La lutte contre le gaspillage alimentaire est un impératif contre lequel se battent chaque jour des organisations comme Les Restos du cœur ou la Banque alimentaire. Il est sans doute préférable d'écouter ces organisations avant de voter la loi. Décryptage du texte voté du Sénat ce 10 avril 2015, qui ne devrait rien changer.
Que s'est-il passé au Sénat ?Ce 10 avril 2015, lors de l'examen en séance public du projet de loi pour la croissance et l'activité, défendu par le ministre Emmanuel Macron, les sénateurs ont voté un amendement n°379 ainsi rédigé (je souligne) :
"Après l'article 10 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les magasins de commerce de détail, d'une surface supérieure à 1000 mètres carrés, soumis à l'autorisation d'exploitation prévue à l'article L. 752-1 du code de commerce peuvent mettre en place une convention d'organisation de la collecte sécurisée des denrées alimentaires invendues encore consommables au profit d'une ou plusieurs associations d'aide alimentaire. Un décret fixe les modalités d'application du présent article."
Il faut souligner le terme "peuvent" : cet amendement n'impose absolument rien à personne.
Pourtant, à la suite du vote de cet amendement, plusieurs articles de presse déclarent que le Sénat aurait imposé aux supermarchés de distribuer aux invendus ou, en sens contraire, qu' ils auraient été autorisés à le faire. Il n'en est rien.
Que dit l'amendement voté au Sénat ?Cet amendement "permet" aux grands supermarchés de signer un contrat avec les "associations d'aide alimentaire". Contrat appelé "convention d'organisation de la collecte sécurisée des denrées alimentaires invendues encore consommables".
Pourtant, les supermarchés peuvent déjà réaliser des dons vers ces mêmes associations. Qu'apporte donc cet amendement ? On ne sait pas. Et l'exposé des motifs ne le précise pas.
Tous les supermarchés sont ils concernés ?Non. Non seulement ce texte ne donne qu'une possibilité aux supermarchés mais il ne concerne en outre que les grandes surfaces de plus de 1000 m². Les supermarchés de plus petite taille, notamment en centre ville ne sont pas concernés. Pourtant, cet amendement prétend être inspiré par une expérience en centre ville.
Le texte voté par le Sénat va-t-il imposer aux supermarchés de mettre leurs invendus à dispositions des associations caritatives ?Non. L'amendement voté ne prévoit qu'une possibilité pour les supermarchés de signer un contrat. Pourtant, le vote de cet amendement de cet amendement a été présenté comme une grand victoire par les auteurs d'une pétition sur internet qui appelle à imposer aux supermarchés de distribuer directement leurs invendus. Or, cet amendement n'impose rien à personne ... Tout au plus, il rappelle la possibilité de signer un contrat..
La communication qui entoure cet amendement est sans rapport avec le contenu de l'amendement.
Le texte voté par le Sénat va-t-il autoriser les supermarchés à mettre leurs invendus à disposition des associations caritatives ?Non. Pour une bonne raison : les supermarchés n'avaient pas interdiction de faire des dons aux associations. Pour s'en convaincre, il suffit de lire les témoignages de ces responsables de la banque alimentaire.
Le texte voté par le Sénat ne permet-il aux supermarchés de signer des contrats avec des associations avec lesquelles ils avaient interdiction de le faire ?Non. cet amendement ne change rien aux règles sanitaires afférentes au transport et au conditionnement des denrées alimentaires. Cet amendement n'abroge ou ne retire aucune de ces règles qu'il ne mentionne même pas. Les associations caritatives sont soumises aux mêmes règles qu'auparavant et ne peuvent bien sûr pas y déroger par contrat. Même les plus pauvres ont droit à des denrées saines et de qualité et n'importe qui ne peut s'improviser professionnel du transport, du conditionnement et de la distribution de ces denrées.
Le texte voté par le Sénat peut-il même s'avérer contre-productif ?Oui, le don n'appelle pas nécessairement un contrat. Mettre plus souvent des contrats entre les supermarchés et les associations, comme le propose l'amendement voté, c'est tout d'abord multiplier des formalités et des risques juridiques.
Quel est l'histoire de cet amendement voté au Sénat ce 10 avril 2015 ?Le 5 février 2015, l'Assemblée nationale a rejeté (renvoi en commission) une proposition de loi déposée par le député UMP Decool. Le texte de cette proposition de loi est alors repris dans un amendement n°1547 déposé par le député Frédéric Lefebvre alors que le projet de loi pour la croissance et l'activité est en cours de discussion à l'Assemblée nationale. Cet amendement a été débattu puis rejeté le 30 janvier 2015 par les députés. Le texte de cet amendement a donc été repris par Mme Goulet, sénatrice et, cette fois-ci adopté au Sénat, le 10 avril 2015.
