Titre original : Penny Dreadful
Note:
Origines : États-Unis/Angleterre
Créateur : John Logan
Réalisateurs : Juan Antonio Bayona, Dearbhla Walsh, Coky Giedroyc, James Hawes.
Distribution : Josh Hartnett, Eva Green, Timothy Dalton, Billie Piper, Rory Kinnear, Harry Treadaway, Helen McCrory, Reeve Carney, Alun Armstrong, Simon Russell Beale…
Genre : Épouvante/Horreur/Thriller/Adaptation
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 8
Le Pitch :
Londres, 1891 : une nouvelle menace plane sur la ville. Le richissime Sir Malcolm et Vanessa Ives, une jeune femme mystérieuse, se rapprochent d’Ethan Chandler, un américain, as de la gâchette et acteur dans un spectacle itinérant, dans le but de mettre un terme aux agissements d’un monstre ayant élu domicile dans la capitale. Ensemble, ils parviennent à détruire un nid de vampires dans une ancienne fumerie d’opium. Ils décident alors de faire examiner le corps de l’un des vampires à un certain Dr. Frankenstein, qui découvre d’étranges hiéroglyphes sous la peau de celui-ci. Commence une enquête aux confins de l’horreur et du fantastique…
La Critique :
Encore une fois (c’est de plus en plus fréquent ces dernières années), la télévision a réussi là où le cinéma a pour le moment échoué. Petit retour en 2003 : Sean Connery tourne ce qui restera son dernier film. Adaptation de l’œuvre d’Alan Moore et de Kevin O’Neill, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires de Stephen « Blade » Norrington, se propose de réunir à l’écran des personnages emblématiques de la littérature fantastique, comme le Capitaine Nemo, Allan Quatermain, Dorian Gray, Mina Harker (de Dracula), l’Homme Invisible, ou encore Tom Sawyer, au sein d’une aventure XXL. Le long-métrage sera un échec artistique cuisant, malgré un succès commercial néanmoins plutôt relatif. Bancal, moche, très mal écrit, réalisé avec les pieds, incohérent et plus d’une fois ridicule, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires reste à ce jour l’un des navets les plus effarants des années 2000. L’année suivante, c’est Van Helsing, de Stephen Sommers, qui tente un peu la même manœuvre, en invitant à la même table, outre le fameux chasseur de vampire de Bram Stoker (interprété par Hugh Jackman), Dracula, la créature de Frankenstein et le Dr. Jekyll. Là encore, le résultat fleure bon le gros navet indigeste.
Sortes d’Expendables (ou d’Avengers, c’est comme vous voulez) du fantastique gothique, ces deux longs-métrages ont ainsi surtout prouvé l’incapacité chronique des grands studios de réunir de façon homogène plusieurs célèbres figures immédiatement identifiables, sans tomber dans une surenchère de mauvais goût, largement appuyée par une outrance visuelle hors sujet et une tonalité qui versait allègrement dans la bouffonnerie la plus absurde…
Le spectateur demandeur était donc en droit d’appréhender la série de Showtime, Penny Dreadful, avec un peu d’excitation, mais surtout avec un max de méfiance, malgré des premières images plutôt de bonne augure. Une méfiance que les premiers épisodes se sont vite chargés de balayer d’un revers de la main.
C’est à John Logan que l’on doit ce qui restera sans aucun doute comme l’une des meilleures séries du genre. Homme de théâtre, scénariste connu pour avoir signé Gladiator, Aviator, Hugo Cabret, Skyfall ou Jersey Boys (et le futur Spectre), Logan a donc souhaité réunir au sein d’une même aventure, plusieurs personnages connus, mais pas seulement, tant Penny Dreadful ne s’apparente pas à un collage feignant et opportuniste. Si on croise en effet des noms connus, de nouveaux protagonistes tiennent le haut du pavé et aiguillent le récit dans une direction que ni Frankenstein, que le l’on retrouve aussi au premier plan, ni Dorian Gray, peut-être plus discret mais très présent néanmoins, n’ont exploré dans leur « univers » respectifs, sous la plume de Mary Shelley et d’Oscar Wilde. Une démarche très maligne qui ancre d’emblée la série dans un terreau familier, mais qui laisse les coudées libres aux scénaristes pour tisser de tout nouveaux arcs narratifs et ainsi créer la surprise. Contrairement à La Ligue des Gentlemen Extraordinaires et à Van Helsing (peut-être dans une moindre mesure), les (anti)-héros de Penny Dreadful ne se plient pas aux règles d’un divertissement irrespectueux et bêtifiant, mais se fondent plutôt avec naturel, dans une dynamique en adéquation totale avec leur identité première et avec la tonalité souhaitée par les auteurs qui leur ont donné vie. Le tout en interagissant les uns avec les autres, sans qu’aucune anicroche ne vienne gâcher le tableau.
