Parce que il faut aussi le voir comme cela : Borges est un poids incroyable pour les écrivains latinos, il est énorme, c'est la plus grande référence du XXe siècle et pourtant, il faut maintenant arriver à s'en débarrasser , à évacuer cette masse (on pourrait presque reprendre pour Borges le mot de Gide sur Hugo : le plus grand poète hélas) qui leur pèse dessus et qui les entravent. On ne peut pas lire une critique sur un roman argentin sans qu'il ne soit fait mention à un moment ou à un autre de Borges. Il est urgent de remettre Borges à sa place, mais c'est une entreprise très difficile. Il est ce monstre de théorie et de technique et en même temps il est aussi celui qui s'est coupé du monde dans lequel il vivait, pour s'enfermer dans la bibliothèque, c'est à dire qu'il est l'écrivain le plus important mais il n'a aucune notion politique, en tout cas cela ne transparaît pas dans sa production littéraire. Le résultat donne une très impressionnante densité littéraire mais pas au service de l'action .C'est ce que les générations suivantes ne peuvent lui pardonner et pourtant, ils ne peuvent se passer de lui ( c'est notamment le cas de Sabato).
En fait Pauls brosse un tout nouveau portrait de Borges, il évoque l'oeuvre et nous parle de l'homme comme s'il était enfin parvenu au rang de classique, cela lui permet de l'aborder sans réticence et de pouvoir faire le point sur le cas Borges sans faire table rase.
d'être lus sans l'ombre tutélaire et un peu castratrice de Je crois que c'est en envisageant Borges comme cela que les auteurs latino-américains vont pouvoir faire ressurgir d'autres aînés moins apparents je pense à Bioy Casares, Roberto Arlt, ou encore Macedonio Fernandez. En tout cas il me semble que cet essai de Pauls marque une rupture et un nouveau départ dans le sens qu'il laisse le champs libre à des auteurs comme Piglia.
Alan Pauls, Le facteur Borges, Christian Bourgois éditeur 2006
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