Quelle est la position des associations caritatives ?Lors des débats à l'Assemblée nationale sur l'amendement n°1547 de M Frédéric Lefebvre, le 30 janvier 2015, M Gilles Savary alors rapporteur a pu indiquer :
"J'ajoute que les associations ne sont pas unanimes sur la mise en place de collectes régulières. Beaucoup d'entre elles sont bénévoles et n'ont pas les moyens de s'astreindre à une collecte régulière. Pour le reste, de nombreuses conventions ont été mises en place de façon empirique, vous le savez bien, notamment avec les banques alimentaires qui desservent l'ensemble des associations du territoire. C'est ainsi que cela fonctionne dans mon département. Je ne dis pas que le dispositif ne doit pas être perfectionné, mais je pense qu'il est opportun d'attendre les conclusions de la mission de Guillaume Garot."
Le 10 octobre 2014, lors des débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, certains députés avaient proposé d'imposer aux supermarchés la mise à disposition des invendus. Voici la réponse de la ministre Ségolène Royal (je souligne) :
" Mme Ségolène Royal, ministre. Même avis. Les associations caritatives nous ont toutes écrit pour nous expliquer qu'elles étaient farouchement opposées à cet amendement car elles veulent conserver leur relation citoyenne et contractuelle avec les grandes surfaces et non pas bénéficier d'une obligation inscrite dans la loi. Nous devons respecter leur avis car ce sont elles qui sont en première ligne."
Voici la réponse de la députée rapporteure Sabine Buis :
"Mme Sabine Buis, rapporteure. Je voudrais apporter quelques précisions pour ne pas donner l'impression que nous ne prêtons pas attention à ces amendements et à la problématique du gaspillage alimentaire qu'ils soulèvent. Permettez-moi de vous lire quelques passages d'un courrier envoyé par une grande association : " Si la question de la lutte contre le gaspillage et de la diversification des ressources est incontournable, la proposition évoquée soulève plusieurs réserves. La priorité doit aller à l'amélioration et à la pérennisation des mécanismes incitatifs, notamment fiscaux, plus qu'à la mise en place de mesures coercitives qui viendraient à terme s'y substituer. Il serait préférable de clarifier les règles fiscales et sanitaires de la ramasse et des dons des grandes et moyennes surfaces. On peut aussi envisager de rendre la destruction plus dissuasive, notamment en augmentant les taxes et les coûts. L'obligation de don risque par ailleurs de se transformer en une forme d'obligation de récupération pour les associations. Les associations risquent de devoir collecter et donc détruire des denrées non distribuables, ce qui mettrait les associations dans une situation de pression exercée par la grande distribution. À cela s'ajoute les coûts logistiques de ces dispositions qui sont potentiellement considérables dans un contexte très tendu pour les associations ".
Nous partageons bien évidemment votre souci mais il est tout de même important de souligner que ces amendements ne correspondent pas à la demande. Je peux même citer cette association : il s'agit des Restos du cœur ."
Tout d'abord, il serait faux de prétendre que rien n'est fait même si des personnes ont encore faim alors des denrées alimentaires finissent encore trop souvent au fond des poubelles. Ensuite, écouter les associations. Celles-ci écrivent régulièrement aux élu(e)s pour leur présenter des propositions d'amélioration de la situation actuelle.
Réforme de la fiscalité applicable, du coût des destructions, suppression des dates limites d'utilisation optimale (DLUO), action sur tous les acteurs de la chaine et pas simplement sur les distributeurs, réforme du statut de déchet : la solution ne sera cependant pas que juridique. Pour répondre à l'enjeu il ne suffit pas de voter des normes et des contraintes. A titre d'exemple, l'éducation des jeunes et moins jeunes aux enjeux du gaspillage est aussi un impératif.
Quelles sont les prochaines étapes ?L'amendement qui vient d'être voté au sénat ne changera malheureusement rien. Il faut donc espérer que les députés, qui examinent en commission spéciale, le projet de loi relatif à la transition énergétique à compter du 14 avril, se saisissent du sujet. Le même jour, Guillaume Garrot, ancien ministre, remettra le rapport commandé par le Premier ministre, aux ministres de l'écologie et de l'agriculture.