Une très sérieuse étude conduite par le professeur Cole de l'université de San Francisco vient nous prendre comme par la main pour briser ces silences qui peuvent tuer pour de bon. D'abord, elle nous invite à risquer une vie toujours plus à l'écart du mensonge, des non-dits, de la duplicité, bref, de la comédie sociale et de la honte. Je commence à deviner pourquoi le Christ mène une guerre sainte contre l'hypocrisie. Aujourd'hui, je comprends mieux son intransigeance salutaire.
Le chercheur américain a découvert, en observant plus de 200 hommes homosexuels, que ceux qui dissimulaient leur attirance affective à leur entourage développaient trois fois plus de cancers ou d'infections sérieuses. Il n'est pas de ma compétence d'évaluer la scientificité de ce résultat. Mais l'enseignement est lumineux : les luttes intestines qui nous dévorent, le règne du secret nous détruit. Outre le poids des non-dits et l'atrocité de ne pas pouvoir être soi au grand jour, c'est carrément l'enfer de ne pas être accepté pour qui nous sommes en vérité. Que ne doit-on pas cacher au quotidien ? Une critique, un sentiment, une déception, une attente, un fantasme, des idées politiques, un avis sur le dernier livre à la mode, ce n'est pas forcément un gros truc qui nous reste en travers de la gorge...
Sur le terrain de la vie spirituelle, il est mille enseignements à en tirer. D'abord, peut-être, une invitation à oser une authenticité, une sincère transparence. Qui, du matin au soir, part en lutte contre lui-même et, à tout instant, s'éreinte à refuser ce qui le constitue vraiment, n'a pas fini de vivre un enfer. Une chose est de renoncer à soi, briser son ego, quitter l'étroitesse de son égocentrisme, une autre est de dénigrer ses blessures, condamner sans aucune bonté ses désirs, sombrer dans une autocritique permanente qui nous rend exsangues et sans force et qui, in fine, nous interdit tout véritable progrès. Car il en faut de l'énergie pour nier les faits, pour s'aveugler soi-même, pour se mentir et pour enfiler chaque matin un costume mal ajusté ! Non qu'il s'agisse de vider ses poubelles et de déverser sur le premier venu tout ce qui charge un coeur, mais simplement être qui on est. En compagnie de son directeur comme aux côtés d'un proche, pourquoi devrions-nous forcément changer radicalement d'attitude ? Mais c'est surtout à l'amour inconditionnel que cette recherche m'invite. D'abord, oser le non-jugement, n'enfermer ni soi ni personne dans des rôles et des attentes.
Je n'ai pas pu m'empêcher, en découvrant la nocivité de nos conflits intérieurs et du mensonge réitéré chaque jour, de penser au propos de Jésus : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » Ce verset convertit comme un koan. Et nous invite à quitter la tendance à tout justifier pour être, progresser dans la vérité. D'ailleurs, même les adversaires de Jésus lui adressent ce magnifique compliment qui constitue une route à suivre, un exemple à imiter : « Maître, nous savons que tu es franc et que tu enseignes les chemins de Dieu en toute vérité, sans te laisser influencer par qui que ce soit, car tu ne tiens pas compte de la condition des gens. » Comment mieux dire qu'il ne faut pas faire de courbettes ni juger d'après les apparences mais regarder de coeur à coeur et ne pas réduire ni réifier l'autre à ses blessures. Pour progresser, tout le monde a le droit d'être aimé et accueilli comme il se présente en cet instant. Et pour l'heure, qu'est-ce qu'à mes yeux, concrètement, ici et maintenant, être vrai ?
Alexandre Jollien est un philosophe et écrivain né en 1975 à Savièse, en Suisse. Son dernier livre, Vivre sans pourquoi, est paru au Seuil.
(source : La Vie)