Le 12 avril 1761, Anzolo Querini, avogador di comun, à trois heures du matin venait de renter dans son casin, donnant sur le Rio di San Moïse.
Il allait s’abandonner dans les bras de Morphée, lorsque Ignace Beltrami, fante des trois inquisiteurs, frappa à sa porte, la fit ouvrir au nom du tribunal, et déclara ce noble en état d’arrestation.
Querini eût le temps, à cause du respect que l’on témoigna pour sa personne et son rang, d’écrire une lettre à son frère, et une autre à Juliette Uccelli, épouse du notaire extraordinaire de la chancellerie ducale.
Anzolo, dans ses lettres, prévenait ses amis du malheur qui venait d’arriver. Il les priait de le secourir, et, s’il mourrait, de le venger.
Comme avogador di comun, Quérini était investi du droit de dénoncer les Dix ou les Trois, s’il le jugeait convenable. On craignait apparemment qu’il n’exerçât ce droit.
Son arrestation excita une surprise générale, et la rumeur courrait, disant : « Voilà donc Quérini qui, s’il obtient la liberté, peut récriminer, et, dans sa propre cause, se retrouver juge de son juge. » Sur la demande des amis de Quérini, le Grand Conseil se réunit. Un membre, à cause des circonstances exceptionnelles dans lesquelles on se trouvait, proposa de procéder comme en 1628, à la correction du tribunal des Dix.
L’avis est adopté par un grand nombre de nobles, qui s’indignent de voir le Tribunal des Trois, né du Tribunal des Dix, s’attaquer au censeur naturel nominé par les lois pour observer constamment la conduite d’une institution si puissante. Pierantonio Malipiero, Alvise Zen, Marco Foscari, Girolamo Grimani et Lorenzo Marcello sont nommés correcteurs. Ceux-ci se devisent en deux camps, ceux qui estiment qu’il faut garder sous étroite surveillance le Conseil des Dix pour ne pas instaurer une dictature à la romaine, et ceux qui pensent que se méfier des Dix entraine leur affaiblissement, et que c’est alors un danger pour la république.
Après de longues discussions où chacun des orateurs montrera ses qualités de tribun, et tentera de convaincre du bien fondé de son opinion, le Grand-Conseil entendit les avis de chacun. des différents correcteurs.
Il résulta de tant de délibération qu’Anzelo Querini fut rapidement ramené de son exil à Padoue, que les droits du Doge furent étendus, et que ceux des Dix quelque peu restreints.
Peu de temps plus tard, à la mort du doge Francesco Loredan, de fut Marco Foscarini, le plus ardent défenseur du Conseil des Dix qui fut élu…
Sources bibliographiques :
Histoire des peuples, l’Italie, par M. le Chevalier Artaud – Paris 1835