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[critique] Lost River : American Dream

Par Vance @Great_Wenceslas
[critique] Lost River : American Dream

Pour son premier film en tant que réalisateur, Ryan Gosling ne fait pas dans la demi-mesure : ne cherchant jamais à vouloir à tout prix se faire aimer, choisissant de s'effacer derrière la caméra plutôt que de se mettre en scène, l'acteur de Drive livre une oeuvre étrange, à la lisière du fantastique, qui ne plaira pas à tout le monde mais qui a le mérite d'être extrêmement personnelle. Lost River est une expérience, un film dans lequel les 5 sens et les 4 éléments sont mis en scène comme rarement. Très prometteur.

En ce lundi de Pâques, nous avons eu l'immense privilège d'assister à une projection de Lost River un peu particulière, puisqu'elle s'en est suivie d'une rencontre avec son réalisateur/scénariste Ryan Gosling et de l'acteur Reda Kateb, tous deux en pleine promo intensive dans notre pays. Une séance de questions-réponses d'environ 45 minutes, pendant laquelle les deux artistes sont revenus sur l'origine de ce projet si singulier, et que nous ne manquerons pas de citer au cours de notre critique du film. Lorsqu'il est interrogé sur ses références - et accessoirement s'il est logique de voir dans son film du Lynch voire du Kubrick - Ryan Gosling préfère plutôt plaisanter et présenter Lost River comme une version dark des Goonies ! Une formule qu'il a emprunté au compositeur Johnny Jewel lorsque celui-ci a lu son scénario. Nourri de films comme Brisby & Le Secret De Nimh, l'acteur a fait en effet en sorte d'inscrire son histoire dans une ambiance de petite bourgade américaine typique des production Amblin. Mais la comparaison s'arrête là tant Lost River ne ressemble en rien à ce genre de divertissement familial des eighties. Prenant place dans la ville de Detroit, près de laquelle Gosling a grandi (mais du côté canadien) et représentée comme une sorte d'entité omnipotente qui arbitre voire dicte les moindres faits et décisions de ses occupants tout en étant perçue comme la " demoiselle en détresse ", l'action de Lost River pourrait se résumer à celle d'un conte déconstruisant le fameux rêve américain.

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La ville et ses habitants ont d'ailleurs quelque part influencé directement l'écriture du film, puisque s'inscrivant dans la démarche du réalisateur de se confronter à un contexte social bien réel (des quartiers complètement abandonnés, des familles essayant de garder leur maison, " le rêve américain étant devenu un cauchemar pour ces gens, j'ai voulu montrer ce qu'était la ville actuellement "). Cependant, avec ses personnages au nom-fonction ( Bones, Rat, Face, Bully...) et sa chanson " Big Bad Wolf ", le film se veut surtout proche d'une certaine forme de théâtralité, et verse continuellement dans l'onirique, toujours à la lisière du cinéma fantastique. Gosling ne cache d'ailleurs pas avoir voulu s'inspirer de Twilight Zone, et faire un " dark fairy tale " surréaliste, afin non pas d'inscrire son film dans un lieu spécifique, mais de pouvoir toucher les spectateurs du monde entier en rendant son récit plus accessible, presque " romantique avec l'arc narratif du jeune couple tentant de briser un mauvais sort " (" c'est un film sur le regard de deux adolescents qui croient qu'ils sont dans un conte de fée, qui ont besoin pour grandir de cette idée romantique qu'il y a de l'espoir "). Un aspect particulièrement évident puisque Lost River joue constamment avec des images de dragons (le programme télé), de monstres aquatiques et de cité engloutie (la ville fantôme et ce parc préhistorique recouverts par un lac artificiel), de monstres de foire (avec ces séquences extrêmement dérangeantes se déroulant dans un théâtre rappelant celui du Grand-Guignol, et avec l'apparition de Barbara Steele, visage célèbre du cinéma fantastique italien) mais également de héros et de chevaliers (comme nous l'a souligné Reda Kateb, son personnage est clairement la figure du chevalier servant, ayant échangé son cheval blanc avec un taxi).

