Felice Varini y est revenu deux ans plus tard pour exécuter, toujours pour les propriétaires de cet endroit d'exception, Françoise et Jean-Pierre Billarant, ce Pentagone dans le pentagone dans le pentagone.
Il me semble que depuis je pourrais reconnaitre une de ces oeuvres où qu'elle soit.
J'ai donc été alertée par l'activité qui se tramait dans le Pavillon Paul Delouvrier de la Cité des Sciences il y a quelques jours alors que je m'y baladais. J'ai fait quelques clichés, à peine "volés" depuis l'extérieur.Une oeuvre de Felice Varini doit se traverser, pour rejoindre l'exact point de vue à partir duquel elle a été composée, avant de s'en éloigner pour faire varier le regard, puis y revenir ensuite. Un peu comme on opérerait une mise au point avec un appareil photo.
Le tableau n'est complet que lorsqu'il est regardé. Car aucune oeuvre ne peut vivre sans spectateur. Je dirais même sans "acteur" parce que notre regard ne doit pas demeurer passif. Je me souviens de la parole de Madame Billarant expliquant que face à une oeuvre il n'était pas question d'aimer mais de comprendre.
C'est tout à fait juste et l'idéal est de plonger dans l'exercice avec l'artiste lui-même.
C'est ce que j'ai eu la chance de faire ce soir, et en sa compagnie. Il a accepté de répondre à quelques questions. Ses réponses éclairent son travail et je vous invite ardemment à le découvrir à votre tour, d'autant que l'accès est gratuit.
Visitez vous les lieux avant de commencer ?Oui bien sûr. J'étais venu ici il y a deux ans et je suis revenu plusieurs fois. J'hésitais sur les espaces. La Cité de la Musique à finalement été écartée. Le grand passage le long de la Grande Halle s'est affirmé comme une évidence. C'est un lieu magnifique, très fort, et pourtant pas si invitant que ça au départ même s'il est aujourd'hui très séduisant. Et j'avoue que pour ce pavillon j'ai beaucoup trainé. Il me plait de prendre les décisions le plus tard possible.Comment la photo de l'affiche a-t-elle été choisie ?C'est celle d'une œuvre précédente, et pour cause car rien n'est jamais répété à l'identique. Quand une œuvre ( mais l'artiste emploie exclusivement le terme de pièce) doit être re-produite ailleurs alors moi même je deviens l'interprète de ma première pièce dans la deuxième actualisation.
Vous faites souvent des références au monde musical ...
Chaque pièce suit un protocole qui est comparable effectivement à la musique. Moi même je deviens l'interprète de ma première pièce dans la seconde actualisation. Un peu comme la musique. La pièce peut continuer sa vie ailleurs. Le même morceau de musique aura un rendu différent selon qu'il sera chanté a capella ou avec un orchestre.
Comment travaillez-vous ? Et y-a-t-il un endroit où vous rêveriez d'intervenir ?Felice Varini répond en éludant : je prends des bains ; je ferme les yeux... Ce qui m'intéresse c'est l'artefact. Je ne remplis pas mon tiroir de projets. C'est à chaque fois des lieux que je ne désirais pas nécessairement mais auxquels je me suis confronté. Un jour dans doute j'irai jusqu'à pétiller.Plus sérieusement je parcours le lieu en relevant son architecture, ses matériaux, son histoire et sa fonction. A partir de ses différentes données spatiales et en référence à la dernière pièce que j'ai réalisée, je définis un point de vue autour duquel mon intervention prend forme.
On append qu'il utilise des photos, qu'il fait de moins en moins de dessins. Qu'un tel projet requiert une quinzaine de personnes.
J'appelle point de vue un point de l'espace que je choisis avec précision : il est généralement situé à hauteur de mes yeux et localisé de préférence sur un passage obligé, par exemple une ouverture entre une pièce et une autre, un palier, etc. Je n'en fais cependant pas une règle car tous les espaces n'ont pas systématiquement un parcours évident. Le choix est souvent arbitraire.Y a t-il des endroits que vous n'avez pas voulu investir ?Mon refus serait davantage motivé par des personnes que par des lieux. Disons qu'il arrive que je n'ai pas le temps d'aller là ou là. Mais a priori tout m'intéresse. J'ai quitté mon atelier pour aller travailler dans l'espace. Et ce travail évolue d'un projet à l'autre.
S'agissant des couleurs ?Je n'emploie que les couleurs primaires. Parce qu'elles s'affirment par leur justesse. Elles servent la pièce comme le marbre sert la sculpture. Elles doivent "faire la pièce" et identifier le lieu. A la fin je suis presque devenu décorateur du lieu.On remarque que ces couleurs, jaune, rouge et bleu, sont très présentes à la Cité, comme on peut le constater sur ce cliché.
Comment vous êtes vous senti ici dans le pavillon ?C'est un drôle d'espace mais j'ai fini par y trouver des qualités et finalement je m'y trouve très bien. C'est pas le White Cube rassurant (une galerie londonienne d'art contemporain aux proportions idéales) . Les lumières changent tout au long de la journée. En ce moment l'éclairage n'est pas actif mais après la tombée de la nuit il faudra revenir et l'atmosphère sera sans doute très différente. Et puis il y a une quantité de colonnes inimaginable. Tous les défauts, je les ai finalement utilisés.Avez vous suivi un ordre ?J'ai terminé avec cet espace où j'ai choisi 7 colonnes. La hauteur d'une colonne donne la longueur du carré.
