Les médias se concentrent en ce moment particulièrement sur la nouvelle guerre du Père et de la Fille qui touche le Front National. La Parisien a ainsi enchaîné deux articles en quelques jours sur cette "Guerre des chefs" qui n'en est pas vraiment une.
On pourrait croire qu'avec les poussées électorales successives, le FN connaît à présent une forme de rituel de passage qui le met au régime des grands partis : celui où les ego imbus d'eux-mêmes se chamaillent sans cesse pour contrôler le parti. Il n'en est rien. En effet, la situation est plutôt celle d'une passation de pouvoir qui ne passe pas, le père souhaitant plus rappeler son existence (et par ailleurs son "oeuvre" passée) que s'imposer à la tête d'un parti dans lequel il ne se reconnaît plus.
Voyons voir les enseignements que l'on peut tirer de cette gue-guerre et comment on peut l'analyser.
-Jean Marie et Marine Le Pen au Parlement Européen-
Un duel ou un duo ?
On peut d'abord se demander si le Père et la Fille forment aujourd'hui un duel (ils se combattent, se rejettent) ou un duo (ils se complètent). C'est en répondant à cette question que l'on peut réellement connaître la nature de cette crise frontiste.
Tout d'abord, on ne peut pas nier que le Front National connaît depuis Marine Le Pen une évolution stratégique : si le Père avait ancré le parti dans une volonté de contestation voire de provocation à l'égard du système, l'isolant et le cantonnant à une irrégularité électorale, la Fille a réorienté le parti vers une volonté d'accès au pouvoir. Et ce n'est pas une mince affaire que de transformer un parti d'Extrême-droite anti-système en un parti de gouvernement. Mais c'est son projet et c'est aussi ce qui a permis d'orienter idéologiquement le parti vers de nouveaux fronts. Si le thème de l'immigration reste bien présent, ceux concernant la société ou l'économie ont été remanié, sortant le parti d'une étiquette quasi-réactionnaire et antisémite vers une étiquette plus populaire (certains diront populiste), se concentrant sur la critique de l'Europe, de la Mondialisation, des classes moyennes déclassées. On est bien loin de serrer la pince de Ronald Reagan comme le Père dans les années 1980 et le poujadisme anti-impôt a laissé place nette à un étatisme gras.
Ces bouleversements ne furent pas sans conséquence sur le parti. Si l'on parlait au début des années 2000 de "lepénisation des esprits" on pourrait tout autant réutiliser cette expression aujourd'hui. En effet le parti attire de plus en plus, de nombreuses personnes (d'ailleurs anciennement de gauche voire au Parti Communiste Français) débarquent au Front, dégoûté des partis traditionnels et attirés par la nouvelle fibre social(iste) du parti. La composition de celui-ci change. Qui aurait pensé qu'un ancien syndicaliste de la CGT aurait pu devenir maire estampillé FN il y a 15 ans ? Qui aurait pu penser qu'un homosexuel chevènementiste allait devenir l'un des hommes forts du parti fondé par Jean-Marie le Pen ? A quand l'intégration d'ATTAC au Rassemblement Bleu Marine ?
On le voit le changement c'est maintenant et cela ouvre à une nouvelle problématique dans le parti nationaliste : celle des courants. En effet le courant dynamique en ce moment au FN, c'est celui des gay-
Face à cette situation, il faut donner à manger à tout le monde. Marine tient la barre et Jean-Marie lance quelques phrases pour rappeler les vraies valeurs. Ce mouvement pendulaire entre les deux courants permet de ratisser large et aussi à la fille de montrer sa distinction ce qui est indispensablesdans sa stratégie de dédiabolisation et de respectabilité.
Cependant la répétition des scènes de ménage rend la chose trop voyante. On est bien loin de la véritable guerre des chefs entre Le Pen et Maigret à la fin des années 1990, qui avait pour casus belli la stratégie du parti. En effet, ici, la stratégie de dédiabolisation est visible. Mais il faut toutefois bien rappeler deux choses : -Le Père ne fait que répéter des choses qu'il a déjà dites auparavant dans des contextes tout à fait différent où la volonté de dédiabolisation n'existait pas. -Il est tout à fait possible que la stratégie Père-Fille se détraque et que Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen soient maintenant en conflit.
Au final, on est je pense dans une situation de duo (stratégie de dédiabolisation) qui est devenue un duel (conflit ouvert) l'écart entre les deux courants du FN et la prédominance que prend celui de Marine devenant trop importants pour satisfaire le Père.
Les régionales en vue
Le conflit entre le Père et la Fille arrive à point nommé. Suite à un score important mais aux retombées limitées en terme de pouvoir politique, le FN espère entériner définitivement sa dédiabolisation.
Car en effet, après avoir annoncé mordicus qu'il maintenait ses opinions controversées, le Père a un peu rapidement (trop) annoncé vouloir transmettre le flambeau à... la Petite-Fille. La rapidité de ce revirement pourrait nous indiquer que Jean-Marie n'était que dans un rôle (trop vite abandonné). Mais tout n'est pas si simple pour deux raisons : -Le parti reste très divisé et incertain sur la liquidation du Père fondateur, seule condition de respectabilité (une condition nécessaire mais pas suffisante par ailleurs). Si une procédure disciplinaire a été engagée, rien n'est encore fait et Marine Le Pen elle-même doit hésiter quand Louis Aliot refuse de renvoyer le Père alors que Florian Philippot souhaite l'évincer. -La désignation d'un "successeur" pour les régionales au PACA (qui étaient promises au Père) peut encore poser problème dans le camp interne pro-Jean-Marie : en effet, Marion Maréchal ET Bruno Gollnisch semblent tous les deux sur le pied de guerre.
En conclusion le FN n'est pas sorti d'affaire. Car si la stratégie de dédiabolisation "Père-Fille" a jusqu'alors permis à Marine Le Pen de se démarquer et de progresser, l'image du parti n'est pas encore politiquement correct loin s'en faut. Et la gestion de cette affaire délicate ne va pas forcément (quelque soit l'issue) donner plus de légitimité au FN, en ce moment plus occupé par son linge sale que par le pouvoir ou même la France. La machine à ratisser large semble avoir atteint ses limites tant elle a rassemblé. Le Père disait lui-même à Jean-Jacques Bourdin qu'il y avait des gaullistes et des pétainistes dans ce même parti. Mais est-ce possible de concilier des tendances (pour ne prendre que cet exemple) aussi contraires ? Le FN ne devra t-il pas payer cela au prix d'une vulgarisation idéologique ? Enfin, est-ce la clef du pouvoir ? Rien n'est sûr en attendant les régionales...
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Vin DEX