Conscient de répondre potentiellement à une vraie demande, John Logan livre un spectacle en contradiction avec les codes du blockbuster à l’américaine. Penny Dreadful est une vraie série gothique, qui sait laisser s’exprimer un puissant souffle romantique. Elle prend son temps pour construire ses ambiances, mais sait aussi verser dans une action brute de décoffrage, où la violence graphique s’exprime sans frein ni censure. Les affrontements entre les protagonistes et les vampires par exemple ne manquent pas de lyrisme, mais s’avèrent aussi brutaux. En seulement huit épisodes, cette première saison arrive à donner du corps à tous ses personnages centraux, tandis que d’autres, tels Dorian Gray, se dévoilent petit à petit, en posant les bases de ce qui se développera sans doute dans les saisons prochaines. Et puis, c’est important car assez rare, Penny Dreadful est également et surtout, effrayante. Au cœur d’une ville remarquablement reconstituée, entre petites ruelles sombres et malsaines, et intérieurs aussi fastueux qu’inquiétants, l’histoire se développe en distillant une peur insidieuse propre aux romans dont le show s’inspire. Sans concession, Penny Dreadful met en scène des créatures sauvages et des personnages maudits d’une façon ou d’une autre car croulants sous le poids d’un passé plutôt lourd en secrets envahissants. Vanessa Ives par exemple, incarnée avec une dévotion admirable par une Eva Green franchement aussi sublime que flippante, incarne la volonté de la série de s’aventurer dans des contrées jamais explorées par la télévision, et par cela de couvrir un genre cinématographique par ailleurs parfaitement exploité. En ménageant ses effets, cette fiction horrifique s’apparente à une implacable montée en puissance, sans que jamais rien ne vienne gâcher cette étonnante progression horrifique.
Réalisé de main de maître par une poignée de réalisateurs (dont le talentueux Juan Antonio Bayona, à qui on doit notamment L’Orphelinat ou The Impossible) complètement en adéquation avec un cahier des charges remarquable d’exigence et d’intelligence, Penny Dreadful, à l’instar d’autres séries contemporaines notables, ressemble davantage à un long film, qu’à un simple feuilleton. Bénéficiant de moyens considérables, elle ne fait pas les choses à moitié, tranche dans le vif et fera à n’en pas douter le bonheur de toutes celles et ceux qui attendaient de voir une parfaite synthèse gothique de quelques figures emblématiques de la littérature.
Porté par une distribution quatre étoiles, Penny Dreadful brille aussi par un côté prestigieux assez impressionnant. Outre Eva Green donc, grandement responsable à elle seule de la réussite de l’ensemble, Timothy Dalton incarne une grandeur inquiétante complètement pertinente avec les intentions de l’intrigue, tandis que Josh Hartnett envoie définitivement bouler l’image du beau gosse qu’il avait imposé (malgré lui ?) à ses débuts sur le grand écran. Billie Piper, la Rose de Doctor Who ou Rory Kinnear, superbe Victor Frankenstein, finissent (pour ne citer qu’eux) de conférer de la classe et de l’épaisseur à une œuvre on ne peut plus dense et tout à fait respectueuse.
Au fond, il était difficile de prévoir une telle réussite. Prouvant une nouvelle fois que la télévision représente en quelque sorte le nouvel eldorado des auteurs désireux de s’affranchir des limites imposées par les grands studios de cinéma, plus consensuels, Penny Dreadful propose un spectacle immersif et effrayant. Illustrant une épouvante en l’ancienne, sourde, gore et perfide, souvent malsaine, romantique, et parfois carrément tragique, cette série étonnante s’apparente à une plongée totale au centre d’un cauchemar dont il est difficile de s’extraire, tant il possède aussi un côté addictif propre aux meilleures réussites du petit écran. Inutile de souligner le côté exceptionnel de la chose.
Le dernier épisode annonçant une saison 2 encore plus viscérale et ambitieuse, il y a fort à parier que nous ne soyons pas au bout de nos surprises. Once Upon A Time et Grimm peuvent aller se rhabiller.
@ Gilles Rolland