra, dans les procès de l'inquisition et le travail d'élaboration de la démologie, une traque de la culture populaire et des vieux mythes païens, voire chamaniques
« L'analyse des documents fait apparaître une multiplicité d'attitudes individuelles. A trop y insister, nous risquions de tomber dans un excès de pittoresque, mais nous avons préféré courir ce risque plutôt que d'abuser de termes vagues et génériques comme ceux de « mentalité » ou de « psychologie collective ». Ces témoignages frioulans présentent, en fait, un continuel entrelacement de tendances appartenant à la longue durée et de réactions purement individuelles, voire inconscientes. Attitudes singulières dont l'histoire, en apparence, semble impossible à écrire et sans lesquelles, en réalité, l'histoire des « mentalités collectives » n'est plus qu'une succession de tendances et d'orientations aussi abstraites que désincarnées.
Or notre recherche démontre avec certitude, en cette région du Frioul où se rencontrent des traditions germaniques et slaves, l'existence à une date relativement récente (vers 1570) d'un rituel de fertilité dont les porteurs - les benandanti - se présentent comme les protecteurs des récoltes et de la fertilité des champs. Cette croyance se rattache à un ensemble plus ample de traditions, liées à leur tour au mythe des assemblées nocturnes présidées par des divinités féminines comme Perchta, Holda, Diane, qui s'étend de l'Alsace à la Hesse, à la Bavière et à la Suisse. Cette croyance se retrouve, presque identique, en Lituanie. Face à une telle dissémination géographique, il est permis de supposer que ces traditions étaient jadis répandues dans une grande partie de l'Europe centrale. En l'espace d'un siècle, les benandanti deviennent, nous le verrons, des sorciers, et leurs assemblées nocturnes destinées à procurer la fertilité se transforment en Sabbat diabolique, accompagné de tempêtes et de destructions. Pour le Frioul, nous avons la certitude que la diffusion de la sorcellerie diabolique s'opéra par déformation d'un rituel agraire antérieur.
Cette identité entre sorciers et morts errants est une identité sui generis : il ne s'agit pas, bien sûr, de transformer de façon rigide cet univers de croyances populaires tellement fluide, contradictoire et composite en une série de rapports rationnels, clairs et distincts. On peut facilement objecter que sorcières et sorciers, outre leur participation en « esprit » aux assemblées nocturnes, à la manière des benandanti, vivent leur vie quotidienne, sont en somme, des hommes et des femmes en chair et en os, et non des âmes errantes. Mais l'existence d'une dualité irréductible de plans est caractéristique de cette mythologie populaire : Plutôt qu'une identité pure et simple, il s'agit de la participation commune à une sphère mythologique originairement indifférenciée qui tour à tour se précise, éclate en plusieurs facettes, Carlo Ginzburg ,Les Batailles Nocturnes.
"Le stéréotype du sabbat représente donc la fusion de deux images distinctes. La première, élaborée par la culture savante (juges, inquisiteurs, démonologues) était centrée sur la croyance en une secte hostile, inspirée par le diable, dans laquelle on entrait après avoir renoncé à la foi et profané la croix et les sacrements. La seconde, enracinée dans la culture folklorique, reposait sur la croyance en d'extraordinaires capacités d'individus déterminés, hommes et femmes, qui rejoignaient en extase, souvent sous forme d'animaux ou à cheval sur des animaux, le monde des morts, afin de procurer prospérité à la communauté. Comme nous l'avons vu, cette seconde image était infiniment plus ancienne que la première et diffusée dans une zone infiniment plus vaste. Elles se fixèrent dans les Alpes occidentales, un peu après 1350. Il est très possible que la convergence entre ces complexes culturels si différents ait été facilitée par la présence, dans la même zone et à la même époque, de groupes hérétiques vaudois. Les doctrines originelles de ces groupes s'étaient en effet mêlées depuis longtemps, soit à des traditions folkloriques locales, soit à des croyances dualistes de type cathare provenant d'Europe centre-orientale, qui se prêtaient à être interprétées comme des cultes diaboliques. L'intervention des inquisiteurs porta tous ces éléments dispersés à la température de fusion. C'est ainsi que naquit le sabbat. » Carlo Guinzburg .Le Sabbat Des Sorcieres. Gallimard
L'Europe devint ainsi l'Europe des sorciers ou plutôt celle des sorcières. La grande chasse aux sorciers qui marqua les XVIème et XVIIe siècles ne fut pas un phénomène spécifiquement français mais concerna également l'Allemagne, la Suisse, les Pays Bas espagnols (bizarrement peu l'Espagne, terre d'inquisition, mais qui traquait surtout les hérétiques et faux convertis) et l'Angleterre. Elle fut partielle et marginale dans les pays nordiques et l'Italie(le Frioul).les principales flambées de chasse aux sorciers se situent partout entre 1560 et 1630., ce qui correspond à une crise de l'Europe. Chacun des pays cités est d'ailleurs le théâtre de guerres de religion et de troubles politiques importants : conséquences de la Réforme en Allemagne et en Suisse, puis guerre de Trente ans; révolte des Pays-Bas contre l'Espagne; installation définitive de la Réforme anglicane puis Révolution en Angleterre; guerres de Religion et révoltes populaires nombreuses jusqu'à la Fronde en France.La répression n'est donc pas celle des seuls juges mais aussi d'une partie des peuples acculturés par la perte des traditions populaires et vivant en état d'insécurité politique ,sociale et existentielle
«
Le Monde Judiciaire — ecclésiastique ou laïque — accrédita, développa la Sorcellerie. Si celle-ci n'avait pas existé, les hommes, par leurs peurs et leurs cruautés originelles, l'auraient inventée. En face des illusions, ils ne surent, peu soucieux des réformes sociales, que torturer. En face des haines accumulées contre eux, ils ne surent que répondre par la mort, et non par la charité consciente de la profondeur de la maladie. L'historien qui s'est plongé dans cet amas de folles pièces judiciaires, de tortures et de supplices ne peut que frissonner, rétrospectivement.
Rétrospectivement, c'est beaucoup dire. Les Peurs contemporaines prendront-elles une autre forme de persécution ? Les crises sociales actuelles n'engendreront-elles pas de nouvelles illusions formatrices de haine et créatrices de supplices ? Y aurait-il une métamorphose du Diable et de nouveaux bûchers ?
Sorcellerie n'est qu'un mot dans la bouche des hommes, celui dont on pare l'ennemi spirituel ou l'ennemi tout court.
Sorciers ou Sorcières ne sont que les victimes désignées de l'adversité sociale.
Raison, où est ta victoire en ce monde de peurs et de haine où la Lumière n'apparaît que par éclairs, dans la Nuit ? » Jean Palou. La Sorcellerie P.U.F.