Après Confidences à Allah, Mon père est femme de ménage, La Mecque-Phuket et Combien veux-tu m’épouser ?, je n’ai pas longtemps hésité à me procurer le dernier roman en date de Saphia Azzeddine. Avec « Bilqiss » l’auteure continue de se battre pour toutes les femmes opprimées par la religion et/ou par les hommes… une bien noble cause !
C’est l’histoire inimaginable de cette jeune indienne violée par six hommes dans un bus de New Delhi en 2012, puis transpercée par une barre de fer, qui a poussé Saphia Azzeddine à imaginer Bilqiss : une femme forte et libre dans un pays musulman non identifié où l’on lapide les femmes pour un rien.
Ce roman invite à suivre le long procès de cette héroïne condamnée à la lapidation pour avoir osé faire l’appel à la prière à la place d’un muezzin qui n’était pas en état de se réveiller ce matin-là. À ce crime impardonnable s’ajoute le fait qu’elle soit instruite, qu’elle laisse souvent dépasser une mèche de son voile, qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche et qu’elle possède des légumes de forme phallique non découpés dans son frigo… de quoi lui mettre à dos tout le village !
« Je savais aussi que s’épiler les sourcils était interdit puisque ça altérait la création de Dieu. Il ne fallait rien dénaturer et revenir à Lui comme II nous avait créés. Bien entendu, cette règle ne s’appliquait pas aux femmes dont les visages, après la lapidation, parvenaient en lambeaux à Sa porte. Elles, on avait le droit de les défigurer à souhait, pourvu que l’on ne redessine pas la courbe de nos sourcils. »
Dès les premières pages, on s’attache à cette jeune condamnée qui refuse de se soumettre aux règles stupides de quelques imbéciles qui estiment détenir le savoir universel et l’unique interprétation du Coran. À travers cette héroïne insolente et indomptable c’est l’auteure qui s’exprime, refusant que l’on bafoue plus longtemps sa religion et invitant les femmes soumises à se révolter. Ce roman n’est pas une attaque contre l’Islam, mais un hommage à cette religion à laquelle l’héroïne reste fidèle jusqu’au bout. L’auteure s’y insurge contre la domination des hommes et contre les abus perpétrés au nom d’Allah, au profit de pratiques barbares et moyenâgeuses.
« Mon Coran n’ordonne rien, aucune loi ne peut s’en dégager parce qu’il y a autant de lectures qu’il y a de musulmans, et ce n’est certainement pas une bande de fripons en robe blanche, rases de frais et le front souillé qui réduira mon saint Coran à un vulgaire mode d’emploi pour décérébrés. »
Si les paroles de Bilqiss sont criantes de vérité, d’autres voix se mêlent également au récit. Il y a tout d’abord les pensées de ce juge en charge de l’affaire, torturé entre cette Foi qu’on lui a enseignée et la sincérité des paroles qui émanent de cette femme insoumise. Ce double point de vue permet de comprendre la relativité entre ce qui est considéré comme bien ou comme mal. Il y a ensuite la voix de cette journaliste américaine qui ajoute un regard plus occidental à l’ensemble et qui invite également à réfléchir à la frontière entre une compassion qui sert souvent à donner bonne conscience et un voyeurisme malsain qui sert malheureusement à faire grimper la vente de journaux.
Ces trois visions différentes forment un tout, qui correspond à la vision que l’auteure tente de partager avec nous, toujours en usant de cette narration qui vient des tripes sans pour autant être dénuée d’intelligence. Quand Saphia Azzeddine nous parle, ses mots claquent, percutent et ne laissent pas indifférent. Perso, je reste fan !