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J’adore ce titre. Il m’est venu alors que je m’intéressais à une théorie connue en psychologie sociale au doux nom de “dissonance cognitive”. La dissonance cognitive, nous la connaissons tous à un moment ou un autre quand nous ressentons un état de tension psychologique inconfortable à l’issue d’un conflit interne entre ce que nous croyons et ce que nous faisons. Par exemple vous pouvez croire que fumer est mauvais pour la santé et pourtant vous fumez. Ou, si vous ne fumez pas, vous pouvez croire que vous êtes quelqu’un d’honnête et pourtant lâcher un petit mensonge de temps en temps “pour ne pas faire de peine”. Essayons alors aujourd’hui de voir comment remettre un peu d’ordre dans toute cette confusion.
Le côté obscur de la congruence
Nous avions déjà abordé le sujet de la congruence dans un précédent billet. Pour rappel, il y a congruence quand il y a une cohérence, une harmonie entre ce que nous pensons et ce que nous faisons. L’autre terme pour désigner la congruence est la cohérence cognitive.
La plupart des gens ont une vision plutôt favorable d’eux-mêmes. Ils se considèrent comme assez compétents, agissant selon une certaine morale, et plutôt raisonnables. Tous ces éléments constituent un ensemble de croyances sur soi-même plutôt positif. Pourtant, il arrive que ces mêmes personnes adoptent des comportements qui leur laissent le sentiment amer d’être stupides, immoraux, et déraisonnables.
Par exemple, ils fument, font l’impasse sur le tri sélectif, racontent des “petits” mensonges, persistent dans une relation toxique, s’accrochent à un travail pénible, négligent certains de leurs besoins fondamentaux, ou s’engagent dans des conduites hypocrites.
Bref, en matière de cohérence cognitive, il y a quelques grumeaux dans la pâte.
Le moment où la dissonance cognitive devient psychologiquement inconfortable dépend de son ampleur. Lorsqu’elle devient intense et inconfortable, elle génère une sorte de motivation chez la personne qui se mettra alors à chercher des moyens pour éliminer ou, à minima, réduire cet état de dissonance. Nous rejoignons là l’une des caractéristiques issues de la théorie des systèmes, à savoir l’homéostasie ou, autrement dit, revenir à un état d’équilibre antérieur à ce qui a conduit au déséquilibre. En l’occurrence, il s’agira ici pour la personne de rétablir un équilibre psychologique dans lequel elle se sent bien.
La réflexion légitime qui pourrait venir à ce moment du billet est la suivante : “ Dans ce cas, c’est simple, évitons d’agir en désaccord avec nos croyances et valeurs et n’en parlons plus.”
OK, sauf que le truc ne fonctionne pas dans ce sens, chers lecteurs.
En effet, selon Festinger, les personnes agiraient sur leurs convictions et positions après coup. C’est le principe même de la justification. Une fois le comportement effectué, les personnes adaptent leurs croyances et avis pour les faire coïncider avec ce qu’elles ont fait. D’autres appellent ça la rationalisation.
Voici justement quatre situations qui illustrent ces moments où nous pouvons potentiellement entrer en état de dissonance cognitive.
On se rassure comme on peut …
Le choix
Nous sommes très souvent en position de faire des choix entre plusieurs options. Si parfois, le choix est facile, car les avantages d’une option par rapport à une autre sont nettement plus intéressants, il arrive aussi que les options en balance soient pourvues d’avantages et d’inconvénients à peu près équilibrés.
Imaginons que vous deviez choisir entre deux restaurants pour une fête de famille. Le premier est très bien situé avec une belle vue, mais le menu est très cher et le second est moins bien situé, sans vue exceptionnelle mais affiche des menus de qualités à un prix abordable.
Après réflexion, vous choisissez la première option, le restaurant bien situé.
Au cours du repas vous vous trouvez devant le fait avéré que les serveurs du restaurant de votre choix ne sont pas très sympathiques, alors que dans l’autre restaurant, ils semblaient bien plus accueillants et les menus étaient plus économiques. C’est là que la dissonance cognitive entre en jeu. Le petit malaise qui déclenche la petite voix intérieure vous disant : « Mince, si j’avais su…«
Pour réduire l’état inconfortable généré par ce conflit psychique, vous vous engagez alors dans un travail cognitif en valorisant votre option choisie (… oui, mais regarde cette vue magnifique !!) et en dévaluant l’option rejetée (… de toute façon, c’était dans un trou perdu.)
Si vous voulez tester le truc, la prochaine fois que vous serez avec quelqu’un amené à faire un choix posez-lui la question suivante, avant qu’elle ait fait son choix et quelque temps après :
“À quel point es-tu sûr(e) que ton choix est le bon ?”
