Titre original : The Humbling
Note:
Origine : États-Unis/Italie
Réalisateur : Barry Levinson
Distribution : Al Pacino, Greta Gerwig, Nina Arianda, Dylan Baker, Charles Grodin, Dan Hedaya, Billy Porter, Kyra Sedgwick…
Genre : Drame/Comédie/Adaptation
Date de sortie : 8 avril 2015
Le Pitch :
Célèbre comédien de théâtre et de cinéma, Simon Axler sombre dans une espèce de dépression nerveuse lorsqu’il perd inexplicablement son don. Décidé à ne plus monter sur les planches malgré les sollicitations de son agent, il entame une relation avec une femme beaucoup plus jeune que lui. Ce qui est loin d’arranger les choses…
La Critique :
Depuis quelques années, Al Pacino apparaît à l’écran sans fard. L’œil toujours affûté, avec cette lueur taquine qui habite ses meilleurs rôles, une touffe impressionnante de cheveux ébouriffés, le dos un peu voûté, la démarche chancelante, la voix posée et caverneuse, il semble prendre plaisir à camper d’une façon ou d’une autre une folie plus ou moins douce, prétexte à une sorte d’introspection. À plus de 70 ans, Pacino accepte son âge et continue à avancer, sans pour autant se soucier de quoi que soit. Il donne un peu l’impression de venir de se réveiller en permanence. À la fois ailleurs et ici, il laisse s’exprimer un charisme intact et une propension elle aussi inchangée à crever l’écran quand bon lui chante, au détour d’une réplique ou plus largement, d’une scène dans laquelle explose une verve et une présence qui renvoient à une somme monumentale de rôles emblématiques.
Est-ce alors peut-être pour cela qu’il s’est compromis dans Jack et Julie, probablement le pire Adam Sandler, ou qu’il a accepté des polars bien bidons, comme La Loi et l’Ordre (avec son ami Bob De Niro) et 88 Minutes ?Allez savoir.
Une chose est certaine : il n’opte pas souvent pour la facilité. Que ce soit dans Phil Spector, où il incarne le producteur mélomane et mégalomaniaque, et dans You Don’t Know Jack, dans lequel il campe un docteur connu pour pratiquer l’euthanasie, Pacino choisit ces derniers temps des partitions casse-gueules. Même refrain pour The Humbling, où il se tourne une nouvelle fois vers le théâtre, sa grande passion, en faisant face plus que jamais à sa condition de légende vieillissante du septième-art. Et comme dans les téléfilms précédemment cités, l’ex-Scarface s’en sort avec les honneurs et tire tout et tout le monde vers le haut, prouvant, même si ce n’était pas nécessaire, quel génie il demeure.
Réalisé par un Barry Levinson qui a carrément prêté sa baraque pour le tournage, The Humbling est l’adaptation du roman de Philip Roth, publié en France sous le titre, Le Rabaissement. L’histoire a vite tapé dans l’œil de Pacino vu que ce dernier fut le premier à en parler au réalisateur de Rain Man après avoir acheté les droits. Quelques minutes suffisent d’ailleurs pour comprendre pourquoi le comédien fut si emballé à la lecture de ce qui s’impose comme la chronique d’un questionnement typique d’un acteur de théâtre dévoué corps et âme à son art. Et si un jour tout foutait le camp ? Si le talent se faisait la malle et que, dans l’impossibilité de pratiquer ce qui le pousse à se lever le matin, ce autour de quoi tout s’est toujours articulé, l’acteur devait redevenir un homme « ordinaire » ? Seul un homme à la fois suffisamment âgé et suffisamment aguerri pouvait piger ce que le récit de The Humbling signifiait et donc le traduire avec un maximum de conviction à l’écran.
Dès le début, le long-métrage impose une mis en scène sobre. Levinson n’est plus ce réalisateur chéri des studios et lui aussi fait ce qu’il veut, quitte à devoir composer avec des budgets microscopiques. Avec Pacino dans son camp, il livre une sorte de version intimiste de Birdman et raconte le cheminement intérieur d’un type paumé dans les méandres d’une folie qu’il n’assimile pas.
Forcément très sobre dans sa mise en forme, le film l’est par contre beaucoup moins dans sa narration. Il brouille les pistes et alterne les perspectives, en illustrant tour à tour les perceptions du personnage principal et celles de ceux qui l’entourent. Le rêve et la réalité se mélangent et doucement mais sûrement, la santé mentale de Simon apparaît plus que fragile, tandis que malgré tout, ce dernier avance à contre-courant, assailli par des visions dont l’authenticité est sans cesse remise en compte.
Accompagné par une Greta Gerwig virevoltante et parfaitement pertinente en contre-poids total des psychoses du protagoniste principal, Al Pacino prouve à chaque minute à quel point il croit en ce film dont il parvient à capturer l’essence même, sans trop forcer en apparence, entre accentuations cabotines mais appropriées et introspection mélancolique. De quasiment tous les plans, il permet à The Humbling de trouver un second souffle quand le rythme s’enlise un peu et que l’ennuie guette. Parfois un peu nébuleux et bavard, le long-métrage de Levinson peut toujours compter sur sa tête d’affiche pour tenir bon la barre et ainsi le mener à destination.
Si on a vu plus passionnant et bien sûr plus moderne, The Humbling reste suffisamment remarquable pour emporter l’adhésion et provoquer l’empathie et ainsi l’émotion. La fin tout particulièrement couronne une démarche artistique à laquelle il est difficile, quand on aime le cinéma et/ou le théâtre, de rester insensible. Toujours entre le drame pur et la comédie, alors qu’à l’écran, mise à nu, une légende se livre sans concession sous l’œil d’un solide artisan à qui on ne la fait plus.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Metropolitan FilmExport