Crédits: Alex Angileri
Roxan Bernard, pouvez-vous avant toute chose vous présenter ?
J’ai 27 ans, je suis préparateur physique rugby, originaire de Bourg de Péage, dans la Drome. Je vis actuellement à Wellington en Nouvelle-Zélande où j’ai eu l’opportunité de m’investir au quotidien avec les Wellington Lions lors de la dernière ITM Cup et maintenant auprès des Hurricanes pour le Super Rugby 2015. Je suis diplômé d’un Master en préparation physique et réathlétisation, validé à l’UJF de Grenoble depuis 2011.
J’ai débuté ma carrière dans le handball, puis en 2013 j’ai intégré l’ambitieux club de l’USRP en fédérale 1 (Romans), j’y ai rejoint Régis Lantheaume (champion de France Pro D2 avec le FCG) ainsi que mon frère Kilian Bernard, lui aussi préparateur physique mais déjà en poste depuis 2011. Après un an de collaboration sur le centre de formation et l’équipe première, j’ai décidé de partir à l’aventure avec l’envie forte de découvrir le très haut niveau en Nouvelle-Zélande.
Justement, comment et pourquoi êtes-vous descendu down under ? Qu’est-ce que vous avez cherché en Nouvelle-Zélande ?
C’est assez simple, j’ai décidé de me retirer volontairement de l’USRP après un an d’investissement, pour laisser à mes deux compères l’opportunité de gérer le bateau à deux.
A partir de là, quoi de mieux que d’entreprendre un voyage initiatique au pays du rugby, qui plus est quand on est libre de partir où et quand on le souhaite. Mon souhait était de trouver un projet intéressant pour montrer que nous aussi préparateurs physiques français nous sommes compétents ! J’étais vraiment déterminé, j’ai pris mon sac, j’ai foncé un peu à l’aveugle, je suis allé vers les gens, j’ai fait part de mes envies, de mon ambition, et je crois que ma sincérité a payée.
Passez du Nord au Sud, serait-ce finalement plus facile qu’on ne le pense ?
D’un point de vue purement technique, ce n’est pas si compliqué, un préparateur physique Français ambitieux avec de l’expérience dans le rugby professionnel a tout à fait sa place dans le rugby du Sud, s’il est ouvert, consciencieux, et toujours dans la recherche pour être le meilleur possible auprès des joueurs.
Cependant une bonne maitrise de l’anglais est indispensable, compte tenu des interactions au quotidien qu’un travail au sein d’un staff demande, mais aussi sur le terrain au jour le jour avec les joueurs. Pour être honnête ça n’as pas été simple au départ à ce niveau-là, bien que j’aimais pratiquer l’anglais en France ! Mais avec de la persévérance on progresse vite !
Ensuite, évidemment, comme tout secteur professionnel, le réseau de relation est un facteur aidant pour bénéficier d’opportunités. C’est pour cela que le partage et l’ouverture aux autres est important. Rencontrer, échanger, tisser des liens, c’est une part très plaisante de notre travail, au-delà du quotidien de la compétition.
Pour ma part, il n’y a pas de secret, j’ai été accueilli à Wellington par un ami chargé de développement du rugby sur ce secteur, puis je suis allé au-devant des gens.
Grâce à votre expérience, comment estimez-vous que le rugby du Nord est perçu dans le Sud ?
D’un point de vue purement rugbystique, ils ont tout à fait conscience que la logique interne du Nord est différente, que la pression liée à l’aspect relégation/accession a un impact sur l’esprit du jeu, ils savent que celui-ci est moins libéré, et que la priorité est mise sur la conquête en touche et en mêlée fermée. Tandis qu’ici, si la première conquête n’est pas assurée, et bien tant pis ! On redoublera d’effort en défense, en espérant un bon vieux turnover dans nos 22 m, pour relancer le ballon sur 70 m, pas de problème ! C’est un peu caricatural, mais vrai au final.
J’aime beaucoup cette question, car si en Europe, tout joueur voudrait un jour jouer en dans l’hémisphère Sud, et bien il en va de même dans le sens inverse. Pour parler de la France, je peux vous assurer qu’elle fait toujours rêver les joueurs ici, pour tout ce que la France représente culturellement et historiquement au niveau du rugby. Bon d’accord, l’aspect monétaire joue quand même un rôle important dans la vision qu’ils ont de l’hémisphère Nord.