Notez alors la différence dans l’assurance et la confiance du « bon choix » entre avant et après.
La justification insuffisante
La justification insuffisante concerne la façon dont nous expliquons ou justifions nos actions pour lesquelles nous n’avons pas ou peu été sollicités (dons, gestes citoyens, marche pour défendre une cause, etc.)
En gros, moins nous avons de moyens externes de justifier une de nos attitudes ou un de nos comportements, plus nous aurons tendance à modifier nos convictions et opinions en faveur dudit comportement.
L’exemple le plus frappant est celui de l’ahurissante frénésie pour acheter le numéro de Charlie Hebdo qui a suivi les attentats du 7 janvier. Les trois quarts des personnes ayant acheté ce numéro n’avaient jamais acheté ce journal auparavant, ni se sentent proches de ses idées, voire cultivent des valeurs contraires. Pourtant, quand on leur demande pourquoi elles donnent de l’argent pour un journal qu’elles n’auraient jamais acheté en d’autres circonstances, elles ont tendance à revoir leurs opinions sur ce journal ou leurs convictions sur la liberté d’expression.
La justification de l’effort
Dans cette situation, la théorie de la dissonance propose que l’attractivité d’une tâche augmente en fonction directe de l’ampleur des efforts déployés pour la réaliser. Tous les types d’efforts sont possibles; affectifs, relationnels, financiers, physiques, … et ont un caractère pénible et/ou difficile.
Ainsi, si nous dépensons beaucoup d’énergie pour atteindre un objectif, si nous souffrons pour accéder à quelque chose, et si à la fin nous évaluons négativement cet objectif ou reconnaissons que la chose en question n’a que peu de valeur, alors un état de dissonance se crée.
C’est le cas par exemple des personnes qui s’impliquent au maximum dans une activité (professionnelle ou autre) pendant de longs mois ou années et qui, au final, se rendent compte que le résultat attendu est bien en dessous de leur ambition de départ. Ou d’autres qui ont dépensé une somme d’argent conséquente pour un produit ou service qui n’a que peu de retour sur investissement.
Une façon de réduire cet état de dissonance est alors d’élever notre appréciation de l’objectif atteint (justifiant ainsi de l’effort accompli), et de surévaluer la valeur de la chose acquise pour laquelle nous avons souffert (justifiant ainsi la souffrance subie)
“C’est vrai que j’ai dépensé 1 mois de salaire pour acquérir ce téléphone… qui ne tient pas la charge. Mais bon, il a plein d’applications qui me sont vachement utiles…”
L’infirmation des croyances
Pour illustrer cette situation, je vous propose directement l’expérience qu’ont réalisée Festinger et ses collaborateurs dans les années 50.
Ils se sont infiltrés dans une secte, les “Seekers” dont les membres étaient convaincus d’une apocalypse le 21 décembre 1954, mais où tous seraient sauvés par des extraterrestres dans le but de construire un Nouveau Monde.
Bien entendu, le jour précis du cataclysme annoncé, rien ne s’est produit. Les Seekers étaient devant l’évidence absolue que leur croyance qui leur était chère avait été démentie sans équivoque.
Compte tenu de ce retour brutal au principe de réalité, comment ont réagi les membres de la secte en pleine situation de dissonance cognitive ?
Quelques-uns ont rejeté leurs croyances et abandonné le groupe. D’autres, en revanche, ont considéré que c’est la puissance de leur foi qui leur avait permis d’éviter la catastrophe. Du coup, leurs croyances de départ s’étaient renforcées et leur ont donné de l’assurance pour aller prêcher la bonne parole et faire du recrutement de nouveaux adeptes.
Conclusion : plus la croyance est forte et ancrée, moins les éléments venant recadrer cette croyance sont visibles et pris en compte. Paradoxalement, ils peuvent même la renforcer.
Cette expérience est relatée dans un des ouvrages de Festinger : “L’échec d’une prophétie”
Pour finir
C’est grâce à ce type d’éclairage que, personnellement, je développe une lecture avisée de certaines attitudes et comportements chez mes semblables. Et étant donné que je suis logé à la même enseigne, ces notions me permettent aussi d’être un peu plus conscient de ce qui se joue pour moi quand, parfois, je sens une sorte de tension entre ce que je crois et ce que je fais.
Source :
Psychologie sociale : Approches du sujet social et des relations interpersonnelles. Patrick Gosling
Psychologie de la motivation et des émotions. Johnmarschall Reeve. Ed. de boeck
Si vous-même ressentez parfois un conflit interne entre ce que vous faites (vos comportements) et ce qui est important pour vous (vos croyances et valeurs) et souhaitez être accompagné sur ce sujet, contactez-moi via la page contact. Réponse sous 24 heures.
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