Après quelques semaines moroses sur le plan littéraire avec les sorties ultra-médiatisées des torchons de Trierweiller, Zemmour et Houellebecq, c’est avec plaisir que je me suis plongé en ce début d’année dans le dernier livre de Claude Askolovitch : Les Grands Garçons, Valls, Montebourg, Hamon…
Comme son nom l’indique, le livre raconte l’histoire des quadras et quinquas du Parti Socialiste, génération désenchantée qui se frotte désormais à l’exercice de l’État avec François Hollande. Askolovitch propose ici une psychanalyse de ces « plus si jeunes » socialistes que l’on présente souvent comme les « éléphanteaux » du PS, bercés par leurs espoirs, leurs flottements, leurs illusions, et finalement déjà vieux, usés et fatigués (sic) par leur attente trentenaire.
Les Grands Garçons
Asko connaît son sujet. Éditorialiste, il a rédigé une biographie de Lionel Jospin et un livre d’entretiens avec Manuel Valls il y a quelques années. Il est également très proche de Vincent Peillon et d’Arnaud Montebourg. Si le constat est souvent amer et les tactiques décrites parfois basses, l’auteur ne s’exprime pas tant avec l’intention de nuire que dans une optique constructive et l’espoir d’un ressaisissement.
L’éditorialiste commence sur une note personnelle, d’un ton solennel. Afin de planter le décor, l’auteur exprime son désarroi face au drame de Sivens. Véritable totem du renoncement de la gauche au pouvoir, Asko semble expliquer en filigrane que si Rémi Fraisse était tombé de la sorte sous un gouvernement de droite, cela aurait été moins grave.
Ce drame est évidemment insupportable mais cette entrée en matière met mal à l’aise quant à l’objet que l’on tient en main – mais où donc l’auteur cherche-t-il à nous amener ? Peut-être suis-je simplement moins réceptif aux symboles, ayant vu dans la chute de Fraisse un acte évidemment grave et sérieux mais qui relève de l’erreur humaine des forces de l’ordre en exercice.
Si cette entrée en matière me laisse perplexe, la suite est beaucoup plus réussie : un regard sur le pouvoir en place, où l’on rentre dans le cœur du sujet, à savoir la politique politicienne.
« La gloire de mon père »
On y apprend, en autres, comment Ayrault pouvait être en porte-à-faux avec l’Élysée notamment sur ses relations avec Montebourg et le cas Florange, ou comment certains de ses ministres l’ont poussé vers la sortie – épisodes notamment couverts sans langue de bois par Jean-Marc Ayrault lui-même dans l’excellent documentaire que sa fille Élise lui a consacré (et encore disponible en VOD pour quelques jours, vite !). On y voit aussi comment Benoit Hamon s’est fait embarquer un peu malgré lui jusqu’à sa propre éviction de la rue de Grenelle.
Si l’ouvrage propose en tête de gondole Manuel Valls, Arnaud Montebourg et Benoit Hamon, sont également présents au générique Aurélie Filippetti, Pierre Moscovici, Vincent Peillon, Aquilino Morelle…
Sans aller compléter la liste des pamphlets et procès de la ligne politique du gouvernement comme Duflot ou Batho l’ont fait, le livre d’Askolovitch souligne tout de même que nous sommes aujourd’hui loin de l’esprit du meeting du Bourget – rédigé par Aquilino Morelle, justement. Montebourg, Hamon, Filippetti symboliseront les renoncements de la gauche au pouvoir, jusqu’à la rupture.
Pot de fer contre pot de terre
Arnaud est omniprésent dans l’ouvrage. Asko fait montre d’un véritable faible, d’un man crush pour l’ancien ministre du redressement productif, si bien qu’en guise de fil rouge il trouve systématiquement à chaque petit défaut ou gros travers des personnages dépeints une réponse « montebourienne » à la connotation souvent plus flatteuse. Notamment face au Premier Ministre : Arnaud est décrit comme un « vieux jeune » immature, se mettant seul dans l’impasse, forçant son destin, là où Valls est un « vieux jeune », pas toujours très socialiste ni idéologue mais qui sait se hisser à la hauteur des évènements pour devenir homme d’État quand la fonction l’exige. Parfois trop.
Ce que la couverture ne dit pas non plus, c’est que l’ouvrage recouvre aussi les mandats de Mitterrand et de Jospin, leurs lots d’agissements et ententes des uns et des autres, pour nos grands garçons ainsi que Martine Aubry notamment, de même que la période 2002-2012. En ne se concentrant pas sur le mandat de Hollande mais en remontant jusqu’aux années 80, le texte d’Askolovitch devient beaucoup moins péremptoire et évite l’écueil classique du livre d’actualité.
En substance, comme le titre laisse le deviner, le livre se concentre sur les jeunes vieux et les vieux jeunes du PS – une jeunesse symbolique plus qu’autre chose pour laquelle les renoncements ont un goût amer ; les couleuvres sont difficiles à avaler, mais les tactiques et manœuvres n’en sont pas moins croustillantes.
La lecture est agréable et parsemée d’anecdotes pas forcément connues. Éclairant sur les coulisses des remaniements et les copinages, l’ouvrage ne réconciliera pas les électeurs dégoûtés des politiciens qui n’ont rien d’autres à offrir en politique que le spectacle de la politique interne. Le livre ne leur est de toute façon probablement pas destiné. Enfin, il s’agit d’une bien belle introduction au congrès de Poitiers cuvée 2015 dont les batailles des idées, certes, mais aussi des personnes, viennent de commencer…