La préparation physique est essentielle dans le quotidien des franchises au cœur d’un rugby professionnel. Ici Julian Savea – Credits: Equinox Kensignton
Vous êtes spécialisé dans la préparation physique. Expliquez en quoi consiste ce rôle au sein d’un rugby professionnel.
D’un point de vue très pragmatique, il s’agit de mener les séances collectives de préparation physique au quotidien, que ce soit en salle de musculation (à raison de deux ou trois séances par semaine pendant la saison, et jusqu’à 4 ou 5 séances en pré-saison) et sur le terrain chaque jour de la semaine (échauffement, situation de puissance, de vitesse, d’agilité, d’endurance), tout ce qui permet de gérer/développer les qualités physiques d’un joueur de rugby.
Le préparateur physique a aussi la co-responsabilité avec le staff médical, du suivi et de la gestion individualisée des joueurs en retour de blessure, pour leurs permettre de retrouver le groupe, le plus tôt possible et dans les meilleurs conditions possibles.
Ensuite, il y a la partie invisible de l’iceberg, avec un gros travail de fond en terme de programmation/planification des contenus de séances mais aussi du suivi des états de forme/performance, au travers des outils technologiques, tels que, les GPS, logiciel de suivi cardiaque. Tout cela à des fins de mise en lien des différentes données, permettant de justifier et réguler tout ce qu’on propose sur le terrain.
Enfin, il s’agit de participer aux réunions hebdomadaires du staff, afin d’organiser avec un temps d’avance, jour après jour, semaine après semaine.
Le rugby professionnel demande de plus en plus de maturité et de technicité physique aux joueurs. N’avez-vous pas le sentiment de former des athlètes ultra-complets plus que de simples rugbymans ?
Il y a une part de vrai dans ce que tu dis, mais j’irai plus loin dans l’analyse. Entre certains sports, la préparation physique a un aspect très transversal. En effet, nous cherchons à développer des mêmes qualités physiques qui sont un facteur clé de la performance dans différents sports.
Cependant la nuance se fait lorsqu’il faut traduire ce développement physique, par un réel gain de la performance spécifique rugby. Notre démarche part donc d’une approche générale de la préparation physique en établissant les facteurs de la performance au rugby (qui peuvent être transversale avec d’autres sports) vers une proposition spécifique sur le terrain en mettant en place des contenus intégrés à la pratique rugby. De plus la spécificité de la préparation physique du joueur dépendra beaucoup de son âge et de sa maturité.
C’est en cela que mon travail est passionnant, il faut avoir à la fois une approche transversale de la préparation physique mais aussi avoir des compétences très proche de l’activité pure rugby, pour que le joueur donne du sens à son entrainement au quotidien.
Vous travaillez avec entres autres Conrad Smith, Ma’a Nonu, Julian Savea ou Beauden Barrett. Concrètement, un All Black, comment ça se gère au quotidien, surtout en cette année de Coupe du Monde ?
Les All Blacks n’ont participé qu’aux derniers 30% de la préparation de pré-saison (de décembre à mi-février), seul Ma’a Nonu a effectué la quasi-totalité de la préparation compte tenu de sa blessure lors du dernier Four Nations en septembre dernier. En effet, ils ont effectué la tournée européenne de l’équipe nationale en octobre/novembre, pendant que la majeure partie des autres joueurs étaient en repos sur cette période, suite à l’ITM Cup. Le mois de décembre à mi-janvier est donc un temps pour eux de régénération et de maintien de forme individualisé.
En cette année de coupe du monde, la fédération Néo-Zélandaise a édité une short list dont les joueurs en faisant partie doivent obligatoirement manquer deux matchs de la saison du Super 15. Cela relève alors d’un véritable choix stratégique pour les coachs, lorsqu’ils décident de mettre un joueur au repos à un moment précis de la saison. Une fois la saison de Super 15 lancée, lorsqu’ils ne sont pas en repos « contractuel », ils suivent comme tout le monde les semaines d’entrainement.
En parallèle de l’entrainement pratique, Chris Boyd (l’actuel coach des Hurricanes) a fait le choix de les impliquer dans la préparation du match à venir. Il effectue avec les quatre All Blacks les plus expérimentés, une réunion hebdomadaire, de manière à définir les priorités stratégiques lié aux spécificités de l’équipe qu’on rencontre en fin de semaine.
Pouvez- vous détaillez la semaine standard d’un joueur des Hurricanes.