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Pour incarner sa galerie de protagonistes, Ryan Gosling a d'ailleurs su s'entourer d'un casting aussi atypique que son film, mais non dénué de sens. Eva Mendes joue ainsi le rôle de la femme fatale, symbole de tout ce déversoir de haine et de sadisme qui caractérisent le personnage de Ben Mendelshon (le grand méchant loup). Il n'est pas illogique de retrouver la partenaire de Ryan Gosling dans , Christina Hendricks, en mère combative et prête à tout pour sa famille (un rôle qu'elle tient également dans Dark Places qui sort le même jour), tout comme Saoirse Ronan qui avait déjà joué dans un long-métrage directement inspiré des contes, , mais qui a aussi le don pour interpréter des personnages en décalage avec la réalité, hors du temps ( Lovely Bones, Byzantium, The Grand Budapest Hotel). Plus étonnant, Matt Smith ( Doctor Who) en psychopathe, ou encore Iain De Caestecker ( Agents Of Shield) en jeune héros téméraire. Quant à Reda Kateb (l'un des meilleurs acteurs français actuel), tout étonné de voir que Ryan Gosling le connaissait et l'avait apprécié dans Un prophète, il trouve encore l'occasion d'exprimer son talent, en peu de temps de présence à l'écran mais dans un rôle ô combien essentiel (son taxi est une " bulle protectrice, chaleureuse et intime, au milieu du chaos ").

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" Mystique, poétique " selon son metteur en scène, Lost River est une expérience étrange, insondable, un peu comme l'image que s'est construite Gosling depuis Drive, quasi-muette, proche d'un rêve. Pour apprécier le film, il faut impérativement " accepter " son aspect vaporeux (mention spéciale à sa superbe photo). C'est un cinéma " sensitif ", envoûtant, très organique, dans lequel nombre de questions restent en suspens. Ryan Gosling accorde d'ailleurs une grande présence aux cinq sens (l'ouïe avec l'oreille sourde de Dave, le toucher avec Billy qui retire son visage, le goût : la cicatrice de Face par exemple ...), et aux quatre éléments (l'on ne compte plus les éléments en feu à l'écran : vélo, maisons..., l'eau avec cette cité engloutie, la terre avec ses plans d'herbes et de nature, et enfin l'air synonyme de libération). Avec son ambiance de film post-apocalyptique, Lost River ne plaira pas à tout le monde, mais c'est tout à l'honneur de son réalisateur, qui n'a pas choisi la facilité en s'effaçant derrière la caméra au risque de décevoir ses fans avec cette oeuvre presque hermétique. Le montage qui sort en salles est légèrement plus court que sa version cannoise, en raison de la suppression de séquences utilisant des musiques que Ryan Gosling pensait être tombées dans le domaine public. Le film, plus compact, gagne finalement en intensité, en fluidité et en dynamisme. Quoiqu'il en soit, l'on ne peut

[critique] Lost River : American Dream
que saluer le formidable travail d'un artiste dont la carrière en tant que réalisateur s'annonce prometteuse. Dans tous les cas nous attendons son prochain film avec impatience, surtout s'il continue de s'entourer aussi bien. Peut-être ne blaguait-il pas lorsqu'il nous a annoncé avoir déjà trouvé dans Paulo, le chien de Reda Kateb venu faire une petite apparition sur scène en plein milieu de la rencontre, le futur héros de son prochain film ?

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Lost River

Dans une ville qui se meurt, Billy, mère célibataire de deux enfants, est entraînée peu à peu dans les bas-fonds d'un monde sombre et macabre, pendant que Bones, son fils aîné, découvre une route secrète menant à une cité engloutie. Billy et son fils devront aller jusqu'au bout pour que leur famille s'en sorte.

Nous tenons à remercier Léa de Cartel et The Jokers Films pour cette rencontre.


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