De fait la pièce s'intitule Sept carrés pour sept colonnes, La Villette - Paris, 2015
J'ai commencé par ce panoramique rouge à partir d'un point de vue à 90°. La pièce se compose de 14 triangles évidés par des disques qui épousent tout l'intérieur du bâtiment, s'élèvent en direction du sommet du plafond vers des points comme les déclencheurs des systèmes de sécurité ou les éclairages de service.
Un cartel minuscule, placé face à l'entrée et qui pourrait passer inaperçu, mentionne Quatorze triangles percés/penchés, La Villette - Paris, 2015Ensuite avec cet angle de 30° de quatre couleurs. Chaque forme s'installe sur une ligne du plafond, une poutre ... Après j'évide pour suivre le trapèze que j'évide à son tour ... C'est un dispositif organisé. Dès qu'on le quitte tout peut arriver et apparaître ...
Le cartel fixé à coté du précédent mentionne sobrement : Rouge jaune noir bleu entre les disques et les trapèzes, La Villette - Paris, 2015La photographie ne rend pas complètement compte des dimensions plutôt considérables. Le couple de visiteurs que l'on aperçoit au lointain semble avoir la taille de fourmis.Avez vous le sentiment de vous répéter ?Pas du tout. Je fais toujours la même chose mais de manière différente. Il y a des pièces que j'ai réactivées 5-6 fois, et en tenant toujours compte du cadre.L'artiste nous entraine ensuite à l'extérieur, pour longer l'installation photographique en vitrophanie le long de l'espace de billetterie de la Grande Halle.On y découvre une sélection de points de vue d'autres oeuvres réalisées dans le monde entier. On remarque que plusieurs ont été exécutées en extérieur comme par exemple à Martigny, Castillon du Gars, Saint-Nazaire, Salon-de-Provence, Cardiff et Londres.J'en ai choisi deux au hasard, mais y-a-t-il un hasard quand je découvre que la première appartient à la Collection Sophie et Serge Billarant ? Il s'agit de Cercles et ondes de cercle pour le trapèze, Montrouge 2014 (photographie André Morin).La seconde est un Trapèze désaxé autour du rectangle, Ecole d'architecture de Nancy, 1996, collection de l'Ecole d'architecture de Nancy, photographie André Morin.
A l'intérieur, un écran vidéo plongera le visiteur dans le travail de l'artiste. Nous poursuivons, toujours en sa compagnie en direction de la Galerie Est de la Grande Halle, aux arcs métalliques caractéristiques de l'architecture du XIX° siècle.
Il s'affirme très heureux de cet espace longeant la prairie. Il y a peint Arcs de cercle sur diagonale dont la lecture aboutit sur le mur du café adjacent à la Cité de la Musique.On le voit effectivement apprécier le double effet retrojour et contrejour, donnant presque un orange bordelais sur la voute et une couleur très claire au lointain alors que c'est bien entendu le même ton qui a été employé partout.Felice Varini nous invite à rentrer dedans, à y déambuler pour voir autre chose : J'ai mis en place les choses pour que la peinture puisse s'affranchir de moi-même dans la suite de surprises qui va apparaitre.
La technique est différente. Ce n'est plus de la peinture mais des feuilles d'alu anodisé qui ont été collées, et qui sont donc amovibles, comme il le fait pour tous les monuments historiques.
La déambulation révèle la fragmentation. C'est un processus complexe qui a intéressé l'artiste dès le début mais qu'il a mis du temps à comprendre.
De retour dans le Pavillon Delouvrier on se surprend à voir de nouvelles figures. Ici la ligne est ondulée parce que le sol n'est pas plat. On a fait comme des lignes de niveau, m'explique-t-il.
Le point de vue que j'ai décidé est un alibi pour éclater la peinture dans l'espace. Il devient alors tableau.
De fait les jeux de lumières sont très beaux, même si on commence à regretter les empreintes grises laissées par les pas des premiers visiteurs.
A force d'exercer notre regard on verrait partout des pièces particulières mais il ne faudrait pas croire que ces trois points ont été peints par Felice ...
Il faut profiter de votre venue pour aller à la Géode, qui fête son trentième anniversaire. Les jardins méritent aussi qu'on s'y attarde. Notamment ceux qu'on désigne sous le terme de "jardins passagers".
Des ateliers sont proposés aux petits comme aux adultes. Bientôt le Street Festival sera une occasion supplémentaire de découvertes. J'aurai l'occasion d'en reparler.
La Villette en suites, oeuvres peintes de Felice Varini,
Du 15 avril au 13 septembre 2015
Au Par ce la Villette
La galerie Est de la Grande Halle est en accès libre et permanent.
Le Pavillon Paul Delouvrier est ouvert de 14 à 19 heures, du mercredi au dimanche, entrée libre.