Alors sans trop rentrer dans les détails mais en étant clair, prenons par exemple le cas d’un match à domicile se jouant le vendredi soir :
- Nous commençons le lundi matin par une séance de musculation suivi d‘une séquence vidéo, puis un entrainement collectif l’après-midi (prépa physique + technico-tactique)
- Le mardi matin, un second entrainement collectif, puis une séance de musculation optionnelle l’après-midi.
- Le mercredi matin, seconde séance de musculation, avec vidéo et entrainement collectif l’après-midi
- Le jeudi matin, les joueurs ont un temps pour le développement professionnel (hors rugby et gestion de l’après-carrière), puis mise en place au stade l’après-midi.
- Le vendredi, c’est feu d’artifice !
- Samedi/Dimanche : récupération autonome, session de remplacement de match pour les joueurs hors-groupe ou à temps de jeu limité, le samedi matin.
C’est une organisation simple et classique. Si le match est le samedi, alors un jour total de récupération est ajouté en milieu de semaine, puisque nous perdons un jour complet de repos le weekend.
Les Hurricanes version 2015, alchimie parfaite entre joueurs expérimentés et espoirs. De gauche à droite Victor Vito, Brad Shields, Nehe Milner-Skudder, Chris Smylie, Adam Hill et Ma’a Nonu.
L’effectif des Hurricanes regorge également d’espoirs (Reggie Goodes, Nehe Milner-Skudder, Matt Proctor, Otere Black, Willis Halaholo par exemple). Estimez-vous que l’émergence progressive d’espoirs se fait avant tout par la découverte de l’hygiène de vie et d’un niveau athlétique propres au plus haut niveau ?
Bien sûr que les qualités physiques naturelles sont une part importante de l’éclosion d’un joueur. Cependant le sérieux que tous ces jeunes mettent au quotidien, au contact des joueurs plus expérimentés (Conrad Smith, Ben Franks, Ma’a Nonu, Jeremy Trush) est un vrai régal pour l’ensemble du staff. Ils sont jeunes mais déjà très matures quant à leur approches du très haut niveau. Et quand bien même, un jeune n’a pas conscience de tout le sérieux dont il doit faire preuve, il est au final aspiré par le travail et la rigueur de ses camarades. Tout cela dans la bonne humeur et le respect, c’est très appréciable. Les noms que tu cites ne sont pas un hasard pour moi, au-delà d’être de bons joueurs de rugby, ceux sont de bons garçons, qui ne laissent rien au hasard, l’hygiène de vie y est une notion clé.
La question du dopage revient dans le Nord et dans le Sud assez régulièrement. Comment vous situez vous vis-à-vis de cette question en tant que préparateur physique ?
Attention point très sensible en ce qui me concerne. Quand le grand public veut parler de dopage dans le rugby, il fait tout de suite le lien avec la prise de suppléments alimentaires. C’est clairement parler d’un domaine qu’on ne maitrise pas. C’est mettre le légal et l’illégal dans le même panier, bref c’est une belle connerie, construite sur des infondés véhiculés par les médias il y a quelques années, sans savoir de quoi ils parlaient. Dans ce cas-là, parlons aussi de dopage lorsqu’on prend du paracétamol pour un mal de tète !
Nous utilisons quotidiennement des suppléments alimentaires, dont l’utilisation n’est pas obligatoire pour les joueurs. A savoir la protéine Whey, des acides aminés BCAA, et enfin de la créatine. Cette dernière n’a jamais été interdite à la vente ni à la consommation, de plus les études scientifiques ont toujours été claires, aucun risque sur la santé, tant que l’utilisation est intelligente. Ce sont toutes des substances naturelles synthétisées en poudre, qui à l’aide d’une alimentation équilibrée et protéinée, permet la récupération musculaire et la croissance musculaire. Il s’agit n’y plus n’y moins de considérer la nutrition comme un facteur de la performance.
Le dopage existe malheureusement dans le rugby, comme dans tous les sports professionnels et amateurs, mais je ne l’ai personnellement jamais côtoyé. Il renvoie à une démarche illégale d’utilisation de substances, étant inscrites sur la liste des produits prohibés à la vente et à la consommation, éditée chaque année par l’Agence Mondiale Anti-dopage. C’est avec la corruption, les seules raisons pour lesquelles un joueur perdrait mon respect.
Les Hurricanes sont en ce moment en plein succès. Existe-t-il un modèle de réussite et une façon de faire particulière en interne ? Quelle est l’atmosphère actuelle en coulisses ?
