Jeudi 9 avril 2015. Comme tous les jeudis, il y a, en soirée, piano-bar au Lausanne-Moudon. Mais auparavant, ce soir-là, au premier étage, à 19 heures, se déroule, sous l'égide de l'association littéraire Tulalu!?, une lecture de Contorsions, une nouvelle écrite par Céline Zufferey. Avant que ne commence cette lecture, Céline Zufferey dit quelques mots de sa nouvelle, sur le canapé, où elle est installée confortablement avec Pierre Fankhauser.
Sa nouvelle a été primée à l'issue d'un concours, le PJE, le Prix du Jeune Ecrivain, créé en 1985. La jeune suissesse y participait pour la deuxième fois et cette fois a été la bonne. La première fois, il s'en était fallu d'un cheveu qu'elle ne soit primée: elle faisait partie des vingt-neuf finalistes... Grâce à Pro Helvetia, elle a pu suivre des ateliers d'écriture au cours desquels elle a beaucoup appris. La preuve.
Le millésime 2015 l'a récompensée ainsi que onze autres auteurs de nouvelles, âgés de dix-sept à vingt-sept ans, originaires de France, du Québec, de Suisse, d’Allemagne, du Bénin et d’Algérie. Le palmarès a été proclamé le 21 mars au Salon du livre de Paris et la cérémonie de remise du prix a eu lieu le 27 au théâtre municipal de Muret.
Mille manuscrits étaient en lice. C'est dire que la concurrence était vive. D'être sélectionné est certainement un label de qualité puisque le PJE compte parmi ses anciens lauréats Marie Darrieusecq, Jean-Baptiste Del Amo, Florence Seyvos, Marvin Victor ou Mélanie Vincelette...
Céline Zufferey aime écrire. Elle a à son compteur une vingtaine de nouvelles et a entrepris la rédaction d'un roman qui comporte déjà une centaine de pages, c'est-à-dire le tiers de l'ouvrage, mais qui devrait être quelque peu réduit, pour ne garder que le meilleur...
Céline Zufferey suit actuellement un cursus d'études à la Haute Ecole des Arts de Berne. Elle est d'autant plus heureuse de l'avoir rejointe que les professeurs font montre d'une grande bienveillance à l'égard de leurs étudiants.
Estimant qu'elle ne lit pas bien ses textes, Céline Zufferey a demandé à deux talentueux de ses amis de le faire à sa place. Le comédien Christian Cordonier lui a prêté sa voix et le musicien Raphaël Bornet l'a accompagné avec ses instruments électriques, piano et guitare.
La lecture de Contorsions dure quelque trois quarts d'heure. Le temps de véritablement frémir, parce que cette nouvelle est... frémissante. Elle raconte la rencontre entre un danseur et un clochard sur le quai d'une station de métro.
En attendant la rame qu'il doit prendre, le danseur exécute quelques pas. Il est repris par le clochard qui connaît bien la question. Mais ce dernier ne danse plus. Il est unijambiste et lui exhibe son moignon. Christian Cordonier le personnifie avec un grand réalisme, voix d'outre-tombe et comme essouflée.
L'auditeur apprend avec effroi ce qui est arrivé au clochard: il a fait le sacrifice de sa jambe pour atteindre à la perfection de son art, à la demande de son maître. Qu'il fuit depuis lors, lui et sa radicalité...
Quand la lecture éprouvante, émotionnellement et imaginairement, de Contorsions s'achève, Pierre Fankhauser, facétieux, demande à Céline Zufferey si elle ferait volontiers le sacrifice d'une main pour arriver à la perfection de l'écriture, elle répond, tout sourire, que oui, mais précise que ce serait la main gauche, parce qu'elle est droitière...
Francis Richard
Contorsions figure dans le recueil des nouvelles du PJE 2015, Et couvertes de satin, édité par Buchet Chastel.