BOBIN, / La Présence pure
La vitre est comme le miroir d'Orphée chez Cocteau. Tout se concentre là. Tout est là désormais. Il trace inlassablement de larges cercles concentriques sur la grande baie vitrée, son beau regard si bleu - comme Méditerranée aux portes de Carthage - se souvient-il des écuries aux trois cents éléphants de Salammbô qu'il me décrivait dans les miracles de mon enfance ? Il me lisait Flaubert le soir, harassé pourtant par une journée éprouvante de travaux des champs qui n'étaient enchanteurs que pour moi...
Il était paysan bien modeste aux six hectares de labeurs incessantes, fatigue, morsure du soleil l'été, celle du froid, ô hiver cinquante-six, muscles noués le soir par la charge portée tout au long du soleil. Il ne serait pas couché un seul soir pourtant sans me faire "la lecture". Flaubert, visite régulière chez Prévert, Hugo, Proust et cet incipit fameux qui le faisait rêver "Longtemps, je me suis couché de bonne heure...", l'histoire de la Commune de Paris, Louise Michel, les poètes réalistes le fascinaient, il me les apportait, "la Mort de Philippe II" de Verlaine... "Et puis, plus rien ; et puis, sortant par mille trous, / Ainsi que des serpents frileux de leur repaire, / Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux./ Philippe Deux était à la droite du Père. Albert Samain : "le vent tourbillonnant, qui rabat les volets, / Là-bas tord la forêt comme une chevelure. / Des troncs entrechoqués monte un puissant murmure / Pareil au bruit des mers, rouleuses de galets... Il en connaissait des dizaines par coeur.
Il trace inlassablement de larges cercles concentriques sur la grande baie vitrée. Il perce le carreau pour regagner le ciel qu'il a fréquenté tout au long de sa vie de vrai paysan, le ciel qu'il connaît si bien. Tout près de lui et de sa vitre, assise sur une chaise, menue et discrète, dodelinant à l'infini la tête, une dame chante à voix douce, aussi inlassablement qu'il trace ses cercles invisibles, le refrain de "la Claire fontaine"... Il y a longtemps que je t'aime, jamais je ne t'oublierai