Sur un court terme, je dirai que Chris Boyd a réussi à créer l’alchimie parfaite entre jeunes talent en éclosion (que tu as cité précédemment) et joueurs expérimentés. Son passé de sélectionneur de l’équipe nationale des moins de 20 ans, son expérience passée aux Sharks, combinée à l’ossature construite par Mark Hammett lors des dernières années, donne une équipe extrêmement équilibrée en terme de profil de joueur. Cela sur chacune des lignes, c’est impressionnant lorsqu’on analyse poste par poste, l’équilibre des profils jeune/expérimenté.
De plus, pour différentes raisons, l’année 2015 est très spéciale pour les Hurricanes, il s’agit du dernier championnat pour Conrad Smith, Ma’a Nonu, Jeremy Thrush, Ben Franks, et quelques autres anciens. Pour cette raison, je pense que tout un collectif a envie de récompenser la carrière en Super Rugby de ces joueurs. A travers ce fait, se dégagent une belle cohésion d’équipe. En parallèle de cela, la relation entraineur/entrainé est vraiment une référence en la matière, on parle de collaboration au sens premier du terme. Il y a un respect mutuel au quotidien qui permet de travailler efficacement et sereinement.
Enfin sur une analyse a plus long terme, le nouveau programme de développement de la franchise des Hurricanes, en recentrant la formation, le recrutement et l’investissement sur des jeunes talents issus des différentes provinces de la franchise pour créer une véritable identité Hurricanes porte ces fruits.
La capitale du pays Wellington, noyau rugbystique. Ici le Westpac Stadium « The Cake Tin » accueillant les Hurricanes et les Lions.
On a évoqué l’importance du rugby au sein de la capitale néo-zélandaise. Est-il juste de dire que le rugby à Wellington est un tout commun et non une addition d’équipes et d’infrastructures (Hurricanes, Lions, équipes en Heartland Championship, niveau amateur) ?
Les liens créés entre l’ITM Cup et le Super Rugby à Wellington permettent vraiment de dire que les Hurricanes sont un prolongement pour les joueurs des Wellington Lions qui se mettent en évidences pendant le championnat national. Le fait que le staff des Wellington lions soit en partie le même que celui des Hurricanes, permet d’identifier les talents, de proposer une progression à long terme pour les jeunes joueurs. Je n’ai pas l’impression que les Lions soit une fin en soi à Wellington, je le vois plus comme une passerelle vers le Super 15. Il en va de même à l’échelle de la région Hurricanes lorsque l’on évoque les Turbos de Manawatu et les Magpies de Hawkes Bay.
On voit souvent des coachs et des membres de staff passer de l’ITM Cup au Super Rugby. Le passage des Wellington Lions aux Hurricanes a-t-il été facile et naturel ?
Malgré l’année difficile des Wellington Lions, cette équipe restait sur d’excellents résultats lors des années passées. De plus une partie importante du staff travaillait déjà avec les Hurricanes (seuls Chris Boyd et John Plumtree sont arrivés cette saison). Le passé de Chris Boyd et de John Plumtree en Super Rugby et au niveau des sélections de jeunes, ainsi que l’explication très claire de leur projet ont favorisé l’adhésion de tous.
Et concernant les joueurs, qu’est-ce qui fait la différence entre un joueur moyen d’ITM Cup et un joueur moyen de Super Rugby ?
Entre devenir joueur de Super Rugby ou rester joueur d’ITM Cup, la barrière est parfois très mince. Je dirai que le joueur de Super Rugby est plus discipliné sur le plan tactique et stratégique, et a appris à s’inscrire dans une organisation collective du jeu très poussée, là où le joueur d’ITM Cup, joue plus au « talent » sur ses qualités individuelles technico-physiques.
Expliquez les qualités du modèle kiwi en matière de hiérarchie des niveaux (All Blacks > Super Rugby > ITM Cup > clubs de villes, les uns alimentant indirectement les autres).
Il faut vraiment percevoir ces différents championnat/niveau comme une organisation pyramidale. L’Heartland Championship est à part , il renvoie à une « sous ITM cup » jouée en même temps uniquement dédiée à créer un championnat pour les provinces peu densément peuplées, peu pourvues en club, et donc peu pourvues en joueurs.
Le lien championnat des clubs de villes > ITM Cup > Super Rugby > All Blacks est organisé temporellement sur l’année. Le championnat des clubs des villes (mars a juillet) permet aux joueurs se mettre en évidence pour postuler à l’équipe provinciale engagée en ITM Cup (de août à octobre), qui elle a son tour permet de se mettre en évidence pour décrocher un contrat avec la franchise associée en Super Rugby de février à juillet.